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nous, périra comme nous. De quoi nous plaignons-nous donc, & qu'avons nous à dire? Nous devons être préparés à tout. Que la nature difpose à fon gré des corps qui font fous fon empire. Ne nous attriftons point; armons-nous de courage en penfant que ce qui périt en nous, ne nous appartient point. Qu'eft-ce qui appartient au fage? L'abandon qu'il fait de lui-même à la conduite de la providence. C'est un affez grand fujet de confolation pour lui, de favoir qu'il roule avec l'univers dans le même tourbillon. Quelle que foit cette néceffité fatale qui exerce fur nous le droit de vie & de mort, fongeons que les dieux mêmes lui font foumis. L'ordre irrévocable des def

tins enchaîne également les chofes divines & humaines. Le créateur & le fouverain maître du monde a dicté la loi, & il l'observe. Il n'a commandé qu'une fois, & il obéit toujours. Mais peut-on dire que Dieu ait fuivi les régles de l'équité dans la diftribu tion des évènemens, lorsqu'il a affigné pour partage aux gens de bien, la pauvreté, les bleffures, une mort cruelle? Je réponds que la matière qui a reçu fa forme, ne peut être changée par l'ouvrier. Il y a des choses tellement liées, qu'elles deviennent inféparables & indivifibles. Les esprits languissans, engourdis, affoupis, tiennent à des élémens lourds & immobiles. Il faut un deftin plus puiffant pour former un vrai homme.

Sa vie ne fera point uniforme, il y aura du haut & du bas; il effuiera des tempêtes, il luttera contre des flots irrités; il aura la fortune contraire. Il fe trouvera dans des circonftances fâcheufes & cruelles, dont il triomphera lui-même. Le feu éprouvel'or, & les difgraces font la pierre de touche du mérite. Voyez à quel degré la vertu doit s'élever. Elle marche par des routes incertaines ; une ame baffe fuit le danger, la vertu tente les plus hautes entreprises.

Mais pourquoi Dieu souffre - t - il qu'il arrive du mal aux gens de bien? Je nie cette fuppofition. Je ne reconnois de maux que l'impiété, la fcélérateffe, les mauvais défirs, l'ambition, l'amour impur, l'avarice,

l'injuftice; or Dieu, qui eft le guide & le protecteur des gens de bien, ne permet pas qu'ils tombent dans ces excès. Voudroit-on encore qu'il prît foin de leur équipage? Eux-mêmes l'en difpenfent; ils méprisent tout ce qui leur eft extérieur. Démocrite se dépouille de fes richeffes, ils les regarde comme un fardeau. Pourquoi s'étonner que Dieu permette qu'il arrive aux gens de bien ce qu'ils fouhaitent fouvent eux-mêmes? Ils perdent leurs enfans; mais ce font eux quelquefois qui les font mourir (1). Ils font envoyés en exil; ce font eux quelquefois qui s'y condam

(1) Tels que Junius Brutus, Torquatus a & autres Romains.

nent les premiers. On les égorge; ce font eux quelquefois qui s'enfoncent le poignard dans le fein. S'ils font réduits à de dures extrémités, c'est afin que nous apprenions d'eux à fouffrir. Ils naiffent pour fervir de modèle aux humains.

Figurez-vous que Dieu dit aux fages: « Quel fujet avez-vous de vous plaindre de moi, vous qui avez »embraffé le parti de la vertu? J'ai » donné aux autres de faux biens; » j'ai amusé ces efprits légers par de » vaine's images femblables aux er>> reurs d'un fonge; je les ai environ» nés d'or, d'argent, & de tout ce » qui forme de brillans dehors; mais » le dedans étoit vide. Vous les » croyez heureux, trompé par leur

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