Page images
PDF
EPUB

Je veux, je veux, et le declare ainsi

S'il faut mourir, mourir comme Leandre1.

XIII.

Vous qui aymer encore ne sçavez,
Ores m'oyant parler de mon Leandre2,
Ou jamais non, vous y debvez apprendre3,
Si rien de bon dans le cœur vous avez.

Il osa bien, branslant ses bras lavez,
Armé d'amour, contre l'eau se defendre,
Qui pour tribut la fille voulut prendre,
Ayant le frere et le mouton sauvez".

1. Ce sonnet rappelle un joli rondeau d'un contemporain de La Boëtie, Jean Couppel (v. le recueil intitulé : Le puy du souverain amour, Rouen, 1543, in-8°) :

Si

pour aller veoir sa dame on se meut,

Il ne nous chaut s'il tonne, gresle ou pleut,
Disans: Amour nous peut de mal defendre:
Amour peut tout!

Rapproch. de cette pièce la Canzone 2o de Pétrarque, et les Sonnels 87 et 88 du même.

2. On peut voir sa triste fin dans le poëme grec de Musée, qui fut traduit en latin, dans la seconde partie du xvi siècle, par Florent Chrestien, précepteur de Henri IV. Auparavant Marot avait mis en vers français les amours de Leandre et d'Ero: sur leur histoire, consulter un mémoire dans le recueil de l'Académie des Inscriptions, par de La Nauze, t. VII, p. 240.

3. Vous devez apprendre par là, ou vous n'apprendrez jamais; c'est-à-dire vous apprendrez, si vous devez jamais l'apprendre....

4. L'Hellespont, aujourd'hui détroit des Dardanelles. Son nom antique venait d'Hellé qui, pour se dérober à la haine de sa belle-mère, s'enfuit, dit-on, avec son frère Phryxus, sur le dos du bélier à la toison d'or et tomba

Un soir vaincu par les flots rigoureux,
Voyant desjà, ce vaillant amoureux,
Que l'eau maistresse à son plaisir le tourne,

Parlant aux flots, leur jecta ceste voix :
Pardonnez moy maintenant que j'y vois,
Et gardez moy la mort quand je retourne1.

XIV.

O cœur leger, ô courage mal seur,
Penses tu plus que souffrir je te puisse ??

dans les flots où elle périt: v. Ovide, Met., IV, S14; Epist. XIX, 128; Properce, II, 26, 5; Pausanias, IX, 34.

1. C'est la traduction d'une épigramme de l'Anthologie, que l'on retrouve dans Martial, de Spect., 25.

Quum peteret dulces audax Leandrus amores,
Et fessus tumidis jam premeretur aquis ;

Sic miser instantes affatus dicitur undas:

Parcite, dum propero; mergite, dum redeo.

Cf. Martial, XIV, 181 ; Ovide, Epist. XVIII et XIX; Virgile, Georg., III, 259; lord Byron, Fiancée d'Abydos, ch. II, § 1, etc.

Déjà, Rabelais avait reproduit cette épigramme en français, «< III, 27: Leander d'Abyde en Asie, nageant par la mer Hellesponte pour visiter s'amie Hero de Seste en Europe, prioit Neptune et tous les dieux marins :

Si en allant je suis de vous choyé

Peu au retour me chaut d'estre noyé.

V. aussi à ce sujet les Etudes sur La Boëlie, p. 160.

2. Penses-tu que je puisse te souffrir d'avantage, te souffrir désormais? C'est à peu près ainsi que Properce se plaint de sa maîtresse, El., II, 32, 17 et sqq.

O bonté creuse, ô couverte malice,
Traistre1 beauté, venimeuse doulceur.

Tu estois donc tousjours sœur de ta sœur2?
Et moy trop simple, il falloit que j'en fisse
L'essay sur moy; et que tard j'entendisse
Ton parler double et tes chants de chasseur 3?

Depuis le jour que j'ay prins1 à t'aymer,
J'eusse vaincu les vagues de la mer :
Qu'est ce meshuy que je pourrois attendre?

Comment de toy pourrois je estre content?
Qui apprendra ton cœur d'estre constant,
Puis que le mien ne le luy peut apprendre?

XV.

Ce n'est pas moy que l'on abuse ainsi :
Qu'à quelque enfant ses ruses on employe,
Qui n'a nul goust, qui n'entend rien qu'il oye !..
Je sçay aymer, je sçay haïr aussi.

Contente toy de m'avoir jusqu'ici

Fermé les yeux; il est temps que j'y voye,
Et que meshuy las et honteux je soye
D'avoir mal mis mon temps et mon soucy.

1. On disait plus généralement au féminin traistreuse (forme empruntée à l'anc. adjectif traistreux): v. Nicot. 2. Sœur de l'inconstante Vezère: allusion au sonnet 9. 3. Tes chants qui trompent comme celui du chasseur, ou plus justement de l'oiseleur.

4. Que je me suis pris.... 5. A l'égard de, avec.... 6. Comprenne....

Oserois tu, m'ayant ainsi traicté,
Parler à moy jamais de fermeté1?
Tu prens plaisir à ma douleur extreme;

Tu me defens de sentir mon torment,
Et si veux bien que je meure en t'aymant:
Si je ne sens, comment veus tu que j'ayme2?

XVI.

Oh! l'ay je dit? Helas! l'ay je songé,
Ou si pour vray j'ay dit blaspheme telle3?
S'a faucé langue, il faut que l'honneur d'elle,
De
moy, par moy, dessus moy, soit vengé.

Mon cœur chez toy, ô ma dame, est logé :
Là donne luy quelque geene nouvelle,
Fay luy souffrir quelque peine cruelle;
Fay, fay luy tout, fors luy donner congé.

Or seras tu (je le sçay) trop humaine,

1. Ce mot désignait, comme on le voit, la constance

en amour.

2.Rapproch. de cette pièce la Canzone 2o de Pétrarque. 3. Ce substantif, alors féminin, s'écrivait aussi blasfeme. 4. Si (ma) langue a faucé, c'est-à-dire a trahi la vérité (faucer se trouve dans Roquefort, t. F, p. 578) : les éditions de Montaigne portent s'a fauce langue; ce qui me paraît peu susceptible d'explication.

5. Dissyllabe: c'est une contraction de gehenne, torture, supplice, d'où nous avons fait gêne, en amoindrissant le sens autant que le mot. V., pour la signification primitive, Erasme, ad decimum caput Matthæi; un vers de Boileau la rappelle encore, Sat., VII, 31 :

[blocks in formation]

1.

Et ne pourras longuement veoir ma peine:
Mais, un tel fait, faut il qu'il se pardonne?

A tout le moins, hault je me desdiray
De mes sonnets, et me desmentiray1:
Pour ces deux faulx, cinq cens vrais je t'en donne.

XVII.

Si ma raison en moy s'est peu remettre,
Si recouvrer astheure 2 je me puis,

Si j'ay du sens, si plus homme je suis,
Je t'en mercie3, ô bienheureuse lettre.

Qui m'eust (helas!) qui m'eust sceu recognoistre,
Lors qu'enragé, vaincu de mes ennuis,
En blasphemant ma dame je poursuis?..
De loing, honteux, je te veis lors paroistre,

O sainct papier: alors je me revins,
Et devers toy devotement je vins :
Je te donrois" un autel pour ce fait,

....

Nunc ego mitibus

Mutare quæro tristia, dum mihi

Fias recantatis amica

Opprobriis, animumque reddas.

(Horace, Od., I, 16, 25.) 2. Astheure, asteure, asture (à cette heure), locution gasconne, que le peuple a retenue. On la rencontre plus d'une fois aussi dans Montaigne.

3. Déjà Nicot remarquait au sujet de ce verbe : « on dit plus communeement remercier ; c'est rendre graces de la mercie receuë, c'est-à-dire du bienfait receu. » En espagnol, merced, en italien, merce, signifient aussi miséricorde et bienfait.

4. Marot, 39 psaume, emploie la même syncope: & Sei

« PreviousContinue »