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que de plufieurs ames elle n'en fait, pour ainfi dire, qu'une seule. Or cela fe peut-il, lorfqu'il y a dans l'un des prétendus amis, non une ame fimple, & toujours la même ; mais une ame double, & qui se diverfifie à chaque inftant? Quelle foupleffe, que celle d'une ame qui fe plie & fe replie comme elle veut, pour fe conformer, ne difons pas feulement aux volontés de quelqu'un, mais à l'air qu'on lui voit, & au moindre figne qu'il fait ? On dit non, je dis non : on dit dui, je le dis:

Jamais je ne contefie, & toujours j'ap

plaudis.

Térence (1) fait parler ainfi Gna

(1) Dans l'Eunuque, acte II, sc. 2.

thon,

thon, un parafite. Il y a bien de l'imprudence à fe lier avec de telles gens mais le caractère de ces Gnathons n'étant point rare dans les perfonnes d'un tout autre rang, il eft à craindre que la flatterie, accompagnée de la réputation, de la fortune, & du crédit, ne trouve à fe faire écouter. Qui voudra pourtant y regarder de près, diftinguera le flatteur d'avec l'ami comme on difcerne le faux & le fardé, d'avec le vrai & le naturel.

Morale. Tome IV.

D

SUR LA VIEILLESSE.

POUR OUR ceux qui n'ont point de reffource dans eux-mêmes, tout âge eft difficile à paffer. Mais lorsqu'on tire de fon propre fonds toute fa félicité,

on ne trouve rien de fâcheux dans les ordres de

la nature. Appliquons cela fur-tout à la vieilleffe. Tout le monde fouhaite d'y parvenir; & quand on y eft arrivé, tout le monde s'en plaint. Tant il y a d'inconf tance & d'injuftice dans les hommes qui ne raisonnent pas. La vieilleffe, difent-ils, eft venue à eux fourdement, & bien plus vîte qu'ils ne s'y attendoient. Mais,

s'ils ont mal fupputé, à qui la faute? Car la vieilleffe s'est-elle plus vite gliffée après la jeunefse, que la jeuneffe après l'enfance? Mais de plus, leur feroit-elle moins onéreuse au bout de huit cents ans, qu'elle ne l'eft au bout de quatre-vingts? Tout le paffé, quelque long qu'il fût, ne pourroit, étant paffé, confoler une folle vieilleffe, & l'adoucir.

Ainfi (1) ma fageffe (hé! que ne répond-elle à l'idée que vous en avez, & au furnom que l'on me donne?) cette fageffe qui vous

(1) Celui qui parle ici, & dans tout le refte de l'article, c'est Caton l'ancien, donɛ Plutarque a écrit la vie.

caufe, dites-vous de l'admiration, ne confifte qu'en ce que je fuis pas à pas le meilleur de tous les guides, la nature. Je lui obéis comme à un Dieu. Puifqu'elle a fi bien arrangé les autres parties dont la vie humaine eft compofée, il n'eft pas vraisemblable qu'elle ait négligé, comme feroit un poëte ignorant, le dernier acte de la pièce. Mais enfin, comme les fruits, à un certain point de maturité, se flétriffent, & ne tiennent prefque plus à l'arbre, il y a néceffairement pour nous quelque chofe de femblable; & c'eft un état que l'homme fage prend en gré. Vouloir s'oppofer à la nature, ne feroit-ce pas, à la manière des géans, dé

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