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S.-S

BIBLIO

A Monsieur Armand Bertin.

Ce livre que je reconstruis avec les matériaux épars dans un travail assidu de vingt-cinq années, sans avoir manqué une seule fois à ma tâche (et c'est vous-même que j'atteste), appartient à cette grande famille du Journal des Débats, dont M. Bertin lainé, votre digne père, et le nôtre, fut si longtemps l'exemple, le conseil, l'autorité.

Si mon admirable et bien aimé patron était encore de ce monde, avec quel empressement je lui aurais offert cet humble témoignage d'une reconnaissance toute filiale! Il ne m'eût pas refusé, cette fois encore, l'appui sérieux de son nom entouré d'honneur, de louanges et de respects.

Acceptez, je vous prie, et comme une conséquence de cet héritage illustre dont vous vous êtes montré si digne dans les temps les plus difficiles, l'hommage de ce livre, entrepris, sous les yeux bienveillants de votre père et de votre oncle, M. Bertin de Vaux, a l'heure où nous étions, les uns et les autres, en pleine jeunesse, en pleine espérance, exempts de toute ambition vulgaire, heureux du temps présent, et confiants dans l'avenir.

O les beaux jours, qui nous semblaient si loin de tous les deuils de cette maison! O les pages heureuses, écrites en toute liberte d'esprit et de conscience! Les auspices étaient si favorables, les astres étaient si cléments!

Février, 1853.

JULES JANIN

DE LA

LITTÉRATURE DRAMATIQUE

CHAPITRE PREMIER

Au mois de novembre, en 1829, à l'heure de la grande polé~ mique..... et la révolution de 1830 dans le lointain, mon heureuse étoile me conduisit au Journal des Débats; bientôt, après les premières tentatives d'un jeune homme qui cherche sa voie à travers l'inconnu, je me sentis adopté dans cette illustre maison qui fut vraiment, chez nous, le berceau du journal politique et du journal littéraire. On aurait peine à compter le nombre des constitutions, des gouvernements, des ministères, des renommées et des gloires auxquels le Journal des Débats a survécu; il a vu tomber la première république, il a fatigué l'empire, il a assisté, dans un désespoir éloquent, à la chute des deux monarchies; parmi tant de ruines et tant d'aventures, il est resté fidèlement à son poste, indiquant à la fois la route suivie et la route à suivre, et si, par misère, dans quelques journées malheureuses, quand toutes les lois sont écrasées, le journal s'est vu forcé au silence, on a trouvé que ce silence était une calamité publique. « Qui est semblable à Tyr, et toutefois elle s'est tue, au milieu de la mer? »

Maintenant, qu'après tant d'années d'un loyal service, il m'est permis de rechercher dans ces pages, abandonnées aux quatre vents du ciel, les quelques fragments qui méritent, peut-être, un

oubli moins complet que tout le reste, mon premier soin c'est de m'étonner moi-même de ma hardiesse à prendre, en mes mains malhabiles, la plume savante de M. Duviquet, mon prédécesseur, qui lui-même avait hérité, non sans bonheur et dans des circonstances bien difficiles, de la plume fameuse du grand critique Geoffroy, digne élève de son maître Fréron! Car voilà la sincère filiation des formidables critiques auxquels j'étais appelé à succéder, sans compter, dans l'intervalle, anneaux d'or d'une chaîne d'un plus dur métal, Charles Nodier on retrouverait, dans le feuilleton, sa trace charmante, et cet aimable esprit, ce véritable écrivain, Étienne Béquet, mort à quarante ans, laissant après lui, l'homme heureux ! deux ou trois pages qui ne peuvent pas mourir. Certes, le péril était grand, et bien m'en a pris de ne m'être pas rendu compte des difficultés de l'entreprise. Il est vrai que tout d'abord tant d'ambition ne m'était pas venue, et je m'estimais fort heureux lorsque de temps à autre, j'étais appelé à faire quelque sortie innocente au plus fort de la bataille politique de chaque jour. Le combat était ardent; les plus célèbres soldats des deux parts étaient à l'œuvre; où donc était l'obstacle, si dans l'intervalle, et quand les chefs ne donnaient pas, le jour où M. de Chateaubriand restait sous sa tente, où M. de Salvandy fourbis. sait ses armes bien trempées, les nouveaux venus de ma taille, les novices, les recrues essayaient leurs forces dans les combats d'avant-garde? Ainsi j'ai commencé ; j'ai écrit, qui le croirait? de graves articles dans le Journal des Débats, et vraiment je ne serais pas seul à sourire de moi-même, si l'on savait avec quel sans gène politique je traitais, en ce temps-là, M. Mangin, M. Cottu, M. le comte de la Bourdonnaye et M. le prince de Polignac. « J'étais donc un foudre de guerre? » Eh! je l'étais! On bâtissait une nouvelle chambre des députés, et je trouvais que l'architecte avait mal fait de changer la distribution de l'ancien local! On dédiait, sur la place Royale, une statue au roi Louis XIII, et je daignais approuver cet honneur, rendu au roi Louis le Juste, ainsi nommé parce qu'il était né sous le signe de la Balance! Tantôt j'approuvais tout à fait le roi et la reine de Naples d'être venus à Paris, « tout simplement en rois, et sans être protégés de l'incognito dont se couvraient jadis les rois voyageurs, » tantôt j'annonçais à la France qu'elle n'avait pas à s'inquiéter des coups

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