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& quand il feroit vrai que la vieillef fe nous prive de tous les autres du moins nous procure-t-elle celui-là.

Mais qu'appelle-t-on vivre longtems Hé qu'y a-t-il pour nous qu'on puiffe appeller durable? Il n'y a qu'un pas de l'enfance à la jeuneffe; & notre courfe eft à peine commencée, que la vieilleffe nous atteint, fans que nous y penfions. Comme la vieilleffe eft notre borne, nous appellons cela un grand âge. Vous n'êtes cenfé vivre peu, ou beaucoup, que relativement à ce que vivent ceux-ci, ou ceux-là. Ariftote dit que fur les bords du fleuve Hypanis, qui tombe du côté de l'Europe dans le Pont-Euxin

il fe forme de certaines petites bêtes, qui ne vivent que l'espace d'un jour. Celle qui meurt à deux heures après midi, meurt bien âgée; & celle qui va jufqu'au coucher du foleil, meurt décrépite, fur-tout un grand jour d'été. Si vous comparez avec l'éternité la vie de l'homme la plus longue, vous trouverez que ces petites bêtes y tiennent prefqu'autant de place que nous.

Quoiqu'à toute heure mille accidens nous menacent de la mort, & que même, fans accident, elle ne puiffe jamais être bien éloignée, vù la briéveté de nos jours; cependant elle n'empêche pas le fage de porter les vues le plus loin qu'il

peut dans l'avenir, & de regarder l'avenir comme étant à lui, en tant que la patrie & les fiens y font intéreffés. Tout mortel qu'il fe croit, il travaille pour l'éternité. Et le motif qui l'anime, ce n'eft pas la gloire, car il fait qu'après fa mort elle ne le touchera point; mais c'eft la vertu, dont la gloire eft toujours une fuite néceffaire fans que l'on y ait même penfé.

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A l'heure de la mort, c'eft une reffource bien confolante, que le fouvenir d'une belle vie. En quelque tems que meure un homme qui a toujours fait tout le bien qu'il a pu, il n'a point à fe plaindre de n'avoir pas vécu affez.

A moins que d'être d'une craffe

ignorance en phyfique, on ne peut

douter que l'ame ne foit une fubftance très-fimple, qui n'admet point de mélange, point de compofition. Il fuit de là que l'ame eft indivifible, & par conféquent immortelle. Car la mort n'eft autre chofe qu'une féparation, qu'une défunion des parties, qui auparavant étoient liées ensemble.

- Pénétré de ces principes, Socrate, au point d'être condamné à mort, ne daigna, ni faire plaider fa cause, ni fe montrer devant les juges en pofture de fuppliant. Il conferva une noble 'fierté, qui venoit, non d'orgueil, mais de grandeur d'ame. Le jour même de fa il difcourut long-tems fur

mort,

le fujet que nous traitons. Peu de jours auparavant, maître de s'évader de fa prison, il ne l'avoit point voulu. Et dans le tems qu'on alloit lui apporter le breuvage mor. tel, il parla non en homme à qui l'on arrache la vie, mais en homme qui monte au ciel.

Deux chemins, difoit-il, s'offrent aux ames, loqu'elles fortent des corps. Celles qui dominées & aveuglées par les paffions humaines, ont à fe reprocher ou des vices personnels & domeftiques, ou des injuftices irréparables, prennent un chemin tout oppofé à celui qui mène au féjour des dieux. Pour celles qui ont, au contraire, confervé leur innocence & leur pu

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