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AVERTISSEMENT.

il

Le Discours de la Servitude volontaire est le seul des ouvrages de La Boëtie parvenus jusqu'à nous, dont nous ne devions pas la conservation à Montaigne. Non toutefois qu'il ne l'ait jugé digne d'être transmis à la postérité; on peut juger de son estime, j'oserai dire de son admiration pour cette œuvre par la manière dont en parle dans les Essais, I, 27: «Ma suffisance ne va pas si avant que d'oser entreprendre un tableau riche, poly, et formé selon l'art. Je me suis advisé d'en emprunter un d'Estienne de La Boëtie, qui honorera tout le reste de cette besongne : c'est un discours auquel il donna nom La Servitude volontaire,.. escrit.. à l'honneur de la liberté contre les tyrans. Il court piecà es mains des gens d'entendement, non sans bien grande et meritee recommandation; car il est gentil2 et plein au possible. » Il est vrai qu'il revint sur sa première pensée; mais ce fut par une de ces considérations de prudence qui plaisaient à son esprit cir

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1. Depuis longtemps..... Sur le mot pieçà on peut voir une discussion curieuse de H. Estienne, Traité de la conformité du langage françois avec le grec, Paris, 1569, p. 10 et suiv.

2. Le mot gentil avait alors une acception plus étendue que de nos jours; on en peut juger par ce passage de Henri Estienne dans sa Precellence : « la langue Grecque est plus gentille et de meilleure grace qu'aucune autre, et le langage françois ensuit (insequitur) les jolies, gentilles et gaillardes façons grecques de plus pres qu'aucun autre. »>

conspect, ennemi de toute idée extrême, surtout en politique. Peut-être son bon sens clairvoyant lui montrait-il trop bien les erreurs et les fautes des partis pour qu'il pût appartenir à aucun; « parce que, ajoutet-il plus loin, j'ai trouvé que cet ouvrage a esté depuis mis en lumiere par ceux qui cherchent à troubler et changer l'estat de nostre police, sans se soucier s'ils l'amenderont, et qu'ils l'ont meslé à d'autres escrits de leur farine, je me suis desdit de le loger icy.

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C'est qu'en effet les protestants, parmi lesquels le gouvernement qui régissait alors la France comptait plus d'un ennemi, s'étaient fait, comme on l'a vu, une arme de son discours; ils l'avaient imprimé à Middelbourg, dans un recueil qui parut en 1576, sous ce titre Memoires de l'Estat de France sous Charles Neufiesme, contenans les choses les plus notables, faites et publiees tant par les Catholiques que par ceux de la Religion, depuis le troisiesme Edit de pacification fait au mois d'aoust 1576, jusques au regne de Henry Troisiesme. 3 vol. petit in-8° (Meidelbourg)1.

1. Cet ouvrage contient outre le récit des Massacres de ceux de la religion à Rouen, en beaucoup de lieux, etc., la France Gaule ou Gaule Françoise de F. Hotoman; le Traité du drocit des magistrats sur les subjects ; les apophthegmes et discours recueillis de divers auteurs contre la tyrannie; les jugemens de Dieu contre les tyrans; le Politique, dialogue traictant de l'auctorité et des debvoirs des princes; un Traicté des diverses puissances establies de Dieu au monde et du gouvernement legitime d'icelles ; le Discours merveilleux de la vie, action et deportemens de Catherine de Medicis, etc.

Quelques mots de la préface feront connaître l'esprit de ce recueil: «Qu'on lise les plus tragiques histoires depuis mille ans trouvera on une histoire accompaignee de tant de perfidies et de cruautez que celle dont les memoires vous sont maintenant

Dans la première édition de ces précieux mémoires1, que je n'ai pas trouvée, malgré bien des recherches, le Discours de la Servitude volontaire est, ainsi que nous l'apprend La Monnoye2, au feuillet 83 du troisième volume. Dans la seconde, que j'ai eue entre les mains, et je parle de celle que Brunet mentionne comme la meilleure, il commence, page 116 au verso, troisième volume également; il a été ensuite réimprimé parmi les pièces jointes à l'édition des Essais de Montaigne, donnée en 1727, 5 volumes in-12, Genève. Coste, en 1740, le publia avec des notes dans le volume in-4° intitulé: Supplément aux Essais de Michel de Montaigne; depuis cette époque il n'en a guère été séparé.

Le texte du discours, tel qu'il a été inséré dans les Memoires de l'Estat de la France, a dû être la base de

presentez? Dire la vérité, ce n'est point diffamer; mais libelles diffamatoires sont ceux qui justifient les meurtres de tant de personnes innocentes, de tant de vieillards, dames honorables, femmes aagees, femmes enceintes, filles et jeunes enfans.... >>

1. Barbier, dans son Dictionnaire des Anonymes, les mentionne ainsi, 2e édit., t. IV, p. 72, Supplément : «Memoires de l'Estat de France sous Charles IX (recueillis par S. Goulart) Meidelbourg, 1576; seconde édition augmentée, 1578, 3 vol. in-8° : elle a été imprimée en gros et en petits caractères. » Brunet, dans son Manuel du Libraire, après avoir donné le titre en entier, comme nous l'avons cité plus haut, ajoute: « L'édition de 1578 est plus complète que celle de 1576; toutefois il a été fait sous cette même date de 14578 deux éditions, l'une en petits caractères, l'autre en gros: c'est cette dernière que l'on préfère. Il faut qu'on trouve à la fin du tome les mémoires de la troisième guerre civile et des derniers troubles de France (par Jean de Serres). » T. 1, p. 346, dernière édition.

2. Dans ses notes sur la Bibliothèque de La Croix du Maine, au nom de La Boëtie.

notre travail; mais il fallait le purger de beaucoup de fautes. Pour y parvenir, nous avons conféré plusieurs des éditions suivantes : parmi les secours qui nous ont été les plus utiles, nous devons mentionner surtout avec reconnaissance l'édition donnée par M. V. Le Clerc, à la suite des Essais de Montaigne, en 1826, et celle que M. de La Mennais a fait paraître en 1835.

DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE'.

D'avoir plusieurs seigneurs aucun bien je ne voy; Qu'un sans plus soit le maistre, et qu'un seul soit le roy 2:

ce dit Ulysse, en Homere, parlant en public. S'il n'eust dit, sinon

D'avoir plusieurs seigneurs aucun bien je ne voy,

cela estoit tant bien dit que rien plus *. Mais au lieu que pour parler avecques raison, il falloit dire que la domination de plusieurs ne pouvoit estre bonne, puis que la puissance d'un seul, des lors qu'il prend ce tiltre de maistre, est dure et desraisonnable, il est allé adjouster tout au rebours: Qu'un sans plus soit le maistre, et qu'un seul soit le roy.

1. «Estienne de La Boëtie, remarque Montaigne, Essais 1. I, c. 27, donna nom à son discours La Servitude volontaire mais ceux qui l'ont ignoré l'ont bien proprement depuis rebaptisé Le contre un. » C'est ce titre que, suivant La Monnoye (voy. son édition des Jugements des Savants par Baillet, t. VII, p. 365), de Thou a traduit assez mal par celui d'Anthenolicon: Hist., 1. V, c. 13, et 1. XXXV, c. 15: «Nec Anthenolicon ejus sileri debet.... libellus qui Anthenolici titulo sive de spontanea servitute inscribitur....>>

2. Iliade, II, 204, 205.

3. Ainsi s'exprime Ulysse....

4. S'il se fût contenté de dire...., c'était aussi bien dit que possible, qu'aucune autre chose....

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