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des honneurs, pour être loué; du plaifir, pour le goûter; de la fanté, pour ne point fouffrir, & pour résister aux fatigues du corps. Mais l'amitié eft d'une reffource infinie. Partout elle s'offre à vous. Partout elle a lieu. Jamais elle n'eft importune, jamais onéreufe. Auffi eft-ce un proverbe, que l'amitié, pour l'utilité, va de pair avec le feu & l'eau.

Je ne dis pas cela d'une amitié foible & commune, qui pourtant ne laiffe pas d'avoir fon prix & fes agrémens. Je parle d'une fincère, d'une parfaite amitié, dont, à la vérité, on ne cite que bien peu d'exemples. Celle-ci donne à la prospérité un nouvel éclat. Dans Morale. Tome IV.

B

l'adverfité, comme elle en partage le poids, elle la rend plus légère ; & parmi les bons offices qu'elle nous prodigue alors, ce qu'il y a d'effentiel, c'eft qu'en nous mettant (1) un avenir favorable devant les yeux, elle ne fouffre pas que notre courage fuccombe.

Avoir un ami, c'eft avoir un autre foi-même. Quand l'un eft abfent, l'autre le remplace. Si l'un eft riche, l'autre ne manque de rien. Si l'un eft foible, l'autre lui

(1) C'est ce que Cicéron éprouva pendant fon exil, de la part d'Atticus. Il est donc affez vifible qu'ici son deflein a été de témoigner fon fouvenir, & d'immortalifer fa reconnoissance, dans un dialogue fur l'Amitié, dédié à Atticus,

donne des forces. Et pour dire quelque chofe de plus, celui qui meurt le premier, renaît dans la conftante eftime, dans le fouvenir tendre, dans les continuels regrets de l'autre. Pour le mort, il femble que ce foit une douceur, & pour le furvivant un mérite.

Quand je pense à l'amitié, ce qui m'arrive fouvent, je trouve qu'un point digne d'examen, c'est, fi elle doit fa naiffance à la foibleffe & aux befoins de l'homme, qui font que chacun , par un commerce réciproque de bons offices, cherche à fe procurer ce qu'il n'a point de fon fonds; ou fi, ces bons offices n'étant regardés que comme une fuite de l'amitié, elle a une

origine antérieure plus noble, & qui part de la nature même ?

Parmi les raifons qui peuvent faire qu'on fe veuille du bien l'un à l'autre, la principale eft de s'aimer; & c'eft d'aimer, que vient le mot d'amitié. Si l'on n'a que des vues d'utilité, fouvent, pour y réuffir, il fuffit de fe montrer aux hommes fous le mafque de l'amitié, & dans la conjoncture où ils peuvent nous fervir. Mais l'amitié ne connoît ni feinte, ni déguisement. Tout y eft fincère, tout part du cœur. Je l'attribue donc à la nature plutôt qu'au befoin; & je la crois l'effet d'une fecrète impreffion qui fe fait fentir dans l'ame, plutôt que d'aucune ré

Rexion fur l'utilité qui peut nous

en revenir.

Vous avez dans les bêtes une image de cette impreffion. Car, durant quelque tems, elles aiment leurs petits, & leurs petits les aiment. On voit que ce qui les guide, c'eft le fentiment. Il fe manifefte encore mieux dans l'homme, par la tendreffe des pères & des mères pour leurs enfans; tendreffe fuivie d'un parfait retour & qu'on ne peut étouffer ni de part ni d'autre, à moins que d'y être forcé (1) par un crime abo

(1) Comme Brutus, le premier conful de Rome, lorfque fes deux fils travaillèrent à former une conspiration pour le rétablisse

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