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ligion, nul devoir. Point de loi pour les mariages. Un père ne savoit de quel enfant il étoit père. On ne fentoit pas de quelle utilité il est d'avoir des principes d'équité. Au milieu de l'ignorance & de l'erreur, on étoit tyrannifé par d'aveugles paffions, à qui les forces du corps, dangereufes compagnes, fourniffoient les moyens de s'affouvir. Quelqu'un, dont les lumières étoient fupérieures, ayant étudié alors ce que c'eft que l'homme, comprit qu'en l'inftruifant, & mettant en œuvre les qualités de fon ame, il y avoit de quoi en faire quelque chofe de grand. Pour y réuffir, il obtint que ces hommes épars dans les champs, où des

feuillages leur fervoient de re

traite, fe raffemblaffent dans un même lieu; & là, travaillant

yeux

l'u

à leur mettre devant les tile & l'honnête, d'abord il les trouva peu foumis à des vérités fi nouvelles pour eux; mais gagnant leur attention de plus en plus, il leur fit enfin goûter la raison ; & de sauvages, de farouches qu'ils étoient, il les rendit doux & humains.

Un changement & fi prompt & fi confidérable, fut, fans doute, l'ouvrage de l'éloquence autant que de la fageffe. Et lorfqu'une fois il y eut des villes établies, auroit-on pu, fi l'éloquence n'avoit appuyé ce que la raison proposoit, cimenter la bonne foi & la justice,

accoutumer les hommes à la fubor dination, & les déterminer, ne difons pas feulement à ne point épar gner leurs peines, mais à facrifier même leur vie pour le bien public Affurément il fallut la voie

de la perfuafion, pour amener ceux qui fe fentoient les plus forts, à trouver bon qu'un juge décidât de leurs intérêts, à fe mettre ainfi au niveau des plus foibles, & à perdre volontairement l'habitude où ils étoient de fe faire juftice euxmêmes; habitude tout-à-fait commode, & fi ancienne, qu'elle paffoit pour loi de la nature.

On prétend qu'il y a divers gen→ res d'orateurs, ainfi que de poëtes. C'est ce qui n'eft point. A la vé

rité il y a des poëtes tragiques il y en a de comiques, d'épiques, de lyriques, & ce font autant de gentes différens. Dans la tragédie, le comique fait un mauvais effet ; le tragique n'en fait pas un meilleur dans la comédie. Ainfi des autres espèces de poéfies; le ton de chacune eft marqué, & les connoiffeurs ne s'y trompent point. Mais dans l'art oratoire, lorf qu'on dira que ceux-ci ont de la nobleffe, de la force, de l'abondance; que ceux-là fe bornent à la fimplicité, à l'exactitude, à la précifion; & qu'enfin il y en a qui tiennent comme le milieu entre ces deux caractères; ce font là des différences qui portent, non fur

l'art même, mais fur ceux qui le cultivent. On dit des orateurs, ce qu'ils font; mais à l'égard de l'éloquence, il s'agit de favoir ce qu'elle doit être.

Un orateur parfait, c'est celui qui fait inftruire fon auditeur, lui plaire & le toucher. Inftruire, eft d'obligation. Plaire, eft de furérogation. Toucher, eft de toute néceffité. Que les uns rempliffent mieux ces devoirs, & les autres moins bien, cela dit inégalité de mérite, mais dans un même genre. Ainfi l'orateur eft parfait, ou médiocre, ou mauvais, felon qu'il remplit fes devoirs parfaitement, médiocrement, ou mal. Tous ont le titre d'orateurs, comme le plus

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