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L'ESPRIT DE LA CONVERSATION.

L'esprit de la conversation consiste bien moins à en montrer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres; celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit l'est de vous parfaitement. Les hommes n'aiment point à vous admirer, ils veulent plaire: ils cherchent moins à être instruits, et même réjouis, qu'à être goûtés et applaudis; et le plaisir le plus délicat est de faire celui d'autrui.

Il ne faut pas qu'il y ait trop d'imagination dans nos conversations ni dans nos écrits: elle ne produit souvent que des idées vaines et puériles, qui ne servent point à perfectionner le goût et à nous rendre meilleurs; nos pensées doivent être prises dans le bon sens et la droite raison, et doivent être un effet de notre jugement.

C'est une grande misère que de n'avoir pas assez d'esprit pour bien parler, ni assez de jugement pour se taire. Voilà le principe de toute impertinence.

Dire d'une chose modestement, ou qu'elle est bonne ou qu'elle est mauvaise, et les raisons pourquoi elle est telle, demande. du bon sens et de l'expression: c'est une affaire. Il est plus court de prononcer d'un ton décisif, et qui emporte la preuve de ce qu'on avance, ou qu'elle est exécrable, ou qu'elle est miraculeuse.

Rien n'est moins selon Dieu et selon le monde que d'appuyer tout ce que l'on dit dans la conversation, jusqu'aux choses les plus indifférentes, par de longs et de fastidieux serments. Un honnête homme, qui dit oui et non, mérite d'être cru: son caractère jure pour lui, donne créance à ses paroles, et lui attire toute sorte de confiance.

Celui qui dit incessamment qu'il a de l'honneur et de la probité, qu'il ne nuit à personne, qu'il consent que le mal qu'il fait aux autres lui arrive, et qui jure pour le faire croire, ne sait pas même contrefaire l'homme de bien.

Il y a parler bien, parler aisément, parler juste, parler à propos: c'est pécher contre ce dernier genre que de s'étendre

sur un repas magnifique, que l'on vient de faire, devant des gens qui sont réduits à épargner leur pain; de dire merveilles de sa santé devant des infirmes; d'entretenir de ses richesses, de ses revenus et de ses ameublements un homme qui n'a ni rentes ni domicile; en un mot, de parler de son bonheur devant des misérables: cette conversation est trop forte pour eux, et la comparaison qu'ils font alors de leur état au vôtre est odieuse.

§ 14. FENELON, 1651-1715.

Né au début de la deuxième partie du grand siècle qu'il n'a pas peu contribué à illustrer, FÉNELON fut un des derniers représentants de cette époque classique, et ne précéda Louis XIV au tombeau que de peu de mois. Membre de l'Académie française, archevêque de Cambrai, cet illustre écrivain dut à son immortel Télémaque le surnom de Racine de la prose. Ce chef-d'œuvre de style poétique, de morale et de politique, fut composé pour l'éducation du duc de Bourgogne, dont Fénelon était le digne précepteur. Ses Fables, pleines d'élégance, de grâce et de naturel, ainsi que ses Dialogues des Morts, où de hautes leçons morales sont cachées sous les discussions familières et intéressantes des plus illustres personnages de l'histoire, tendaient aussi au même but. Son Traité de l'existence de Dieu se distingue par la force de la vérité qui s'y trouve présentée et par les connaissances profondes et variées de l'auteur.

De sévères vérités, exprimées cependant avec modération dans le Télémaque, des portraits tracés avec la conscience d'un homme de bien, lui aliénèrent la faveur de Louis XIV, qui, en 1693, le relégua à Cambrai, dont il le fit nommer archevêque. C'est là qu'il passa le reste de ses jours dans la pratique de toutes les vertus chrétiennes et dans la culture des lettres.

Fénelon est le premier de tous les prosateurs français par son style pur, coulant, harmonieux, plein de grâce et d'imagination.

LA BIBLE.

L'Écriture surpasse en naïveté, en vivacité, en grandeur, tous les écrivains de Rome et de la Grèce. Jamais Homère même n'a approché de la sublimité de Moïse dans ses cantiques, particulièrement le dernier, que tous les enfants des Israélites devaient apprendre par cœur. Jamais nulle ode grecque ou latine n'a pu atteindre à la hauteur des psaumes; par exemple, celui qui commence ainsi: "Le Dieu des Dieux, le Seigneur a parlé, et il a appelé la terre," surpasse toute imagination humaine. Jamais Homère ni aucun autre poète n'a égalé Isaïe peignant la majesté de Dieu aux yeux duquel "les royaumes ne sont qu'un grain de poussière; l'univers qu'une tente qu'on dresse aujourd'hui et qu'on enlève demain." Tantôt ce prophète a toute la douceur et toute la tendresse d'une églogue, dans les riantes peintures qu'il fait de la paix; tantôt il s'élève jusqu'à laisser tout au-dessous de lui. Mais qu'y a-t-il, dans l'antiquité profane, de comparable au tendre Jérémie, déplorant les maux de son peuple; ou à Nahum, voyant de loin, en esprit, tomber la superbe Ninive sous les efforts d'une armée innombrable? On croit voir cette armée, on croit entendre le bruit des armes et des chariots; tout est dépeint d'une manière vive qui saisit l'imagination; il laisse Homère loin derrière lui. Lisez encore Daniel, dénonçant à Balthazar la vengeance de Dieu toute prête à fondre sur lui; et cherchez, dans les plus sublimes originaux de l'antiquité, quelque chose qu'on puisse lui comparer. Au reste, tout se soutient dans l'Écriture; tout y garde le caractère qu'il doit avoir, l'histoire, le détail des lois, les descriptions, les endroits véhéments, les mystères, les discours de morale; enfin, il y a autant de différence entre les poètes profanes et les prophètes, qu'il y en a entre le véritable enthousiasme et le faux. Les uns, véritablement inspirés, expriment sensiblement quelque chose de divin; les autres, s'efforçant de s'élever au-dessus d'eux-mêmes, laissent toujours voir en eux la faiblesse humaine.

LOUIS.

LOUIS XII ET FRANÇOIS IER

Dialogue des Morts.

Mon cher cousin, dites-moi des nouvelles de la France; j'ai toujours aimé mes sujets comme mes enfants, j'avoue que j'en suis en peine. Vous étiez bien jeune en toute manière, quand je vous laissai la couronne. avez-vous gouverné mon pauvre royaume?

Comment

FRANÇOIS. J'ai eu quelques malheurs; mais, si vous voulez que je vous parle franchement, mon règne a donné à la France bien plus d'éclat que le vôtre.

LOUIS. O mon Dieu! c'est cet éclat que j'ai toujours craint. Je vous ai connu, dès votre enfance, d'un naturel à ruiner les finances, à hasarder tout pour la guerre, à ne rien soutenir avec patience, à renverser le bon ordre au-dedans de l'État, et à tout gâter pour faire parler de vous.'

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FRANÇOIS. C'est ainsi que les vieilles gens sont toujours préoccupés contre ceux qui doivent être leurs successeurs; mais voici le fait: j'ai soutenu une horrible guerre contre Charles-Quint, empereur et roi d'Espagne; j'ai gagné en Italie les fameuses batailles de Marignan contre les Suisses et de Cérisoles contre les Impériaux; j'ai vu le roi d'Angleterre ligué avec l'Empereur contre la France, et j'ai rendu leurs efforts inutiles. J'ai enltivé les sciences. J'ai mérité d'être immortalisé par les gens de lettres. J'ai fait revivre le siècle d'Auguste au milieu de ma cour; j'y ai mis la magnificence, la politesse, l'érudition et la galanterie. Avant moi, tout était grossier, pauvre, ignorant, gaulois; enfin je me suis fait nommer le père des lettres.

LOUIS. Cela est beau; et je ne veux point en diminuer la gloire, mais j'aimerais mieux encore que vous eussiez été le père du peuple, que le père des lettres. Avez-vous laissé les Français dans la paix et dans l'abondance?

FRANÇOIS. Non, mais mon fils, qui est jeune, soutiendra la guerre; et ce sera à lui à soulager enfin les peuples épuisés. Vous les ménagiez plus que moi; mais aussi vous faisiez faiblement la guerre.

LOUIS. Vous l'avez donc faite sans doute avec de grands Quelles sont vos conquêtes?

succès ?

royaume de Naples?

Avez-vous pris le

FRANÇOIS. Non, j'ai eu d'autres expéditions à faire.
LOUIS. Du moins vous avez conservé le Milanais?

FRANÇOIS. Il m'est arrivé bien des accidents imprévus.

LOUIS. Quoi donc? Charles-Quint vous l'a enlevé? Avezvous perdu quelque bataille? Parlez: vous n'osez tout dire.

FRANÇOIS. Je fus pris dans une bataille à Pavie.5

LOUIS. Comment, pris! Hélas! en quel abîme s'est-il jeté par de mauvais conseils!

C'est donc ainsi que vous m'avez surpassé à la guerre? Vous avez replongé la France dans les malheurs qu'elle souffrit sous le roi Jean. Pauvre France, que je te plains! Je l'avais bien prévu. Eh bien, je vous entends; il a fallu rendre des provinces entières, et payer des sommes immenses. Voilà à quoi aboutit ce faste, cette hauteur, cette témérité, cette ambition." Et la justice comment va-t-elle ?

FRANÇOIS. Elle m'a donné de grandes ressources; j'ai vendu les charges de magistrature.

LOUIS. Et les juges qui les ont achetées vendront à leur tour la justice. Mais tant de sommes levées sur le peuple ont-elles été bien employées pour lever et faire subsister les armées avec économie?

FRANÇOIS. Il en fallut une partie pour la magnificence de

ma cour.

LOUIS. Si bien donc que le peuple est ruiné, la guerre encore allumée, la justice vénale, la cour livrée à toutes les folies de la galanterie, tout l'État en souffrance. Voilà ce règne si brillant qui a effacé le mien! Un peu de modération vous aurait fait bien plus d'honneur.

FRANÇOIS. Mais j'ai fait plusieurs grandes choses qui m'ont fait louer comme un héros; on m'appelle LE GRAND ROI FRANÇOIS.

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LOUIS. C'est-à-dire que vous avez été flatté pour votre argent, et que vous vouliez être héros aux dépens de

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