Page images
PDF
EPUB

HERACLIUS.

C'eft que j'ignore fi tout ce que je vois eft mensonge

ou vérité.

Comment ?

FREDERIC.

HERACLIUS.

C'eft que je me fuis dejà vu traité et vêtu en prince, et qu'enfuite j'ai repris mes anciens habits de peau. (il veut parler du château enchanté et de fon habit de gala.]

LISIP PO.

C'eft moi qui vous ai trompé par mes enchantemens; je vous ai menti ; j'ai menti auffi à Frédéric, quand je lui prédis en Calabre des infortunes; Dieu lui a donné la victoire ; je vous demande pardon à tous deux.

LIBIA.

J'implore à vos pieds fa grâce.

HERA CLIUS.

Qu'il vive, pourvu qu'il n'ufe plus de fortiléges.

A STOL PHE.

Et moi, fi je peux mériter quelque chofe de vous, je demande la grâce du fils de Phocas.

HERA CLIUS.

Léonide fut mon frère; nous fûmes élevés ensemble; qu'il foit mon frère encore.

LEONID E.

Je ferai votre sujet foumis et fidelle.

HERACLIUS.

Si par hafard une grandeur fi inefpérée s'évanouit, je veux goûter un bonheur que je ne perdrai pas. Je donne la main à Cintia.

CINTI A.

Je tombe à vos pieds.

(les tambours battent, les clairons sonnent, le peuple et les foldats s'écrient :)

Vive Héraclius! qu'Héraclius vive!

FREDERIC.

Que ces applaudiffemens finiffent.

HERACLIUS.

Efpérons qu'un roi fera heureux quand il commencera fon règne par être détrompé, quand il connaîtra qu'il n'y a point de félicité humaine qui ne paraiffe une vérité, et qui ne puiffe être un mensonge.

Fin de la troisième et dernière journée.

DU TRADUCTEUR

SUR

L'HERACLIUS DE CALDERON.

QUICONQUE

UICONQUE aura eu la patience de lire cet extravagant ouvrage, y aura vu aisément l'irrégularité de Shakespeare, fa grandeur et fa baffeffe, des traits de génie auffi forts, un comique auffi déplacé, une enflure auffi bizarre, le même fracas d'action et de momens intéreffans.

La grande différence entre l'Héraclius de Caldéron, et le Jules Céfar de Shakespeare, c'est que l'Héraclius espagnol eft un roman moins vraisemblable que tous les contes des Mille et une nuits, fondé fur l'ignorance la plus craffe de l'hiftoire, et rempli de tout ce que l'imagination effrénée peut concevoir de plus abfurde. La pièce de Shakespeare, au contraire, est un tableau vivant de l'hiftoire romaine, depuis le premier moment de la confpiration de Brutus, jufqu'à fa mort. Le langage, à la vérité, eft fouvent celui des ivrognes du temps de la reine Elifabeth; mais le fond est toujours vrai, et ce vrai eft quelquefois fublime.

Il y a auffi des traits fublimes dans Caldéron, mais prefque jamais de vérité, ni de vraisemblance, ni de naturel. Nous avons beaucoup de pièces ennuyeufes dans notre langue ; ce qui eft encore pis: mais nous n'avons rien qui reffemble à cette démence barbare.

Il faudrait avoir les yeux de l'entendement bien bouchés pour ne pas apercevoir dans ce fameux Caldéron la nature abandonnée à ellemême. Une imagination auffi déréglée ne peut être copifte; et furement il n'a rien pris, ni pu prendre de perfonne.

On m'affure d'ailleurs que Caldéron ne favait pas le français, et qu'il n'avait même aucune connaissance du latin ni de l'hiftoire. Son ignorance paraît affez quand il fuppofe une reine de Sicile du temps de Phocas, un duc de Calabre, des fiefs de l'Empire, et furtout quand il fait tirer du canon.

Un homme qui n'avait lu aucun auteur dans une langue étrangère aurait-il imité l'Héraclius de Corneille, pour le traveftir d'une manière fi horrible? Aucun écrivain efpagnol ne traduifit, n'imita jamais un auteur français jusqu'au règne de Philippe V; et ce n'eft même que vers l'année 1725 qu'on a commencé en Espagne à traduire quelques-uns de nos livres de phyfique; nous, au contraire, nous prîmes plus

de quarante pièces dramatiques des Espagnols, `du temps de Louis XIII et de Louis XIV. Pierre Corneille commença par traduire tous les beaux endroits du Cid; il traduifit le Menteur, la Suite du Menteur; il imita D. Sanche d'Arragon. N'eft-il pas bien vraisemblable qu'ayant vu quelques morceaux de la pièce de Caldéron, il les ait inférés dans fon Héraclius, et qu'il ait embelli le fond du fujet? Molière ne prit-il pas deux fcènes du Pédant joué de Cyrano de Bergerac fon compatriote et fon contemporain?

Il est bien naturel que Corneille ait tiré un peu d'or du fumier de Caldéron, mais il ne l'est pas que Caldéron ait déterré l'or de Corneille pour le changer en fumier.

L'Héraclius efpagnol était très - fameux en Espagne, mais très-inconnu à Paris. Les troubles qui furent suivis de la guerre de la fronde commencèrent en 1645. La guerre des auteurs se fefait quand tout retentissait des cris, point de Mazarin. Pouvait-on s'avifer de faire venir une tragédie de Madrid pour faire de la peine à Corneille? et quelle mortification lui aurait-on donnée ? il aurait été avéré qu'il avait imité fept ou huit vers d'un ouvrage efpagnol. I l'eût avoué alors, comme il avait avoué fes traductions de Guilain de Caftro quand on les lui eut injuftement reprochées, et comme il

« PreviousContinue »