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miférable peintre est appelé pein◄ tre. Ce n'eft point l'art qui met de la différence entr'eux, c'est le talent. Auffi n'y a-t-il point d'orateur, qui ne voulût reffembler à Démosthène; mais (1) Ménandre n'a point voulu reffembler à Homère. Il travailloit dans un autre genre. Voilà ce qui n'eft point vrai des orateurs. Si l'un, fous prétexte qu'il cherche à mettre de la force dans fon difcours, néglige la prés cifion; fi l'autre, pour être plus ferré, ne s'attache point aux ornemens; quoique l'un & l'autre fe faffent fupporter, on ne dira pas

(1) Ménandre, athénien, ne fit que des Comédies, & il y excelfa.

qu'aucun d'eux foit parfait. Car la perfection eft l'affemblage de toutes les bonnes qualités.

Toutes les fois que je me remets devant les yeux ce qu'il y a eu de grands hommes & d'efprits fupérieurs, je me fais cette question, d'où vient qu'il y en a plus qui ont excellé dans tous les autres arts, que dans celui de l'éloquence? Parcourez les autres genres où il faut du mérite; ceux-mêmes où il en faut le plus ; & vous n'en trouverez point où beaucoup de gens ne foient parvenus à fe faire admirer. Qui, par exemple, ne mettra pas au-deffus de l'orateur, le général d'armée, fi c'est par l'utilité & par la grandeur des ac

tions, que l'on apprécie le mérite? Romé cependant, Rome feule a produit une infinité d'illuftres guer riers, tandis qu'à peine citeronsnous un bien petit nombre de bons orateurs. Pour des hommes fages & capables de gouverner, nous en avons eu plufieurs de notre tems; nos pères, nos ancêtres en avoient encore plus que nous; mais des orateurs, le premier qu'on ait pu eftimer, n'eft venu que bien tard, & à peine chaque fiècle en a-t-il fourni un de fupportable."

On me dira que le mérite de l'otateur, & celui d'un général d'armée ou d'un bon fénateur, n'ont point affez de rapport, & qu'il vaudroit mieux ici ne parler que

des arts, qui tiennent à la litté◄ rature. Renfermons-nous-y donc & voyons dans quelqu'autre genre que ce foit, combien de noms célèbres s'offrent à nous. Rien ne prouve mieux à quel point il eft vrai, que tous les tems furent ftériles en orateurs.

Vous favez que celle des fciences qui eft regardée comme la fource & la mère de toutes les autres, c'eft la philofophie, ainfi que l'appellent les Grecs. Or il ne feroit pas aifé de compter les philofophes, qui ont brillé par l'étendue, par la variété, par la profondeur de leur favoir, & qui, loin de fe borner à quelqu'objet détaché, ont embraffé tout, ont raifonné fur tout. Quoique les mathé

matiques foient un amas de connoiffances abftraites, & qui demandent une grande pénétration; tel a pourtant été le nombre des habiles mathématiciens, qu'on diroit que perfonne n'ait voulu s'appliquer à cette fcience, qu'il n'y ait réuffi. Quelqu'un s'eft-il bien mis dans l'efprit d'apprendre la mufique, ou d'acquérir cette forte d'érudition, qui eft le partage des (1) grammairiens, qu'il n'en foit venu à bout, quoique la quantité des chofes qu'il faut favoir pour cela, foit prefque infinie?

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(1) Par ce mot grammairien, on entendoit autrefois un favant, qui poffédoit' tout ce qu'on entend aujourd'hui par le mot de belles-lettres, en françois.

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