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clarer la guerre aux dieux ? Pour moi, quand j'examine par où la vieilleffe paroît attaquer notre bonheur, je vois que cela fe réduit à quatre points, dont le premier eft, qu'elle nous rend incapables d'agir; le fecond, qu'elle affoiblit le corps; le troifième, qu'elle nous prive prefque de tout plaifir; le quatrième, qu'elle n'est pas bien éloignée de la mort. Voyons, s'il vous plaît, ce que chacune de ces raifons a de force & de folidité.

Un vieillard n'eft plus capable d'agir Et dans quelles occafions? Dans celles où il faudroit la vigueur de la jeuneffe? Mais n'y en a-il donc point, où ce foit af

fez que l'efprit agiffe, quelque foible que foit le corps?

Prétendre que la vieillesse n'eft bonne à rien, c'est comme qui diroit que le pilote eft inutile dans un vaiffeau, fous prétexte que les uns montent au haut des mâts, les autres pompent au fond de cale, les autres manœuvrent çà & là; tandis que le pilote, qui tient le gouvernail, eft tranquillement affis fur la pouppe. Un vieillard ne fait pas les mêmes chofes que des jeunes gens ; mais il en fait & de bien plus importantes, & de bien meilleures. Ce qui décide les grandes affaires, ce n'eft pas la force, la vîteffe, l'agilité du corps; c'eft la prudence, l'autorité,

avis ouvert à propos. Or cette efpèce de mérite, loin de périr, augmente pour l'ordinaire avec l'âge. J'ai long-tems fait le métier des armes, en qualité de foldat, de tribun, de lieutenant, de conful. Aujourd'hui, parce que je ne vais plus à l'armée, me croyez-vous inutile? Je ne marche pas en perfonne; mais le fénat apprend de moi en quels lieux il doit porter la guerre, & comment.

Vous trouverez dans les hiftoires étrangères, que les plus grandes républiques ont été renverfées par des jeunes gens; foutenues & rétablies par des vieillards. On demande dans une comédie de Né

vius:

Comment vous êtes-vous fi-tôt précipités
Du faite de votre puissance?

Parmi les causes qu'on en allègue, la principale eft celle-ci.

En nommant aux emplois de jeunes éventés, Sans cervelle & fans connoiffance.

Auffi eft-il bien vrai qu'à la fleur de l'âge, la témérité domine, & la prudence, lorfqu'on eft fur le

déclin.

Mais la mémoire fe perd? Oui, quand elle n'a jamais été bonne, ou qu'on néglige de l'exercer.

Je n'entendis jamais dire qu'un vieillard eût oublié dans quel endroit il avoit caché fon tréfor Toute, affaire qui le touche, une affignation donnée ou reçue, ceux qui lui doivent, ceux à qui lui

même il doit, il ne l'oubliera

point.

Parlerai-je des jurifconfultes, des pontifes, des augures, des philofophes, qui pouffent loin leur carrière? Quel amas de connoiffances ils confervent jusqu'à la fin ! Pourvu qu'on ne discontinue pas de s'appliquer, l'efprit ne baiffe point avec l'âge. Vous le voyez dans la vie privée, auffi-bien que dans les grandes places. Témoin Sophocle, qui, dans une extrême vieillesse, composoit encore des tragédies. Occupé de fes vers, il paroiffoit négliger ses affaires domeftiques; & là-deffus, felon ce qui fe pratique chez nous à l'égard des pères diffipateurs, fes enfans deman

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