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La belle gaillardise et le plaisir volage;

Mais apres, la rigueur de ton triste langage
Me monstre dans ton cœur la fiere honnesteté ;
Et condamné, je voy la dure chasteté

Là gravement assise et la vertu sauvage.

Ainsi mon temps divers par ces vagues se passe2: Ores son œil m'appelle, or3 sa bouche me chasse. Helas, en cest estrif", combien ay je enduré!

Et puis qu'on pense avoir d'amour quelque asseurance:
Sans cesse, nuict et jour, à la servir je pense,
Ny encor de mon mal ne puis estre asseuré.

1. Enjouement, hilarité, bonne humeur, et aussi vivacité. Montaigne, Ess., III, 5 : « C'est la gaillardise de l'imagination qui esleve et enfle les paroles. » On peut voir plus haut ce que dit H. Estienne du mot gaillard, p. 264, n. 2.

2. Se passe de diverse façon, bien différemment, dans ces fluctuations, dans ces incertitudes : encore une métaphore transcrite des anciens.

3. Ores et or répétés, ou ores, or, tantôt, tantôt : Ronsard se peint aussi, dans les Amours de Cassandre,

Ores doubteux, ores plein d'asseurance.

Il se montre, aimant à errer

Or sur un mont, or dans une vallee,
Or pres d'une onde à l'escart recelee.

Et Du Bellay, sonnet 93 de l'Olive:

Ores je chante et ores je lamente.

4. En ce débat...: v. pour ce mot p. 193, n. 3.

5. Et je ne puis encore avoir aucune assurance contre mon mal, aucune garantie de sa fin.

Rapprocher de ce sonnet la Ballade 10e et le Sonn. 111 de Pétrarque.

XXIV.

Or dis je bien, mon esperance est morte;
Or est ce fait de mon ayse et mon bien.
Mon mal est clair: maintenant je voy bien,
J'ay espousé la douleur que je porte.

Tout me court sus2; rien ne me reconforte';
Tout m'abandonne et d'elle je n'ay rien,
Sinon tousjours quelque nouveau soustien,
Qui rend ma peine et ma douleur plus forte.

1. On trouve également chez les Anglais cette acception figurée du verbe to espouse, se confondre, s'identifier avec. Ainsi Shakspeare, dans la tragédie de Henri V, acte IV, montre le duc d'York qui, étendu sur le champ de bataille avec Suffolk, compagnon de ses exploits, se traîne près de lui, pour expirer en l'embrassant, comme marié à la mort espoused to death.

2. On a déjà remarqué combien nos anciens goûtaient ces termes qu'ils avaient empruntés au noble art de la venerie, où ils se vantaient d'exceller, « se delectans par especial (surtout) en trois choses, en amours, en armes, et en chasse.» V. la Precellence de H. Estienne, p. 85, 86, 88; et les notes que j'ai données plus haut, p. 71 et 77. On sait que de telles expressions plaisaient fort à Montaigne, qui jugeait que «les formes de parler, comme les herbes, s'amendent et se fortifient en les transplantant. >> Ess., III, 5.

3. Comfort et comfortable, que nous avons repris récemment aux Anglais, leur viennent de nous; et ces mêmes mots, nous les avons aussi, comme l'observe H. Estienne, prêtés aux Italiens (Precellence, p. 234) : de là, Bembo: Cosi mi vien da voi gioia et conforto. Ainsi me vient de vous joie et confort;

et Pétrarque :

Speranza mi lusinga, e riconforta.
L'espérance me flatte et me reconforte.

Ce que j'attens, c'est un jour d'obtenir
Quelques souspirs des gens de l'advenir.
Quelqu'un dira dessus1 moy par pitié :

Sa dame et lui nasquirent destinez,
Esgalement de mourir obstinez,
L'un en rigueur, et l'autre en amitié 2.

XXV.

J'ay tant vescu chestif, en ma langueur',

1. On permet aux poëtes, disait encore Vaugelas (t. I, p. 353), d'employer, pour la commodité des vers, où une syllabe de plus ou de moins est de grand service, le composé au lieu du simple, dans des prépositions de cette nature; en d'autres termes, de dire dessus, dessous, dedans, dehors, pour sur, sous, dans, hors, les premiers mots ne devant dans la prose servir que comme adverbes. Mais peu après, Th. Corneille modifiait cette observation par la note suivante, placée à ce passage des Remarques (lb., p. 355): « On a rendu la langue françoise si pure, qu'il n'est plus permis aux poëtes, non plus qu'à ceux qui écrivent en prose, de mettre les prépositions composées pour les simples. Ainsi il faut dire en vers, sur, sous, dans, hors, et non pas dessus, dessous, dedans, dehors, lorsqu'il suit un substantif, et que ces prépositions ne peuvent tenir lieu d'adverbes. >>

2. Ces stances, pleines de mélancolie et simples avec charme, rappellent quelques traits d'une élégie de Properce, II, 1:

Una meos quoniam prædata est femina sensus,

Ex hac ducentur funera nostra domo...

Taliaque illacrymans mutæ jace verba favillæ :
Huic misero fatum dura puella fuit!

Cf. id., II, 13, 35; et Pétrarque, Sonn. 61, 99, et surtout 181.

3. Non ego sed tenuis vapulat umbra mea.

(Properce, II, 12, 20.)

Qu'or j'ay veu rompre (et suis encore en vie)
Mon esperance avant mes yeux' ravie,
Contre l'escueil de sa fiere rigueur.

Que m'a servy de tant d'ans la longueur?
Elle n'est pas de ma peine assouvie :
Elle s'en rit, et n'a point d'autre envie,
Que de tenir mon mal en sa vigueur.

Doncques j'auray, malheureux en aymant,
Tousjours un cœur, tousjours nouveau torment.
Je me sens bien que j'en suis hors d'haleine,

Prest à laisser la vie sous le faix 2:

Qu'y feroit on, sinon ce que je fais 3?
Picqué du mal, je m'obstine en ma peine".

XXVI.

Puis qu'ainsi sont mes dures destinees,
J'en saouleray, si je puis, mon soucy'.

1. Avant le jour qui éclaire mes yeux....

2. Ou fais, comme l'écrit Nicot, de fascis, que Virgile a employé dans le sens qui lui est ici donné en français (Egl., IX, 65):

Cantantes ut eamus, ego hoc te fasce levabo.

Cf. id., Georg., III, 347.

3. On avait alors la liberté de choisir entre je fay et je fais; je voy et vois ; je reçoy et reçois, etc.

4. Cf. Pétrarque, Sonn. 66, 75 et 104.

3. J'en nourrirai, j'en rassasierai ma douleur, je me plongerai de plus en plus dans mon infortune.... Saouler (saturare), que l'on prononçait soûler, dissyllabe, était fort reçu en poésie.

Si j'ay du mal, elle le veut aussi :
J'accompliray mes peines ordonnees.

Nymphes des bois, qui avez, estonnees,
De mes douleurs, je croy, quelque mercy,
Qu'en pensez-vous? puis je durer ainsi,
Si à mes maux trefves ne sont donnees 1?

Or si quelqu'une à m'escouter s'encline 2,
Oyez, pour Dieu, ce qu'ores je devine :
Le jour est pres que mes forces jà vaines

Ne pourront plus fournir à mon torment.
C'est mon espoir3: si je meurs en aymant,
Adonc, je croy, failliray je à mes peines".

1. Du Bellay s'adresse aussi, sonnet 54 de l'Olive, à ces confidentes des amants malheureux, pour les prendre à témoin de son martyre:

O demy dieux, o vous nymphes des bois,

Nymphes des eaux....

Si onc avez senty quelque amitié,

[voix,

Veuillez, piteux (émus de compassion), ouïr ma triste
Puis que ma foy, mon amour et mes vers

N'ont sceu trouver en ma dame pitié.

Cf. Pétrarque, Canz. 14.

2. Alors on disait également, au figuré comme au propre, incliner et encliner; ce dernier devait bientôt être proscrit; v. Remarques de Vaugelas, t. II, p. 274. Mais une trace de l'existence longtemps simultanée des deux formes, et du caprice de l'usage, devait subsister dans nos mots enclin et inclination.

3. Sic igitur prima moriere ætate, Properti: Sed morere; interitu gaudeat illa tuo.

Properce, II, 8, 18. Cf. Pétrarque, Ballade 6; Sonnet 59. 4. J'échapperai du moins alors à mes peines : Adonc signifiait alors, suivant Nicot; c'est ce qu'on voit aussi dans Villehardouin, c. 71, 137, 146, etc.

La Boëtie.

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