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pas ainfi

naturel. Un bienfait & l'ufure ne vont pas enfemble. Auffi doit-on, tout intérêt à part, ne chercher dans l'amitié que ce qui provient d'elle, l'avantage d'aimer & d'être aimé. Ce n'eft que raifonnent ceux qui, comme les bêtes, rapportent tout à la volupté. Je n'en fuis pas furpris. Des gens (1) occupés d'un objet fi bas & fi méprisable, ne peuvent rien concevoir de grand, rien de noble & de divin. Ici donc nulle mention d'eux. L'amitié, felon nous, eft un fentiment que la nature forme dans nos cœurs, en nous faisant voir dans quelqu'un l'image de la vertu.

(1) Les Epicuriens relâchés.

Attirés par cette image, des cœurs s'approchent, fi j'ose ainfi parler, ils s'attachent réciproquement pour goûter les douceurs que le caractère de l'un promet à l'autre. Tou chés au même degré, épris d'une égale tendreffe, c'est à qui mar, quera le plus de générofité. Une fi louable émulation fait que l'amitié devient très-utile, fans que P'utilité foit le fondement de l'a mitié. Elle a dans la nature une origine & plus honnête & plus folide. Car, fi deux coeurs n'étoient unis que par l'intérêt, ils ceffe◄ roient de l'être quand l'intérêt change. Mais la nature ne pouvant jamais changer, les véritables amitiés font éternelles.

J'entends

J'entends (1) dire qu'en Grèce on regarde comme des fages certains amateurs de paradoxes, gens qui, avec leurs vaines fubtilités, entreprennent de prouver tout. Ils vous difent qu'il faut éviter d'être trop amis, afin qu'un feul n'ait point à s'embarraffer pour plufieurs; que chacun a bien affez, & n'a que trop de fes propres affaires ; qu'il eft fâcheux d'entrer trop avant dans celles d'autrui; que le mieux

(1) Du tems de Lélius, que Cicéron fait parler ici, les études des Grecs n'étoient pas encore communes à Rome. Voilà ce qui fait que Cicéron, pour garder la vraifemblance dans le dialogue, ne prête à Lélius qu'un oui-dire, touchant les opinions qui avoient cours parmi leurs philofophes. Morale. Tome IV.

C

eft de tenir les rênes de l'amitié, pour être toujours maîtres de les allonger ou de les accourcir quand il nous plaît. Car, difent-ils, l'effentiel pour vivre heureux, c'eft la tranquillité; & il n'eft pas poffible d'en jouir, fi des intérêts étrangers nous agitent fans ceffe.

On prête à d'autres une opinion encore bien moins raifonnable, & dont j'ai déjà touché un mot: Qu'il faut fe faire de l'amitié, non pas un attachement de coeur, mais une liaison utile. Qu'ainfi, moins on a de quoi fe foutenir par foimême, plus il faut fonger à se faire des amis. Que par cette raison, les femmes y fongent plus que les hommes ; les pauvres, plus que les

riches; ceux à qui la fortune est contraire, plus que ceux à qui

elle rit.

O la belle philofophie! Oter aux hommes l'amitié, qui eft ce que les Dieux leur ont donné, & de meilleur, & de plus agréable, c'est comme fi l'on ôtoit le foleil à l'univers.

On n'en croira donc point ces riches voluptueux, lorfqu'ils veu→ lent raifonner fur l'amitié dont ils n'éprouvèrent jamais les douceurs, & dont ils n'ont pas même l'idée. Qui eft-ce', ô ciel! qui voudroit regorger de biens, mais à condition de n'aimer perfonne, & de n'être aimé de perfonne? Tel eft le fort des tyrans. Pour eux, nul

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