Page images
PDF
EPUB

SUR LA MORT.

RIEN de ce qui a été déterminé,

ou par les dieux immortels, ou par notre commune mère la nature, ne doit être compté pour un mal. Car enfin, ce n'eft pas le hafard, ce n'eft pas une cause aveugle qui nous a créés; mais nous devons l'être certainement à quelque puiffance qui veille fur le genre humain. Elle ne s'eft pas donné le foin de nous produire, & de conferver nos jours, pour nous précipiter après nous avoir fait éprouver toutes les misères de ce monde, dans une mort fuivie (1)

(1) Selon l'idée que la raifon des payens

d'un mal éternel. Regardons plutôt la mort comme un afyle, comme un port qui nous attend. Plut à Dieu que nous y fuffions menés à pleines voiles ! Mais les vents auront beau nous retarder, il faudra néceffairement que nous arrivions, quoiqu'un peu plus tard. Or, ce qui eft pour tous une néceffité, feroit-il pour moi feul un mal?

Aux Indes, la pluralité des fem

fe formoit d'un Etre fuprême, ils ne le confidéroient que comme une bonté infinie. Mais la religion nous enfeigne, qu'en Dieu la bonté eft inféparable de la juftice; & que comme il y aura des récompenfes pour les gens de bien, il y aura des peines pour les coupables.

mes eft reçue. Quand un homme eft mort, fes veuves fe rendent devant le juge, pour faire décider laquelle a été le plus tendrement chérie ; & celle qui remporte la victoire, court d'un air gai, fuivie de ses parens, fe placer fur le bûcher de fon époux ; tandis que l'autre fe retire, accablée de trif teffe. Jamais coutume n'eût fait braver la mort, fi la mort étoit contre la nature; car la nature eft toujours au-deffus de tout.

Peut-on donner dans ce préjugé ridicule, qu'il eft bien trifte de mourir avant le tems? Et de quel tems veut-on parler? De celui que la nature a fixé? Mais elle nous donne la vie comme on prête de

l'argent, fans fixer le terme du rembourfement. Pourquoi couver étrange qu'elle la reprenne, quand il lui plaît? Vous ne l'avez reçue qu'à cette condition.

Qu'un petit enfant meure, on s'en confole. Qu'il en meure un au berceau, on n'y fonge feulement pas. C'est pourtant d'eux que la nature a exigé le plus durement fa dette. Mais, dit-on, ils n'avoient pas encore goûté les douceurs de la vie; au lieu que tel autre, pris dans un âge plus avancé fe promettoit une fortune riante, & déjà commençoit à en jouir. D'où vient qu'il n'en eft donc pas de la vie comme des autres biens, dont on aime mieux avoir une partie,

que manquer le tout? Priam, dit Callimaque, & c'est une sage réflexion, Priam a plus fouvent (1) pleuré que Troile.

On loue la deftinée de ceux qui meurent de vieilleffe. Par quelle raifon? Il me femble, au contraire, que fi les vieillards avoient plus de tems à vivre, c'eft eux dont. la vie feroit la plus agréable. Car de tous les avantages dont l'homme peut fe flatter, la prudence est certainement le plus fatisfaifant ;

(1) Priam étant mort ágé, & après avoir effuyé tant de difgraces, il a eu certainement plus d'occafions de pleurer, que Troïle fon fils, qui, à la fleur de l'âge, fut tué par Achille.

« PreviousContinue »