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fait, et es convaincu de sçavoir, autant que moy, du fait des moissons? J'en suis en grand danger, dis je; mais je veux encores adviser si je sçay point batre.

Or doncques, dis moy pour veoir, fait il, sçais. tu point cela, que toutes bestes de voiture' batent le blé? Ouy dea2, dis-je. Et sçais tu pas qu'on appelle bestes de voiture les bœufs, les asnes, les chevaux, tous d'une sorte; et en sçais tu d'autres, à ton advis, qui peussent rompre le blé aux pieds, qui les toucheroit ? Nulles autres, dis je. Mais, dis je, comment le bateront ils ainsi qu'il faut? et comment se pourra esgaler la baterie du blé au sol? par quel moyen cela, ô Socrates? Par le moyen, dis je, de ceux qui gou

1. De somme....

2. C'est le dea des Latins, dit Roquefort: par la déesse! Cette interjection, qui, suivant Nicot, « enforce la diction »>, répond à certes. Rabelais, II, 9: « Dea, mon amy, je ne fay doubte aucun que ne sçachiez bien parler divers langages.» Cf. Id., 30.

3. Ce second membre de phrase est tronqué; il faut dire: Et ces bêtes de somme savent-elles autre chose, à ton avis, que fouler le grain sur lequel on les conduit ? Non certes, répond Socrate.

4. Dès le temps de Vaugelas, on ne disait plus que je baltrai, etc.

5. Plutôt : Comment battront, broyeront-ils ( ces animaux, sous-ent.) ce qui doit être battu, broyé?

6. C'est-à-dire comment les épis étendus sur l'aire présenteront-ils une surface plane, égale? A qui le soin d'y veiller appartient-il? Pour ces détails, cf. Columelle et Pline, loc. laud.; Varron, I, 52; Virgile, Georgiq., I, 177 et suiv.

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vernent le sol ': car tirans les gerbes, et mettans tousjours sous les pieds des jumens2 ce qui n'est pas rompu, ils feront aller tout d'un train aussi bien ce qui va dessous que l'autre3, et si avanceront plus ainsi. Doncques, dit il lors, il n'en est rien à dire, ô Socrates, qu'en ceci tu n'en sçaches autant que moy. Apres cela, dis je, ô Ischomache, ne nettoyons nous pas le blé en vannant ? Dis moy, ô Socrates, dit il, sçais tu pas bien que si tu commences à vanner devers le bout qui est contre le vent, toute la bale s'en volera par tout le sol? Il n'y a point de fautes, dis je. Et par ce moyen, dit il, tomberoit elle pas sur le blé? Ouy, dis je, car elle auroit bien affaire de passer par dessus tout le monceau de blé, et aller en la place du sol qui est vuide. Et si on commence, dit il, à vanner au dessous du vent? Il est aysé à veoir, dis je, que la bale sera à son monceau à part. Mais, dit il, apres que tu auras bien esventé le blé jusques au milieu de l'aire, le laisseras tu ainsi espars, et

1. En d'autres termes des ouvriers qui travaillent à l'aire, qui la façonnent.

2. Dans le sens de jumenta des Latins (a jungendo, dit Nonius, c. 1).

3. Ils feront en sorte que tout sera foulé également.... Cf. sur ces détails, Homère, Iliade, XX, 495; Théocrite, Idyl. X, v. 54; Geopon., II, 14; et Mém. de l'Acad. des Inscript., t. IX, p. 350.

4. Aujourd'hui on écrit plus généralement balle (sauf toutefois les botanistes qui ont conservé bale): c'est la pellicule qui recouvre la semence; l'enveloppe du grain. 5. Cela doit être....

esventeras soudain le demeurant; ou si tu amasseras le blé en un monceau, et le serreras à part pour tenir le moins de place qu'il sera possible? Ouy certes, dis je, je serreray le net à part, à fin qu'apres en esventant le reste, la bale passe par dessus, et aille au lieu du sol qui est vuide, et qu'il ne me faille retourner deux fois à vanner mesme blé. Pour vray, ô Socrates, quant à faire que le blé soit promptement net, tu en sçais assez pour l'enseigner à quiconque le voudroit apprendre.

A ce compte, dis je, j'ignorois que j'en sceusse tant moy mesme, et si' je le sçavois fort long temps y a; et pour vray je pense en moy mesme si, possible, je sçaurois point fondre l'or et jouer des flutes, et peindre, et qu'encores je ne m'en fusse pas prins garde. Il est vray que personne ne m'y a jamais enseigné; mais si n'a pas personne, non plus, à cultiver la terre. Or voy moy les hommes travaillans aux autres mestiers tout de mesmes qu'en l'agriculture. - Et ne t'ay je pas dit, long temps y a, dit Ischomache, que l'agriculture estoit le plus noble mestier du monde, pour cela encores qu'il est plus facile à apprendre que tout autre? Or bien, dis je, ô Ischomache, j'entens à ceste heure; et de vray, voylà comment je n'avois jamais plus sceu que je sçavois semer. Mais le plant des arbres est ce aussi du fait de l'agriculture? Ouy vrayement, dit Ischomache. Et

1. Et cependant, toutefois....

comment doncques se fait cela que je sçache semer, et que je n'entende rien à planter ? Que tu ne l'entens pas, dit il? Et comment le sçaurois je, dis je, qui n'entend' ny en quelle terre il faut planter, ny de quelle profondeur, ny de quelle largeur, ny de quelle grandeur les sauvageons doibvent estre, ny en quelle sorte il les faut mettre en terre, à fin qu'ils prennent et jectent2 mieux. Et viens çà doncques, dit Ischomache, et apprens ce que tu ne sçais pas. Tu as bien veu, j'en suis seur, des fosses qu'on fait pour des arbres, et comment elles sont faites3. Ouy, et bien souvent, dis je. Quoy doncques, en veis tu jamais qui fust profonde plus de trois pieds"?

1. On dirait aujourd'hui qui n'entends, puisque je n'entends. Le tour employé ici par La Boëtie, d'abord seul en usage, fut ensuite toléré jusqu'à Vaugelas, qui fixa la règle en écrivant dans ses Remarques,

III, p. 420 : qui lui donna

<< Plusieurs s'expriment ainsi : ce fut moi ce conseil. C'est une façon de parler où je crois qu'il y a un solécisme. Il faut mettre qui lui donnai ;......... qui, étant relatif de moi, ne peut servir de nominatif qu'à une première personne. >>

2. Poussent.... Jeclon, rejeton. Ainsi Bonaventure des Periers, dans la pièce gracieuse qu'il adresse à Jean du Peyrat (1539):

L'aube vermeille
Reveille

Du vert rosier les jectons.

Jeter se dit encore des arbres ou des plantes qui produisent des bourgeons ou des scions; jet désigne ces bourgeons ou ces scions eux-mêmes.

3. Consult. à ce sujet Théophraste, de Caus. plant., III, 5 et 18.

4. Le pied grec n'avait que onze pouces et cinq lignes

La Boëtie.

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Non certes, dis je, ny deux et demy à grand' peine'. Et quoy, dit il, en as tu veu qui eussent plus de trois pieds en largeur ? Non, ny deux, feis je. Et viens çà, dit il, respons moy encores à ce poinct; en veis tu jamais de moins profonde que d'un pied? Non certes, dis je, qui n'eust pour le moins un pied et demy: car on les aveindroit2 en labourant à bras la terre, s'ils estoient ainsi plantez à fleur de terre. Et doncques sçais tu pas bien qu'on n'en plante point plus profond que de deux et demy, ny moins que d'un et demy? Cela est bien, dis je, si clair qu'il n'est pas possible qu'on ne le voye. Et quoy, dit il, cognois tu la terre seiche et l'humide, quand tu la vois ? Il me semble que les terres d'autour de Licabet sont seiches, et celles qui leur ressemblent; et humides celles du marez de Phalere, et autres pareilles à celles là. Où feras tu doncques la fosse pour la plante que tu as à faire, ou bien à la

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de notre pied qui en a douze, la ligne devant avoir l'épaisseur d'un grain d'orge.

1. Parmi nous ces fosses sont en bonne terre de six pieds carrés. Sur la profondeur de celles des anciens, cf. Théophraste, Hist. plant., II, 7; Caton, de Re rust., c. 43; Pline, XVII, 16; Columelle, III, 13, V, 10 et liv. de Arbor., c. 19.

2. Les sauvageons, c'est-à-dire les jeunes plants, sous-ent. 3. Plutôt Lycabette; c'était une colline située dans l'intérieur d'Athènes, en face de la citadelle.

4. On sait que Phalère était un port éloigné d'Athènes de cinq mille pas, et dont les alentours étaient marécageux; v. Pline, IV, 7.

5. Plante se prenait souvent alors pour synonyme, comme on le voit dans Nicot, de plant et de plantation

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