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Je crois pouvoir dire avec vérité, que la poéfie eft celui de tous les beaux arts, où l'on a le moins de chef-d'oeuvres ; & cependant, à examiner ce que Rome & la Grèce ont produit dans ce genre-làmême où il eft fi rare d'exceller, on verra qu'il y a encore bien moins de bons orateurs, que de bons poëtes.

Mais ce qui augmente encore ici la furprife, c'eft que pour les autres fciences il faut chercher au loin, & creufer profondément; au lieu que l'orateur n'emploie que des raifons & des expreffions, qui appartiennent à tout le monde. Tellement que ce qu'on admire le plus dans les autres fciences, c'est ce

qui eft le moins à la portée des ignorans, & le moins intelligible; qu'en matière d'éloquence, au contraire, le plus infigne défaut eft de ne pas parler comme les autres, & pour fe faire entendre de

tous.

On ne fauroit, au refte, prétexter que l'éloquence ait été moins cultivée ; qu'elle foit moins attrayante d'elle-même; qu'elle promette des récompenfes moins flatteufes. Car, fans parler de la Grèce, où l'on s'eft toujours piqué d'y exceller, ni d'Athènes qui a été le berceau de tous les beaux arts, & à qui l'art de la parole doit fon origine & fa perfection; jamais nos romains, depuis qu'ils

ont été maîtres de l'univers, n'ont montré plus d'ardeur pour aucune forte d'étude, que pour l'éloquence. Une paix durable leur ayant dès-lors procuré du loifir, tous ceux de nos jeunes gens que l'amour de la gloire conduifoit, tournèrent leurs vues & leurs efforts de ce côté-là. Point de méthode d'abord; nul exercice pour fe former; nul foupçon qu'il y eût des règle; ils fe livroient à leur génie. Mais enfuite, lorfqu'ils eurent connu le goût des Grecs, entendu. leurs orateurs', & pris des maîtres, la paffion de l'éloquence fut portée au fuprême degré. Une foule d'affaires importantes, & dans tous les genres, fourniffoit fans ceffe

l'occafion de parler, en forte qu'à l'étude du cabinet, on joignoit un fréquent ufage, le meilleur de tous les maîtres. Alors, comme aujourd'hui, c'étoit la route de la faveur, des richeffes, des honneurs. Ajoutons (car le fait eft prouvé d'ailleurs) qu'il y a toujours eu plus d'efprit chez les Romains, que dans le refte du monde.

Peut-on, cela étant, n'être pas furpris de trouver dans toute l'antiquité, & quelque part que ce foit, une fi grande difette d'orateurs ? Sans doute, leur art eft quelque chofe de plus grand, & demande plus de talens réunis, que l'on ne pense. Car enfin, de ce qu'il y a tant de beaux génies qui s'y ap

pliquent, tant d'habiles maîtres qui l'enseignent, tant d'heureux & de riches fujets à manier, tant de récompenfes, & cependant fi peu de fuccès; que conclure de-là, fi ce

n'eft

que

l'art eft donc d'une éton

nante difficulté ?

Auffi eft-il néceffaire pour y réuffir, que l'on ait un grand fonds de connoiffances; fans quoi ce ne feroit qu'un flux de paroles vain & digne de rifée. Il faut un ftyle qui frappe autant par le choix que par l'arrangement des mots. Et comme l'effentiel confifte tantôt à émouvoir les passions, tantôt à les calmer, il faut connoître tous ces refforts fecrets, que la nature cacha dans le cœur humain. Joi

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