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barbier, il voulut que fes filles appriffent à rafer; & ces jeunes princeffes, réduites à une fonction fi baffe, faifoient la barbe & les cheveux à leur père. Quand elles furent plus avancées en âge, il ne crut pas même devoir leur fouffrir du fer entre les mains; & il leur apprit à employer des coquilles de noix brûlantes, pour faire l'office du rafoir & des cifeaux.

Il avoit deux femmes, Ariftomaque, qui étoit de Syracufe, & Doris, qui étoit de Locres. Jamais il ne paffoit la nuit dans leur appartement, qu'il n'eût vifité auparavant, & fouillé par-tout. Un large foffé, avec un petit pont de bois, entouroit la chambre où étoit le lit;

& quand le tyran étoit arrivé, il retiroit ce pont à lui, & fermoit la porte au vérouil.

Pour haranguer le peuple, comme il n'eût ofé se tenir dans les tribunes ordinaires, il montoit au haut d'une tour.

Il aimoit fort la paumé; & un jour fe déshabillant pour y jouer, il donna son épée à garder à un de fes jeunes favoris, Voilà donc, lui dit un de fes amis en plaifantant, quelqu'un à qui vous confiez vos jours. A ces mots, le jeune homme fourit. Tous les deux, par fon ordre, furent mis à mort; l'un, pour avoir indiqué un moyen de lui ôter la vie; l'autre, pour avoir témoigné par un fourire, qu'il en

tendoit un tel difcours. Jamais le tyran n'éprouva douleur comparable à celle d'avoir fait périr ce jeune homme qu'il avoit éperdûment aimé. Voilà comme les paffions ne s'accordent guère. Vous ne fatisfaites l'une qu'aux dépens de l'autre.

Preuve qu'il connoiffoit bien luimême fon état. Un de fes courtifans, nommé Damoclès, exaltoit fon opulence, le nombre de fes troupes, l'étendue de fon pouvoir, la magnificence de fes palais, fes richeffes en tout genre ; & concluoit que jamais perfonne n'avoit été fi heureux. Hé bien puifque cela vous paroît fi beau, lui dit le tyran, feriez-vous d'humeur à en goûter un peu, & à voir par vous-même:

quel eft mon fort? Il accepta de tout fon cœur. On le place fur un lit d'or, couvert de riches carreaux, & d'un tapis, dont l'ouvrage étoit fuperbe. On étale fur plufieurs buffets une magnifique vaiffelle d'or& d'argent. On fait venir de jeunes esclaves, tous d'une rare beauté, & qui devoient fixer les yeux fur lui pour le fervir au moindre figne. On prodigue les effences, les guirlandes, les parfums. On couvre la table des mets les plus exquis. Voilà Damoclès qui nage dans la joie. Au milieu de cet appareil, le tyran fit fufpendre au plancher un glaive étincelant, qui ne tenoit qu'à un crin de cheval, & qui donnoit jufte fur la

tête de cet homme fi enchanté de fa fortune. A l'inftant fes yeux ne virent plus ni ces beaux efclaves qui le fervoient, ni cette magnifique vaiffelle; il perdit l'envie de toucher aux ragoûts; déjà fes guirlandes tomboient d'elles-mêmes; il demanda enfin au tyran la permiffion de se retirer; qu'il ne vouloit plus êtrẻ heureux.

Pompée a fouvent raconté qu'à fon retour de Syrie, paffant par Rhodes, où étoit Pofidonius, il eut deffein d'aller entendre un philofophe de cette réputation; que comme il apprit que la goutte le retenoit chez lui, il voulut au moins lui rendre vifite; & qu'a

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