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nays libres s'abstiennent de vin', il est certain qu'il ne leur en faut donner, ou bien peu. Et pour ce qu'il y a trois poincts en leur esgard, l'œuvre, le chastiment et la nourriture, ne les punir et ne les faire travailler, et les bien nourrir, les rend superbes et outrecuidez; mais les mettre au labeur et au chastiment, et les laisser mourir de faim, c'est bien leur faire tort, et les mettre à une impossibilité. Il reste donc de les faire travailler et bien traicter3, veu qu'on ne peut commander à ceux qui n'attendent aucun loyer; et le loyer du serf, c'est la nourriture. Et comme de toutes autres personnes, quand on ne fait aux plus gens de bien le plus de bien, et que la recompense ne suit pas les merites, on les rend pires, ainsi est il des serviteurs ; et pour ce, il y faut avoir esgard, et leur despartir et relascher une chascune chose, selon qu'ils le me

1. Le grec ajoute ici : Comme les Carthaginois, par exemple, quand ils font la guerre....

2. C'est-à-dire, d'après le texte, les met dans l'impuissance de rien faire, les réduit à l'impossibilité d'agir. 3. Ce passage, que l'on peut rapprocher de la Politique, I, 5, § 11, justifie suffisamment Aristote que l'on a quelquefois accusé, et cela d'après le dernier ouvrage cité, I, 2, d'avoir été un partisan exclusif de l'esclavage. A une époque où, comme il l'atteste, ib., I, 2, § 16, des philosophes protestaient déjà contre cet odieux abus, on reconnaît qu'il n'a pas manqué lui-même à la philosophie et à l'humanité. Voy. M. Barthélemy-St-Hilaire, traduction de la Politique, t. I, p. 29, t. II, p. 165.

4. Ou la peine les fautes, ajoute ici le grec.

5. Bonus segnior fit, ubi neglegas. Salluste, Jugurtha, XXXVI.

ritent, c'est à sçavoir la nourriture, les vestemens, le loisir, et chastiment, ensuivans tant de parole comme d'effect, l'experience des medecins en la composition de leurs medecines, qui ont preveu que la medecine de laquelle on use trop souvent, se tourne en nourriture: mais les plus propres au travail sont ceux qui n'ont ny trop de crainte, ny trop de hardiesse, car ceux qui sont par trop craintifs, n'osent rien entreprendre; et ceux qui sont trop courageux, ne sont pas duits à la subjection 2: encores faut il qu'aux uns et aux autres la fin des labeurs soit ordonnee, d'autant que c'est une chose raisonnable et utile, proposer pour leur pris liberté 3, attendu qu'ils ont courage au travail, quand il y a recompense et que leur temps est limité. Il les faut aussi tenir en obeïssance, gardans comme ostages leurs enfans; et tout ainsi qu'on voit en une ville, n'en avoir beaucoup d'un mesme pays1; et faire les sacrifices et banquets plus pour les esclaves que pour les libres: car ils en sont lors mieux traictez, et pour ceste

1. Plus exactement cesse de l'être et n'est plus que nourriture.

2. V. ces mêmes détails dans Varron, de Re rust., I, 17. 3. Cf. Politique, IV, 9, § 9. Aristote confirma ces préceptes par son exemple; c'est ce que prouve son testament. V. Diogène de Laërte, liv. V, p. 169 et 170. Il y recommande de veiller à l'affranchissement et au bien-être de ceux qui l'ont fidèlement servi. Cf. M. Barthélemy-StHilaire, ouvrage cité, préface, p. xxxix.

4. Cf. Plato, de Legibus, l. VI, t. VII, p. 361 de la traduction de M. Cousin; Varron, ibid.

raison telles choses ont esté instituees. Pour parvenir aux biens, le bon pere de famille doibt garder quatre choses; car il faut qu'il puisse acquerir, puis contregarder', autrement il acquerroit pour neant2, car ce seroit puiser de l'eau avecques un panier, et ce qu'on dit, un tonneau pertuisé3: encores faut il qu'il les sçache mettre en ordre, et en bien user, d'autant que pour ceste raison nous en avons affaire. Et faut qu'il separe une chascune de ses possessions, et ait plus de biens portans fruict que de ceux qui ne rendent rien, et divise en ceste sorte ses trafiques', qu'elles ne soient toutes ensemble en danger. Et quant à leur garde, il est bon d'user de la façon des Perses et de ceux de Laconie : en

1. Menager..... On disait alors : contregarder sa santé, son bien; et aussi contregarder la liberté du peuple (Nicot). 2. Ovide a dit, Art. am., II, 13 :

Non minor est virtus quam quærere, parta tueri.

Voy. cette citation dans la Precellence et les remarques qui l'accompagnent, p. 181.

3. Pertuiser, percer; de là, pertuisane et encore aujourd'hui, pertuis (pertusus, pertundere). Pour ces préceptes, cf. Caton, c. 2; Pline, Hist. nat., XVIII, 5; AuluGelle, XIII, 23; etc.

4. Substantif alors souvent employé au féminin; on disait: La trafique et estat d'argentier (Nicot). — L'étymologie de ce mot est sans doute trans facere, ferre (faire exportation). Ménage refuse d'accueillir celle de trans mare fit, et c'est pour proposer à la place le terme italien fondaco (fripperie, boutique), qui, suivant lui, vient de l'arabe, prem. édit. de son Dictionn. étymologique ; ensuite transnavica (d'où transnavigatio), 2o édit. : long circuit, pour arriver à une erreur.

5. On trouvera dans l'Economique de Xénophon le dé

cores l'œconomie d'Athenes est utile, car en vendant ils achetent, et quant aux meubles de la maison, les moindres familles n'en sont fort garnies'. La façon des Perses est que le pere de famille mesme ordonne et visite toutes choses, qui est ce qu'a dit Dion 2 de Dionysius. Nul n'a tant de soing des affaires d'autruy que des siennes propres3: en sorte qu'il doibt avoir l'œil à toutes choses qui sont de son debvoir. En cest endroict, l'apophthegme du Perse et Lybien est fort à pro

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veloppement et l'explication de ces points qu'Aristote s'est contenté de toucher avec une brièveté excessive.

1. Le grec dit : « Quant aux provisions, les petites maisons n'ont pas coutume d'en faire. » On connaît le proverbe Provision, profusion. V. à ce sujet Plutarque, Vie de Pericles, c. 33.

2. En parlant de....On sait l'intimité de Dion et du premier Denys. V. Cornel. Nepos, Dion, X: « Erat intimus Dionysio priori, neque minus propter mores quam affinitatem..., etc. >>>

3. Au XVIe siècle toutefois, affaire était généralement du masculin. Sur un grand nombre d'exemples où ce mot est employé, Nicot n'en offre pas même un seul où il soit joint au féminin. Marot, à la fin de la pièce où il demande au roi « de le delivrer de prison >> :

Excusez moy pour

le mien affaire

Je ne suis point vers vous allé parler:
Je n'ay pas eu le loisir d'y aller.

Partout ailleurs il donne à ce substantif le genre masculin. Aussi s'étonne-t-on que Vaugelas ait écrit dans sa CCXXXVI* remarque : « Ce mot est toujours féminin à la cour et dans les bons auteurs, je ne dis pas seulement modernes, mais anciens; Amyot même ne l'ayant jamais fait que du féminin. » Dans les modernes, oui; mais au XVIe siècle, et dans Amyot en particulier, non, presque toujours. V. la Precellence, p. 116, etc.

pos: car l'un enquis qu'est ce qui rendoit un cheval en bon poinct, respondit, l'œil de son maistre ; et quand on demanda au Lybien quel estoit le meilleur fumier, il respondit, les pas du maistre'. Il faut doncques que l'homme ait l'œil à une chose, et la femme à une autre, ainsi que les affaires du reglement de la famille sont desparties à chascun d'eux; et ceste façon de faire doibt estre rare aux moindres maisons, et en celles ausquelles est necessaire commettre gens pour le maniement des affaires, on en doibt user plus souvent car on ne peut ensuivre bien celuy qui enseigne mal, soit à la sollicitation des affaires, soit aux autres choses; en sorte qu'il est impossible, les seigneurs n'ayans soing de leurs affaires, que ceux qui en sont chargez en soient soigneux 3. Et puis que telles manieres de faire sont fort honnestes et adressantes à vertu, et proufitables pour le gouvernement de la famille, il faut que les seigneurs s'esveillent avant que ceux qui sont à leurs services, et qu'ils prennent leur sommeil les derniers, et que leur maison, tout ainsi qu'une ville, ne soit sans garde;

1. Eschyle, les Perses, v. 169. Cf. Caton, de Re ruslica, c. 4; Phèdre, II, 8; Pline l'ancien, Hist. natur., XVIII, 5 et 6; Columelle, I, 1; III, 21; IV, 18; AuluGelle, II, 29; Plutarque, de l'Éducation des enfants, c. 27; enfin, La Fontaine, IV, 21.

2. Plus clairement dans le grec: l'administration des biens, ἐπιτροπεία...

3. Ainsi Varron avertit le maître: « non solum debere imperare, sed etiam facere. » I, 17.

La Boëtie.

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