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gnez à cela une certaine grace, de l'enjouement, un favoir d'homme bien né, avec de la vivacité à repartir, & à lancer des traits piquans, mais fins & délicats. On doit pofféder l'antiquité, & avoir en main les exemples qu'elle fournit. On ne doit pas ignorer les loix, ni le droit civil. Parlerai-je de l'action, qui embraffe tout à la fois, & les attitudes, & les geftes, & les regards, & la manière de gouverner fa voix? Jugeons de cette difficulté par un art frivole, qui eft celui des comédiens, dont l'étude unique eft de bien déclamer. Qui ne fait combien les bons acteurs ont été rares dans tous les tems? Parlerai-je de la mémoire,

qui eft le dépôt univerfel des penfées & des paroles? Quelques tréfors que l'orateur amaffe, s'il manque de mémoire pour les conferver, ils font perdus.

Puifque l'éloquence réunit tant de talens, dont chacun à part exige tant de foin, ne cherchons plus d'où vient qu'il y a fi peu de

bons orateurs.

SUR L'AMITIÉ.

APRÈ PRÈS la fageffe, je regarde l'amitié comme le plus riche préfent que nous faffent les dieux immortels. D'autres préfèrent l'opulence, d'autres la fanté, d'autres la puissance, d'autres les honneurs, & plufieurs même la volup、 té. Ce dernier eft le partage des brutes; & à l'égard du refte, ce font chofes fragiles, incertaines, & qui dépendent moins de notre prudence, que de la fortune & de Les caprices.

Quant à ceux qui comptent la vertu pour le bien fuprême, ils ont grande raifon. Mais la vertu

même eft ce qui fait naître l'amitié; elle en eft le foutien ; & il ne peut y avoir d'amitié fans vertu. A ce mot de vertu, n'attachons ici que l'idée qu'il préfente communément, & dans le langage reçu; fans nous régler fur la magnificence des termes que certains doctes emploient, Regardons comme d'honnêtes - gens ceux qu'on reconnoît pour tels, les Paulus, les Catons, les Gallus, les Scipions, les Philus. On ne demande rien de plus dans le commerce du monde. Ainfi laiffons-là ces fages, qui ne fe trouvent nulle part.

Une amitié donc, liée avec des gens qui reffemblent à ceux que je nomme, devient une fource inta

riffable d'agrémens. Eft-ce vivre, que de n'avoir pas à fe repofer dans le fein d'un ami? Quelle douceur comparable à celle d'avoir avec qui parler de tout, auffi librement qu'avec foi-même ? Ce qui yous arrive d'heureux, vous flatteroit-il également, fi personne n'y étoit auffi fenfible que vous ? Et dans un accident fâcheux, où trou ver de la confolation, fi ce n'eft dans un ami, pour qui vos peines font encore plus accablantes que pour vous?

Tous les autres objets de nos défirs font prefque bornés chacun à leur utilité propre. Vous aurez des richeffes, c'eft pour en faire usage; du crédit, pour être confidéré;

des

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