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donner le blasme, au mary, ou à la femme? Le plus communeement, respondit Socrates, quand le bestail a quelque mal, on en charge le berger. Et le plus souvent, si le cheval est hargneux et malfaisant, nous en donnons la coulpe à l'escuyer. Mais quant à la femme, si ayant esté enseignee par son mary à bien faire, elle fait mal, lors croiray je bien qu'à bon droict elle en auroit le blasme mais si le mary, n'ayant rien enseigné à la femme de bon et honneste, la treuve apres mal apprinse en l'usage des choses, n'est ce pas sur luy qu'en doibt tomber le reproche? Et à bon escient, ô Critobule, dis nous en la verité toy mesme, je te prie, car nous sommes ici tous

blesser quelqu'un, lui nuire; ainsi Ronsard accuse, ses Amours de Cassandre,

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dans

Gaston de Foix, dans son Miroir de la Chasse, ouvrage fort goûté de H. Estienne : « Les ours estreignent aucunesfois un homme ou chien si fort, qu'ils l'affolent ou tuent; » p. 12. V. encore lb., p. 19, 23, 51 et 61; cf. Rabelais, IV, 47. L'étymologie de ce mot, suivant Ménage, est inconnue. Elle n'est peut-être autre qu'afficere. En tout cas il faut regarder comme puérile celle que donne Du Cange: «Affoler, leviter lædere, quod facere solent qui invicem, follorum instar (comme des fous, de follis, ballon, cerveau vide), nugantur vel se propellunt. » Ailleurs Du Cange remarque avec plus de raison qu'affoler, ce n'est pas blesser légèrement.

1. «Plutôt hergneux, dit Nicot, car il semble qu'il vient de herniosus. Herniosi enim sunt admodum morosi, ob acrem dolorem, quo sæpe cruciantur. »

2. (Culpa) d'où coupable; nous en imputons la faute........

liais', y a il personne du monde en qui tu te fies tant de plus de choses d'importance, comme en la femme? Non vrayement, dit il. Et y a il personne, avecques qui tu parles et raisonnes moins qu'avecques elle?—Il n'en est guieres, dit il, et possible point. - Et quand tu l'espousas, n'estoit elle pas jeune et encores fort enfant, et qui n'eust sceu avoir ny moins ouy ny moins veu qu'elle avoit? Certes non, dit il. Il faudroit doncques, respondit Socrates, beaucoup plus

1. De là liaison: plus généralement, toutefois, on écrivait liez pilot, dit le grec.

On lit dans l'édition primitive lais: il m'a paru qu'il y avait là faute d'impression. En effet aucun sens des anciens termes lai, lais, ne correspond à l'expression donnée par le grec: autrefois lais (læsus) blessé ; lait, injure, de là laid; lai (de laier) laissé, abandonné; lais (legatus) envoyé, et aussi mondain; lay et lais, homme et gens du peuple (laós, daïxós), acception que l'on trouve dans Vigenère; enfin genre de poësie. Rien de commun entre tous ces mots et celui de píλo: Nous n'avons autour de nous que des compaguons, des amis. Une seule supposition, mais bien peu probable, porterait à admettre lais dans le dernier sens où l'a employé Vigenère; ce serait la pensée que La Boëtie aurait lu to; mais cette leçon, si elle s'était offerte à lui, il l'eût sans doute réformée par beaucoup de raisons.

2. Pour s'expliquer cette demande et cette réponse qui peuvent étonner les modernes, il faut se reporter au souvenir des mœurs anciennes et en particulier de celles des Athéniens. Chez eux, les femmes vivaient à part; elles habitaient un appartement séparé, ne mangeant pas même à table, quand il y avait des étrangers. Les hommes ne recherchaient guère que la société des courtisanes. V. le discours contre Néère (dans les œuvres de Démosthène); Platon, des Lois, 1. VI, vers la fin; Plutarque, traité de la Curiosité, c. 15; cf. Barthélemy, Voyage d'Anach., c.

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s'esbahir si elle sçavoit ou dire, ou faire aucune chose comme il faut, que de la veoir faillir en l'une ou en l'autre. Mais ceux, ô Socrates, qui ont les bonnes femmes que tu dis, ne pourroit on point adviser en quelque sorte comment ils les ont enseignees'? Je te mettray devant Aspasie 2, dit il, qui te fera entendre toutes ces choses beaucoup plus doctement que je ne sçaurois faire. Mais de ma part, je pense quand la femme est loyale compaigne de la maison, s'il falloit juger qui a plus de part au bien, ou le mary, ou elle, ils balanceroient fort. Car le

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1. Ne pourroit, etc., sens altéré. Le grec dit simplement ceux-là les ont donc élevées, instruites eux-mêmes? 2. Aspasie était devenue l'épouse de Périclès, après avoir été sa maîtresse; et l'on sait que, dans sa maison, s'était réunie longtemps la meilleure compagnie d'Athènes. Son éloquence, la profondeur et les agréments de son esprit ont souvent été célébrés par les Grecs : Cons. l'Introduction au Voyage d'Anacharsis, part. II, sect. 3. Si l'on en croit Fronton (voy. ses Lettres, t. 11, p. 246 de 'édit. Cassan), Socrate même avait été son élève. Cf. Platon, Menexène.

3. On a déjà vu que dans les mots, aujourd'hui terminés en agne, la finale aigne était alors préférée, mais seulement pour l'écriture. Ainsi Mlle de Gournay, dans sa Peinclure de mœurs adressée au président d'Espaignet :

Nostre abord commencea, lorsque du grand Montaigne
J'allay veoir le tombeau, la fille et la compaigne....

Par là on reconnaît que nous devrions, à l'exemple de Malebranche et de Pascal, appeler l'auteur des Essais, Montagne. Qu'au XVIe siècle, telle fut la manière de prononcer ce nom, c'est ce qui paraît évident, puisque l'on faisait rimer Espaigne avec Mariane. V. toutefois à ce sujet l'opinion de M. Ampère, Histoire de la formation de la Langue française, p. 414.

plus souvent les biens entrent en la maison par le fait du mary, et communeement la mise ' se fait et se gouverne par la conduite de la femme. Et si l'un et l'autre va bien comme il faut, la maison s'augmente si mal, elle diminue. Apres, je pense bien que je ne failliray 2 pas à te monstrer aussi les meilleurs maistres, et les plus recommandables de tous autres maistres3, si tu cuides' que cela te puisse servir en quelque chose. Mais à quoy faire est il besoing, ô Socrates, dit Critobule, que tu me monstres ainsi tous ces arts? car d'en recouvrer de chascun les ouvriers tels qu'il les faut, il n'est pas aysé ; et d'estre moy mesme sçavant en tous, il est impossible. Mais les arts qu'on estime les plus beaux, et qui me sieroient le mieux,

1. La dépense....

2. Cette forme de futur du verbe faillir a depuis cessé d'être en usage. Nous avons vu plus haut: «<tu ne faudras. » Je faudrai, tu faudras,... ainsi parlerait-on encore aujourd'hui. «Nous sommes en controverse, remarque aussi H. Estienne au sujet du verbe assaillir, si l'on doibt dire j'assaudray ou j'assailliray. » Precell., p. 242. 3. Il est probable que le traducteur avait écrit ces deux formes, avec l'intention de choisir entre elles; pour éviter le pléonasme, qui ne se trouve nullement dans le grec, il semble nécessaire de supprimer les meilleurs maîtres, ou le membre de phrase qui suit.

4. Tu songes, tu penses.... Cuidance, pensée; cuidereau, qui pense à soi, glorieux, etc. Malgré ce dernier sens, Pontus de Thiard, de Recta nominum impositione, p. 18, s'est trompé en dérivant ce mot de xvdáw, glorifier. Il vient de cogito, ou credo: V. Sylvius ou du Bois, dans sa Grammaire françoise, p. 156. Ce verbe ne subsiste plus que dans ses composés.

quand je m'y serois exercé, monstre les moy, et les hommes qui en usent; et toy mesme ayde moy, pour les apprendre. Tu parles certes fort bien, ô Critobule, dit il, car les arts qu'on appelle mechaniques, où il faut souffler le charbon', sont mechaniques de leur nom, et à bon droict les tient on en peu d'estime aux bonnes villes, car elles gastent les personnes de ceux qui y travaillent et s'y exercent, de tant qu'elles les contraignent de estre tousjours assis, vivre casaniers et demeurer à l'ombre; et encores y a il tel mestier, qu'il faut avoir tout le long du jour le visage au feu. Or le corps estant par ce moyen amolly et effeminé, le cœur mesme en devient plus lasche et moins vigoreux. Aussi ces arts mechaniques donnent plus d'empeschement et retirent les hommes du soucy qu'ils doibvent avoir de leurs amis et de leur ville de sorte qu'il est aysé à cognoistre, que en tels gens les amis ne treuvent guieres de plaisirs, ny leur païs guieres grand secours: et de là vient qu'en plusieurs citez, mesmes en

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1. « Car les arts qu'on appelle mécaniques, dit simplement Xénophon, sont décriés... » La Boëtie a traduit trop littéralement Bavavoixaí, qui signifie en effet, au propre, arts relatifs à celui du forgeron (ẞávavoog); mais ici, dans un sens plus général, métiers, professions mécaniques.

2. Elles nuisent aux (vastant)... Les beaux arts, disait tout à l'heure La Boëtie. On a déjà remarqué que le genre de ce subst. était alors indécis. Montaigne l'emploie en gén. avec le fémin.; mais il mêle aussi les deux genres, 1, 25. 3. Donnent beaucoup d'embarras à ceux qui les exercent; les absorbent....

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