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attachement folide qui vienne du cœur, & qui foit à l'épreuve. Toujours nouveaux foupçons, nouvelles inquiétudes. Point d'amitié. Aimeroit-on des gens qu'on craint, ou dont on fe perfuade qu'on eft craint? On fauve les dehors avec eux, tant qu'ils font en place. Quand ils tombent, comme il leur arrive ordinairement, alors on voit combien peu ils avoient d'amis. Tarquin, dans fon exil, difoit que fes vrais & fes faux amis lui étoient connus, depuis qu'il ne pouvoit marquer du retour, ni aux ni aux autres. J'ai peine à

uns,

croire qu'il pût en avoir de vrais.

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Un homme fi orgueilleux, fi fé

roce, n'étoit pas d'un caractère à

pouvoir être aimé; & la plupart de ceux qui font extrêmement puiffans, ont cela de commun avec lui. Car non-feulement la fortune eft aveugle, mais pour l'ordinaire elle aveugle fes favoris. Prefque tous dédaigneux, arrogans. Rien au monde n'eft plus infupportable qu'un fou dans la prospérité. On voit même des gens, qui étoient auparavant d'un commerce doux & facile, lorfqu'ils paffent à un pofte élevé, changer tout d'un coup, & méprifer leurs anciens amis, pour fe livrer à de nou

veaux.

Qu'y a-t-il de moins fenfé, que d'employer les fecours qu'on tire d'une grande fortune, à fe procurez

les chofes qu'on a pour de l'argent, chevaux, valets, fuperbes habits, vafes précieux; & de ne pas fonger à s'acquérir des amis, qui font, pour ainfi parler, le meilleur & le plus beau meuble qu'on puifse avoir? Toutes nos autres acquifitions, nous ne favons à qui elles iront; car elles font deftinées à être un jour la proie du plus fort. Au lieu que la poffeffion de nos amis ne peut nous être difputée ; & quand même tous les préfens de la fortune demeureroient entre nos mains, il n'y auroit pas de quoi nous rendre la vie agréable, si nous manquions d'amis.

On doit prescrire des bornes à l'amitié, & favoir jufqu'où elle

doit aller. Je connois là-deffus trois opinions que je n'adopte point. La première, que nous foyons pour nos amis dans les difpofitions où nous fommes à notre égard. La feconde, que notre bienveillance pour eux foit exactement proportionnée à celle qu'ils ont pour nous. Et la troisième, que nous penfions pour nos amis comme ils penfent eux-mêmes fur leur fujet, Aucun de ces trois fentimens n'eft de mon goût.

Premièrement, que nous devions être pour un ami dans les difpofitions où nous fommes à notre égard, cela eft faux. Combien de chofes qu'on ne feroit pas pour foi, & qu'on fait pour un ami? Prier qui

l'on méprife, & paroître devant lui en pofture de fuppliant; traiter durement quelqu'un, & le pouf fer avec trop de chaleur; on rougiroit de le faire pour foi; il eft beau de le faire pour un ami. Il y a d'ailleurs bien des cas où les honnêtes gens préfèrent, & approuvent qu'on préfère à leurs propres intérêts ceux d'un ami.

Vouloir en fecond lieu que la bienveillance d'une part, fe mesure précisément fur celle qui eft de l'au tre part, c'est avoir la petiteffe de calculer tous les fervices rendus & reçus, afin que ceux-ci égalent ceux-là. Pour moi, je tiens que la vraie amitié eft plus riche, plus généreufe; & n'examine pas à la

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