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hommes, ce dénouement faisait l'affaire. Le roi n'en était pas moins odieux, mais il était autrement odieux. Les auteurs n'avaient donc qu'à demander un conseil au ministre pour rendre leur drame plus vraisemblable. Mais qui voudrait aujourd'hui s'en remettre au goût, à l'esprit et à l'opinion d'un censeur aussi peu éclairé, aussi peu littéraire, aussi peu compétent en ces matières que l'auteur de l'Histoire de la Révolution? » J'ai beau lire et relire, avec un soin extrême, ces pages de ma jeunesse, et chercher avec la bonne volonté d'en trouver quelqu'une, une excuse, une seule excuse aux violences dont, après vingt ans, ces pages ont été le motif, sinon le prétexte, il m'est impossible de ne pas me rendre à moi-même cette justice que ni dans le fond, ni dans la forme, on ne saurait trouver un mot pour légitimer, je ne dis pas une si longue rancune, mais un moment de colère véritable. Quoi donc, pour de si justes observations, à propos d'un drame impossible, pour des critiques si méritées, d'un ton si calme, et parce que j'avais pris, comme c'était mon droit et mon devoir, le parti de la vérité, de l'art, du goût, de la justice, de l'histoire, du sens commun, je me serai vu toute ma vie exposé aux colères, aux agitations, à l'antipathie, à la haine de toute une légion d'esprits habiles, violents, et sans remords! Après tant d'années perdues dans l'abîme du passé, après tant de choses, grandes la veille et le lendemain si petites, au milieu de ce vide et de ce néant que nous avons agité et bravé les uns les autres, un homme s'est rencontré pour se souvenir, de cette façon implacable et criminelle, d'un feuilleton où la justice parlait un accent si vrai et si humain à tout prendre! Ceci était pourtant le premier chapitre et l'entrée en jeu de cette diffamation (c'est le texte de l'arrêt) intitulé: Marie Chénier et le Prince des Critiques! « Prends bien garde, a dit un ancien, d'égratigner les oreilles trop délicates, d'une trop dure vérité. »

Heureusement que ce feuilleton Ango fut tout à fait un de ces feuilletons décisifs dont je parlais tout à l'heure. On m'en sut un gré infini dans le public de nos lecteurs, et il se trouva que je répondais, comme il fallait répondre aux angoisses et aux tortures de la conscience publique, indignement provoquée par ces excès dont les auteurs eux-mêmes ne comprenaient pas la portée. —

Hélas! le coup de foudre de 4848 qui a perdu toutes choses, devait confirmer plus tard les transes et les répulsions de la France de 1830; elle savait, confusément il est vrai, les fruits amers que devaient porter ces belles spéculations dont elle était l'enjeu définitif. Elle comprenait, sans trop s'en rendre compte, à quel point étaient dangereux ces innocents petits Robespierre. avaleurs de pois gris et mangeurs d'étoupes. On avait beau dire a la France: Ils rêvent, ils cherchent, ils sont incapables de faire le mal, laissez-les faire et laissez-les rêver..... cette imitation, cette contrefaçon toute innocente et toute poétique qu'elle était dans le principe, - un jeu d'enfants - déplaisait à ce pays-ci; il accepte assez volontiers un Danton original, un Marat de la premiere édition, un Saint-Just en sa primeur.... il exècre les contrefaçons. Paris même s'indigne qu'on les copie et qu'on les montre aux yeux ces grands hommes de la terreur d'autrefois! En vain l'Art poétique a dit en songeant aux gorgones, aux chimères, aux dragons des fables mythologiques :

Il n'est point de serpent ni de monstre odieux
Qui par l'art imité ne puisse plaire aux yeux...

Le talent, l'éloquence et le drame ne sont pas du côté des monstres. — Ariane, ma sœur, vous n'avez pas besoin du labyrinthe et du serpent écrasé par Thésée pour être belle et touchante. En vain dans un style excellent et tout rempli des meilleures qualités de la poésie essayez-vous de sabler le chemin qui mène à l'échafaud tant de grandes victimes et tant de scélérats fameux..... Téchafaud ne sera jamais le Parnasse, il n'y a pas de Muses dans ee tas de tricoteuses, ne cherchez pas l'Apollon inspirateur parmi les terreurs et les déclamations des Conventions et des Assemblées nationales; tout ce parlage et toutes ces violences, ces tribunes improvisées, ces hurlements, ces fanatismes, ces accents malsonnants de toutes les provinces révoltées, n'ont rien à voir et rien à faire avec la poésie, avec le drame, avec les beauxarts, amis des choses élégantes et pacifiques! Vous avez vu par hasard.... par malheur, dans un épouvantable et hideux tableau, cet ignoble Marat dans son bain dégouttant de sang? On vous repond, si vous demandez le nom du peintre de ces fanges méo

tides, que ce peintre a nom David! - Avec ce Marat il a fait tout ce qu'on pouvait faire, une immondice. Par grâce et par pitié, ne touchons pas à ces héros en bonnet rouge; Homère et Virgile appelés en aide à ces monstres, compromettraient leur toutepuissance à cette œuvre de ténèbres :

Monstrum horrendum, informe, ingens, cui lumen ademplum...

Ovide a voulu montrer le chaos, il l'a fait en quatre vers, encore savait-il que tout à l'heure au milieu de poëme réjoui allait resplendir le soleil. Ni la nuit, ni les ténèbres, ni le nuage, ni l'horreur, ni la foule hurlante, ni le haillon fangeux, ni le sang qui dégoutte des échafauds, ni aucun genre de crime lâche et bas du fort contre le faible, ne conviennent aux cœurs poétiques. Ceci est le lot de l'histoire. Les anciens, pour faire accepter les grands crimes aux peuples attentifs, les ont attribués à leurs dieux, à leurs rois, à la fatalité, le plus aveugle et le plus inexorable de tous les dieux. Ils ont fait du crime et du malheur une nécessité qu'ils ont enveloppée en des langes de pourpre brodés par la main des poëtes, chefs des nations. « Divins oracles, s'écrie le chœur de l'OEdipe de Sophocle, nous attendons l'arrêt de votre sagesse! Je tremble, je frémis dans l'incertitude du destin que vous nous préparez, ô Dieu terrible venu de Delphes à Thèbes, chargé de décrets mystérieux. On vous adore ici, ô divin guérisseur des rois et des peuples! On prête l'oreille à vos arrêts, oracle éloquent, fils immortel de l'espérance! Acceptez aussi nos vœux et nos invocations, ô Minerve, aimable fille de Jupiter, ô Diane, assise en reine au milieu de notre cité suppliante, et toi Apollon, vainqueur du serpent! Divinités propices aux mortels, montrez-vous sensibles à tant de malheurs! Hélas! nos maux sont innombrables! Vous voyez un peuple entier descendre lentement au tombeau; plus d'espérance et plus de salut pour nous! Elle-même, la terre impitoyable, nous refuse ses dons accoutumés, l'enfantement de la mère annonce une double mort; sur les rives de son Styx épouvanté, Pluton ne sait plus le compte des âmes que le courroux céleste lui envoie. Sauvez-nous, dieux immortels; rappelez le fléau qui nous décime, plus terrible et plus cruel que le dieu Mars, exterminateur des nations. O misère ! Et ce qui survit aujourd'hui, demain sera mort ! Je t'invoque en

fin, Jupiter, dieu des rois! et toi Bacchus, le Thébain, chef des Ménades, paré d'une mitre d'or! >>

Je n'insiste pas sur ce parallèle, entre les crimes presque divins de la tragédie antique, et les forfaits misérables de l'histoire moderne. Euripide et Sophocle, et leurs plus grandes violences entouraient les rois parricides d'une certaine grandeur invisible; au contraire, les poëtes démocrates (l'horrible mot) vont couvrant de fange et d'insultes les plus grands rois de nos vieilles monarchies. Encore si l'insulte s'arrêtait aux vieux âges! Mais bientôt elle descendra, des trônes écroulés, sur le trône resté debout, des rois couchés à Saint-Denis, sur le roi qui règne aux Tuileries. On écrit par hasard une phrase: « il est gros, gras et bête! >> la phrase fait rire, aussi par hasard, un troupeau d'étudiants, et si le gouvernement insulté se fâche et fait supprimer de l'affiche d'un théâtre royal, c'est-à-dire payé par le gouvernement même, cette injure gratuite à la royauté d'un pays, à peine échappé aux tempètes, pensez-vous que l'auteur repentant va revenir soudain à des sentiments meilleurs, à des idées justes, à ce je ne sais quoi de sain et de bien portant des belles œuvres, écrites dans le droit et dans le devoir? Si vous pensez cela, vous n'avez jamais su à quelles fureurs sourdes, à quelle violence intime, à quelle haine cachée peut se porter un esprit étroit, énervé, peu fécond, et peu viable. Puis comme on ne peut pas être toujours en fureur contre les royautés de ce monde, et toujours briser des sceptres, fracasser des couronnes, déchirer les pourpres, écraser les abeilles, gaspiller les fleurs de lis, on va du prince au sujet, on va des courtisans aux bourgeois; on tombe sur le bourgeois imbécile qui a la prétention de vivre en paix à l'ombre de ce trône pacifique. Oh! le bourgeois, voilà la bête de somme de la comédie et du drame. Il est bête, il est laid, il est gros, il est gras, il est égoïste, il est vaniteux, il est mesquin, il est avare, il est l'obstacle aux grands projets de l'avenir! Écoutez-les tous, ces grands réformateurs, si le bourgeois n'existait pas, le mal physique et le mal moral seraient inconnus de ce bas monde. Si le bourgeois n'existait pas, vous auriez là, du jour au lendemain, les phalanstères, les Élysées, les paradis terrestres, les ruisseaux de lait et de miel, tous les oasis et tous les rèves.

Le bourgeois.. c'est pis que si l'on disait le cosaque! II

Ainsi, autour de soi!

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n'aime rien, il ne sait rien; enfant, il a entendu dire qu'il y avait autrefois un roi nommé Louis XIV, qui vivait au milieu des splendeurs de la toute-puissance, entouré d'une douzaine de génies excellant dans tous les arts de la guerre et dans tous les arts de la paix, et c'est pourquoi, la belle raison! le bourgeois est resté l'admirateur obstiné du grand siècle; il croit aux maîtres, il a lu l'Art poétique de Despréaux, et même il en récite encore quelques bribes de temps à autre; il veut, encore aujourd'hui, faire lire à son fils aîné, le Télémaque de M. de Fénelon, et qu'il apprenne par cœur les fables de La Fontaine! O le bourgeois! Fi du bourgeois! Haro sur le bourgeois! Ainsi, le pauvre hère se voit enveloppé dans la haine et dans le mépris que les grands révolutionnaires portent à toutes les royautés présentes, passées et à venir, oubliant, ces révolutionnaires intrépides, que leur père était un honnête et pacifique bourgeois, marié à une fidèle et économe bourgeoise qui fut leur mère, et qui, pour élever ces Robespierre au petit pied, a vécu de gêne et de privations. on commence par haïr en haut, on finit par haïr Tel qui n'a pas de trône à briser, va porter des mains violentes sur son propre berceau, comme s'il fallait, de toute nécessité, que ce brave garçon brisat quelque chose. Au commencement de ces œuvres malséantes, le jeune homme était bon; il devient méchant par sa persévérance même, et plus il se sent isolé dans sa tentative avortée, et plus il se met à détester tant d'obstacles qui s'opposent à l'exercice immédiat de ses injustices et de ses rancunes. Que faire alors et que devenir? La jeunesse s'en va sans avoir produit une fleur; l'âge mûr arrive sans avoir donné un bon fruit; plus tard, dans cette âme pervertie et non pas perverse, il arrive que tout se change en fiel, en violence impuissante, en colère à voix basse; on commence à comprendre enfin les vanités de cette vie errante; on voit que l'on ne tient à rien, et que rien ne tient à vous; on voulait être un centre, on n'est même pas un point imperceptible de la circonférence immense; autour de vous tout se rapetisse, et même votre malheur qui est grand, et qui mériterait toutes les sympathies, apparaît aux gens indifférents dans des proportions si mesquines, que vous ressemblez beaucoup moins à un Catilina dans l'exil, qu'à un enfant que l'on châtie!

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