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Mais à peine refpirons-nous, que c'eft pour ne rien voir, pour ne rien entendre, qui ne foit pernicieux. Vous diriez que nous fuçons l'erreur avec le lait de la nourrice. Remis entre les mains de nos parens, & livrés enfuite à des maîtres, nous recevons tant de mauvaises impreffions, qu'enfin la force du préjugé l'emporte fur les principes de la nature, & le menfonge fur la vérité. Joignez à cela les poëtes; on fe laiffe prévenir d'une haute eftime pour leur favoir, on les écoute, on les lit, on les apprend par cœur, & leurs leçons ne s'oublient point. Joignez-y encore la principale école, qui eft le monde ; c'eft bien là que nous

achevons de nous gâter l'efprit, & que nous perdons abfolument de vue la nature, parmi cette multitude d'hommes, qui tous, d'un commun accord, fe portent au mal.

Que les grands foient un modèle pour le public. Tout ira bien, fi cela eft. Pour infecter la ville entière, il fuffit que leurs paffions & leurs vices éclatent; comme auffi, pour y mettre la réforme, c'eft affez qu'ils fe contiennent. On reprochoit à Lucullus, homme du premier rang, d'avoir fi magnifiquement bâti à Tufculum, & làdeffus il fit une réponse qu'on trouvoit fort belle; Qu'il avoit pour voifins, plus haut, un chevalier

romain, & plus bas, le fils d'un affranchi, lefquels étant fuperbement logés tous les deux, on pouvoit bien lui paffer ce qui n'étoit pas défendu à des gens de moindre condition. Mais, Lucullus, ne voyezvous pas que c'est vous qui leur en avez fait naître l'idée, dont, fi votre exemple ne les autorisoit pas, on leur feroit un crime? Verroit-on tranquillement, que des gens de cette forte euffent des maifons de campagne remplies de ftatues & de tableaux, qui appartiennent, ou à des monumens publics, ou à des temples? Quel foulèvement contre un tel défordre › fi ceux qui devroient l'arrêter n'y tomboient pas eux-mêmes? Car,

que les grands s'écartent de la règle, c'eft un mal, qui, tout confidérable qu'il eft par lui-même, l'eft infiniment plus, en ce qu'ils ont quantité d'imitateurs.

Rappelez-vous la mémoire des tems paffés, & vous verrez que ce qu'ont été les grands, le refte des citoyens l'a toujours été. Quelque changement qu'il y ait eu dans les moeurs des grands, le peuple s'y eft conformé. Et cette obfervation eft bien plus certaine que celle de Platon, qui prétend qu'un nouveau genre de mufique eft capable d'altérer les mœurs. Pour moi, je crois que cela eft attaché à la ma nière dont vivent les grands. Ainfi les grands qui vivent mal, font

doublement pernicieux à l'état ; car non-feulement ils ont des vices, mais ils les communiquent non-feulement ils font corrompus, mais ils corrompent; & l'exemple, qu'ils donnent, eft pire que le mal qu'ils commettent.

Platon, ce beau génie, & ce favant homme, difoit, qu'enfin un jour les peuples feroient heureux, s'il arrivoit ou que des fages fuffent choifis pour gouverner, ou que la fageffe fût la feule étude le feul objet de ceux qui gouvernent. Qu'en effet, pour opérer le falut public, il faut que la fageffe & la puiffance foient réunies.

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On demandoit à Socrate, fi le fils de Perdiccas, Archelaüs, qui paffoit

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