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avec moi; et, après quelques autres discours, il me dit: Acciam croc soler onch alla moustaphgidélum amanahem varahini oussere carbulath? C'est-à-dire : N'as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de monsieur Jourdain gentilhomme parisien?

M. JOURD. Le fils du grand Turc dit cela de moi?

COV. Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement, et que j'avais vu votre fille! Ah! me dit-il, marababa sahem! C'est-à-dire : Ah! que je suis amoureux d'elle!

M. JOURD.

Marababa sahem veut dire: Ah! que je suis

amoureux d'elle? COV. Oui.

M. JOURD.

Par ma foi, vous faites bien de me le dire, car, pour moi, je n'aurais jamais cru que marababa sahem eût voulu dire: Ah! que je suis amoureux d'elle! langue admirable que ce ture!

COV.

Voilà une

Plus admirable qu'on ne peut croire. Savez-vous

bien ce que veut dire cacaracamouchen?

M. JOURD. Cacaracamouchen? non.

COV. C'est-à-dire : Ma chère âme.

M. JOURD. Cacaracamouchen veut dire ma chère âme? Cov. Oni.

M. JOURD. Voilà qui est merveilleux! Cacaracamouchen, ma chère âme! Dirait-on jamais cela? Voilà qui me confond. cov. Enfin, pour achever mon ambassade, il vient vous demander votre fille en mariage; et, pour avoir un beau-père qui soit digne de lui, il veut vous faire mamamouchi, qui est une certaine grande dignité de son pays.

M. JOURD. Mamamouchi?

Oui, mamamouchi: c'est-à-dire, en notre langue,
Paladin enfin.

paladin. Paladin, ce sont de ces anciens..

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Il n'y a rien de plus noble que cela dans le monde; et vous irez de pair avec les plus grands seigneurs de la terre.

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M. JOURD. Le fils du grand Turc m'honore beaucoup et je vous prie de me mener chez lui pour lui en faire mes remercî

ments.

COV. Comment! le voilà qui va venir ici.

M. JOURD. Il va venir ici?

COV. Oui; et il amène toutes choses pour la cérémonie de votre dignité.

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Cov. Son amour ne peut souffrir aucun retardement.

M. JOURD. Tout ce qui m'embarrasse ici, c'est que ma fille est une opiniâtre, qui s'est allée mettre dans la tête un certain Cléonte; et elle jure de n'épouser personne que celui-là.

COV. Elle changera de sentiment quand elle verra le fils du grand Turc; et puis il se rencontre ici une aventure merveilleuse, c'est que le fils du grand Turc ressemble à ce Cléonte, peu de chose près. Je viens de le voir, on me l'a montré ; et l'amour qu'elle a pour l'un pourra passer aisément à l'autre, et . . . Je l'entends venir; le voilà.

à

SCENE VI.

CLÉONTE en Turc, TROIS PAGES portant la veste de Cléonte,
M. JOURDAIN, Covielle.

CLÉ. Ambousahim oqui boraf, Giourdina, salamaléqui! cov. (à M. Jourdain). C'est-à-dire: Monsieur Jourdain, votre cœur soit toute l'année comme un rosier fleuri! Ce sont façons de parler obligeantes de ces pays là.

M. JOURD. Je suis très humble serviteur de son altesse turque. cov. Carigar camboto oustin moraf.

CLÉ. Oustin yoc catamaléqui basum base alla moram! COV. Il dit: Que le ciel vous donne la force des lions et la prudence des serpents!

M. JOURD. Son altesse turque m'honore trop; et je lui souhaite toutes sortes de prospérités.

COV. Ossa binamen sadoc baballi oracaf ouram.

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COV. Il dit que vous alliez vite avec lui vous préparer pour la cérémonie, afin de voir ensuite votre fille et de conclure le mariage.

M. JOURD.

COV.

Tant de choses en deux mots?

Oui. La langue turque est comme cela, elle dit beaucoup en peu de paroles. Allez vite où il souhaite.

HARP.

L'AVARE.

Acte III. Sc. I-V.

L'Avare donne un Dîner

HARPAGON, l'avare.

VALÈRE, intendant d'Harpagon.

DAME CLAUDE, servante d'Harpagon.

MAÎTRE JACQUES, cuisinier et cocher d'Harpagon.

BRINDAVOINE,

LA MERLUCHE,

laquais d' Harpagon.

Ap

Allons, venez çà tous, que je vous distribue mes ordres pour tantôt, et règle à chacun son emploi. prochez, dame Claude: commençons par vous. Bon, vous voilà les armes à la main. Je vous commets au soin de nettoyer partout; et surtout prenez garde de frotter les meubles trop fort, de peur de les user. Outre cela, je vous constitue, pendant le souper, au gouvernement des bouteilles, et s'il s'en écarte quelqu'une, et qu'il se casse quelque chose, je m'en prendrai à vous et le rabattrai sur vos gages.

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MAÎTRE J., à part. Châtiment politique!

HARP. Vous, Brindavoine, et vous, La Merluche, je vous établis dans la charge de rincer les verres et de donner à boire, mais seulement lorsque l'on aura soif, et non pas suivant la coutume de certains impertinents de laquais qui viennent provoquer les gens et les faire aviser de boire lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'on vous en demande plus d'une fois, et vous ressouvenez de porter toujours beaucoup d'eau.

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MAÎTRE J., à part. Oui, le vin pur monte à la tête.

LA MERL. Quitterons-nous nos souquenilles,10 monsieur? HARP. Oui, quand vous verrez venir les personnes; et gardez bien de gâter vos habits.

BRIND. Vous savez bien, monsieur, qu'un des devants de mon pourpoint" est couvert d'une grande tache de l'huile de la lampe.

LA MERL. Et moi, monsieur, j'ai mon haut-de-chausses

tout troué.

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HARP. Tenez toujours votre chapeau ainsi, lorsque vous servirez.

(DAME CLAUDE, BRINDAVOINE et LA MERLUCHE sortent.)

HARP. Valère, aide-moi à ceci. Oh çà! maître Jacques; approchez-vous: je vous ai gardé pour le dernier.

MAÎTRE J. Est-ce à votre cocher, monsieur, ou bien à votre cuisinier que vous voulez parler? car je suis l'un et l'autre. HARP. C'est à tous les deux.

MAÎTRE J. Mais à qui des deux le premier?

HARP. Au cuisinier.

MAÎTRE J. Attendez donc, s'il vous plaît.

(MAÎTRE JACQUES ôte sa casaque de cocher et paraît en cuisinier.)

HARP. Quelle cérémonie est-ce-là?

MAÎTRE J. Vous n'avez qu'à parler.

HARP. Je me suis engagé, maître Jacques, à donner ce soir à souper.

MAÎTRE J., à part. Grande merveille!

13

HARP. Dis-moi un peu, nous feras-tu 13 bonne chère?
MAÎTRE J. Oui, si vous me donnez bien de l'argent.

HARP. Que diable! toujours de l'argent! Il semble qu'ils n'aient rien autre chose à dire! de l'argent! de l'argent! de l'argent! Ah, ils n'ont que ce mot-là à la bouche, de l'argent! Toujours parler d'argent! Voilà leur épée de chevet,1 de l'argent!

VAL. Je n'ai jamais vu de réponse plus impertinente. que celle-là. Voilà une belle merveille que de faire bonne chère avec bien de l'argent! c'est la chose la plus aisée du monde, et il n'y a si pauvre esprit qui n'en fît autant. Mais pour agir en habile homme, il faut parler de faire bonne chère avec peu d'argent.

MAÎTRE J.
VAL. Oui.

Bonne chère avec peu d'argent?

MAÎTRE J., à Valère. Par ma foi, monsieur l'intendant, vous nous obligerez de nous faire voir ce secret et de prendre mon office de cuisinier: aussi bien vous mêlez-vous céans 15 d'être le factotum.

HARP. Taisez-vous. Qu'est-ce qu'il nous faudra?

MAÎTRE J. Voilà monsieur votre intendant qui vous fera bonne chère pour peu d'argent.

HARP. Ah! je veux que tu me répondes.

MAÎTRE J. Combien serez-vous de gens à table?

HARP. Nous serons huit ou dix; mais il ne faut prendre que huit. Quand il y a à manger pour huit, il y en a bien

pour dix.

VAL. Cela s'entend.

MAÎTRE J. Eh bien! il faudra quatre grands potages et cinq assiettes. Potages ... Entrées

HARP. Que diable! voilà pour traiter toute une ville entière ! MAÎTRE J. Rôt

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HARP. (mettant la main sur la bouche de maître Jacques). Ah! traître, tu manges tout mon bien.

MAÎTRE J. Entremets

HARP. (mettant encore la main sur la bouche de maître Jacques). Encore!

VAL. (à maître Jacques). Est-ce que vous avez envie de faire crever 16 tout le monde? et monsieur a-t-il invité les gens pour les assassiner à force de mangeaille"! Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux médecins. s'il y a rien de plus préjudiciable à l'homme que de manger

avec excès.

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VAL. Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils, que c'est un coupe-gorge qu'une table remplie de trop de viandes 18; que, pour bien se montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu'on donne, et que, suivant le dire d'un ancien, il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

HARP. Ah! que cela est bien dit! t'embrasse pour ce mot.

Approche, que je

Voilà la plus belle sentence que

j'aie entendue de ma vie: Il faut vivre pour manger, et

ron pas manger pour vi

ment est-ce que tu dis?

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Non, ce n'est pas cela. Com

VAL. Qu'il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

HARP. (à maître Jacques). Oui, entends-tu? (A Valère.) Qui est le grand homme qui a dit cela?

VAL. Je ne me souviens pas maintenant de son nom.

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