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dans la confidence du meurtre d'Agrippine; & loin de faifir ce moment pour fe retirer, dût-il lui en coûter la vie à lui-même, le feu parti honorable qui reftoit à un ftoïcien, qui a tant parlé de vertu, il fe chargea, finon de juftifier le crime, du moins de l'atténuer, dans une lettre qu'il adreffa au fénat. Infame emploi de la raifon & de l'éloquence, que de chercher des couleurs & des motifs pour pallier un crime auffi révoltant que le parricide!

5o. Enfin on n'a pu voir tranquillement un févère ftoïcien, prêchant toujours l'abftinence, le mépris des richesses, la pauvreté, pof feffeur d'une fortune de 40 mil

lions de notre monnoie, dont une partie, difoient fes contemporains, eft venue de l'ufage où il étoit de flatter les hommes les plus riches, pour les engager à le nommer leur héritier, au préjudice de leurs parens.

Si Sénèque fut tel en effet, le mépris de la poftérité devroit le pourfuivre. Auffi peut-être eft-il inoui qu'un homme auffi gravement accufé, & qu'il eft impoffible de juftifier pleinement, avec quelqu'éloquence qu'on plaide fa caufe, ait pu trouver, même dans ce fiècle, des admirateurs exagérés de toutes les actions. On a voulu faire de ce Philofophe un homme pref que divin. Il nous paroît bien plus

raifonnable de penfer que, femblable à la foule des moraliftes, Sénèque avoit une conduite moins févère que fes principes, & qu'une grande partie de fa vertu fut en difcours.

Ces difcours font déposés dans fes ouvrages, qui nous font parvenus en grande partie. Ils forment un code complet de morale. Elle eft grave, pure, févère, & digne prefque du chriftianifme. On y trouve par-tout les plus belles maximes de conduite, que la feule. raifon foit capable de donner. Elles enfeignent l'amour de l'ordre & de la vertu, la conftance dans l'adverfité, le mépris de la douleur & de la vie, le courage qui

fait fupporter l'une & quitter l'autre, quand l'arrêt irrévocable de la nature l'exige. Parmi quelques préceptes qui répugnent à notre foibleffe, & dont la pratique rigoureuse ajouteroit peut-être à la misère de notre condition (conféquences d'une philofophie trop roide, du moins pour la généralité des hommes, à qui elle demandoit au-delà de ce qu'elle espéroit en obtenir), il y en a fans nombre avec lefquels il eft important de fe familiarifer, qu'il faut porter dans fa mémoire, graver dans fon cœur, comme autant de règles inflexibles de conduite, fous peine de manquer aux devoirs les plus facrés, & d'arriver au malheur.

Voilà pour le fond de fa morale; difons un mot des formes dont il l'a revêtue, c'est-à-dire, de fon efprit & de fon ftyle. On trouve dans Sénèque un grand nombre de traits fublimes, de traits égaux, quelquefois même supérieurs à l'éloquence de Cicéron. On ne pense pas plus profondément ; on n'a ni plus d'esprit, ni plus d'idées, ni plus de fineffe; & cependant Sénèque ne fera jamais placé au rang des hommes de génie. Il a beau penfer noblement, prefque toujours l'antithèse énerve fes penfées. Il a un autre défaut, c'eft de tourner long-tems autour de la même idée. Il ne fait point s'arrêter ; c'est l'Ovide de la profe; à l'idée prin

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