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sophique, et nous sommes très enclins à les mettre à bas. Nous regardons rarement le passé, le possible, le praticable; nous considérons assidûment le beau, le bien, le juste en soi; nous aimons mieux ce qui est conséquent que ce qui est applicable; nous apercevons plus volontiers ce qui doit être que ce qui peut être; nous ne songeons pas à faire un gouvernement pour le Français que nous sommes, mais pour l'homme abstrait qui est en nous. Comme d'ailleurs nous avons le mépris facile, la moquerie prompte et la main leste, les actions suivent les pensées, et au bout d'un instant nous sommes au bord d'une révolution.

Au bout d'un instant nous sommes au fond d'une révolution. Car le pouvoir central, en ôtant tout ce qui lui faisait obstacle, a ôté tout ce qui lui donnait appui. Le nivellement des classes et des provinces, en préparant l'obéissance simultanée et facile, a préparé la défection simultanée et facile. On se soumettait à lui sans difficulté; sans difficulté on se soumet à son successeur. Les fonctionnaires, étant dociles, sont dociles envers tout le monde. L'armée, étant nationale et recrutée incessamment dans le public, suit à quelques pas en arrière la marche de l'opinion publique. Au bout de quelque temps, la chance a tourné. L'assentiment universel, qui semblait rendre le gouvernement invincible, s'est retiré. Il reste seul avec ses employés et ses soldats. Insensiblement, employés et soldats s'attiédissent; dorénavant un combat dans la rue suffit pour l'abattre. On voit s'établir une force ou une théorie qui se croit éternelle; nous vivions à son abri, un peu lassés, assez tranquilles, et très dociles, en attendant l'accès d'impatience ou d'enthousiasme prochain.

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C'est ainsi que la force des situations primitives et l'ascendant des inclinations innées ont accru à l'excès chez nous la puissance du gouvernement central et la fragilité du gouvernement central, l'esprit de révolution et l'esprit d'obéissance. Il n'est presque aucun parti qui ne maudisse l'un ou l'autre, croyant au premier aspect que, pour extirper la plante détestée, il suffira de remuer un pied de terre. La vérité est qu'elle plonge par ses racines entre-croisées et infinies jusqu'au fond du sol et jusqu'aux extrémités du champ où elle croît, attachée aux plus anciens et aux plus vastes événements de notre histoire, aux plus intimes et aux plus puissants de nos penchants et de nos facultés. Si nous obéissons volontiers, c'est que la division et l'impopularité de l'aristocratie, l'isolement, la timidité, l'humble condition de la bourgeoisie, les bienfaits du pouvoir central, le manque de volonté solitaire et personnelle, ont pendant sept cents ans effacé les libertés publiques, aboli les habitudes de résistance individuelle ou locale, fortifié le gouvernement général et central. Si nous faisons aisément des révolutions, c'est que le progrès continu de la classe moyenne, le nivellement universel, l'abolition de toutes les forces subordonnées, la puissance destructive de l'analyse, la confiance aux théories politiques, le goût de la logique pure, ont donné autorité à la philosophie politique, et ont laissé le gouvernement sans défense contre les accidents de la rue qui viennent aider la souveraineté de l'opinion. Il en est ici comme en Angleterre. L'histoire et la nature ont travaillé de tout leur effort à établir la constitution des deux pays ici la souveraineté du pouvoir central tempérée par l'ascendant de l'opinion et la menace de la révolution prochaine; làbas le gouvernement d'une aristocratie recrutée, conti

nuée, et appuyée par la nation. Ici, comme là-bas, vous trouveriez dans la littérature, dans la morale, dans la philosophie, dans les arts, dans la conversation, dans les goûts, dans les moindres détails et dans les moindres habitudes de la vie, dans le costume, dans les gestes, les traces des causes qui instituent, chez les uns et chez les autres, des formes de société et de gouvernement différentes; vous songeriez alors que la grandeur et le nombre des effets mesurent la puissance des causes; que, pour supprimer les effets, il faut supprimer les causes; que, pour abattre les obstacles qui empêchent chez nous l'avènement d'une aristocratie comme celle de l'Angleterre, il faudrait renverser cette prodigieuse légion de différences, et par conséquent refondre le Français jusque dans les plus minutieux détails de ses inclinations et de sa vie; vous concluriez, contre M. de Montalembert, comme contre M. Troplong, que, si nous pouvons observer les autres peuples comme des objets d'étude et de science, si nous devons les admirer comme des modèles de prospérité et de puissance, nous ne pouvons importer chez nous leur histoire ou leur caractère, ni chercher notre gouvernement ailleurs que dans notre nature et dans notre passé.

Placé sur ce terrain, on a plus de chance de bien voir et plus de plaisir à voir. Chaque nation apparaît comme une grande expérience instituée par la nature. Chaque pays est un creuset où des substances distinctes en des proportions différentes sont jetées dans des conditions particulières. Ces substances sont les tempéraments et les caractères. Ces conditions sont les climats et la situation originelle des classes. Le mélange fermente d'après des lois fixes, insensiblement. pendant des siècles, et aboutit

ici à des matières stables, là-bas à des composés qui font explosion. On aime à apercevoir le sourd travail qui fait bouillonner lentement et incessamment ces gigantesques masses. On se pénètre des incalculables forces qui broient, ou éparpillent, ou soudent ensemble la multitude des particules vivantes asservies à leur effort. On sent le progrès régulier qui, par une série comptée de transformations prévues, les amène à l'état défini et marqué. On jouit par sympathie de la toute-puissance de la nature, et l'on sourit en voyant la chimiste éternelle, par une mince altération des proportions, des conditions ou des snbstances, imposer des révolutions, fabriquer des destinées, instituer la grandeur ou la décadence, et fixer d'avance à chaque peuple les œuvres qu'il doit faire et les misères qu'il doit porter. C'est un spectacle grandiose que celui du laboratoire infini, étendu dans le temps et dans l'espace, où tant de vases divers, les uns éteints et renplis de cendres stériles, les autres agissants et rougis de flammes fécondes, manifestent la diversité de la vie ondoyante et l'uniformité des lois immortelles. Confinés dans un coin de l'espace et de la durée, éphémères, abrégés demain peut-être par le contre-coup d'une explosion ou par le hasard d'un mélange, nous pouvons cependant découvrir plusieurs de ces lois et concevoir l'ensemble de cette vie. Cela vaut la peine de vivre; la fortune et la nature nous ont bien traités.

Journal des Débats, 28, 29, 30 avril 1857.

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Les jeunes gens en Grèce.-Leur esprit et leur caractère.

LES JEUNES GENS DE PLATON.

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Les Dialogues.

49

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La curiosité et l'art en histoire. Le sens politique et
philosophique en histoire.

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Les mœurs féodales. Les mœurs de cour.
MADAME DE LA FAYETTE. La Princesse de Clèves

246

Le style. Les sentiments.

M. TROPLONG ET M. DE MONTALEMBERT. Chute de la République

romaine.

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De l'avenir politique de l'Angleterre.

Les révolutions à Rome et en France.

258

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La race, la

304

société et le gouvernement, en France et en Angleterre.

TABLE DES MATIÈRES..

Imp. de Vaugirard, H.-L. MOTTI, dir., 12-13, Impasse Ronsin, Paris

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