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Un peuple esclave encensait ces idoles;

Un peuple libre a des honneurs plus grands. Hélas! dit-il, et son œil sur les ondes

Semble chercher des bords lointains et chers. Que la vertu rapproche les deux mondes! Jours de triomphe, éclairez l'univers !

LA PAUVRE FEMME.

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Il neige, il neige, et là, devant l'église
Une vieille prie à genoux.1
Sous ses haillons où s'engouffre la bise,
C'est du pain qu'elle attend de nous.
Seule, à tâtons, au parvis Notre-Dame,
Elle vient, hiver comme été;

Elle est aveugle, hélas ! la pauvre femme;
Ah! faisons-lui la charité."

Savez-vous bien ce que fut cette vieille
Au teint hâve, aux traits amaigris?
D'un grand spectacle autrefois la merveille,
Ses chants ravisaient tout Paris.

Les jeunes gens, dans le rire ou les larmes,
S'exaltaient devant sa beauté ;

Tous ils ont dû des rêves à ses charmes :
Ah! faisons-lui la charité.

Combien de fois, s'éloignant du théâtre
Au pas pressé de ses chevaux,

Elle entendit une foule idolâtre

La poursuivre de longs bravos!

Pour l'enlever au char qui la transporte,
Pour la rendre à la volupté,

Que de rivaux l'attendaient à sa porte.
Ah! faisons-lui la charité.

Quand tous les arts lui tressaient des couronnes,
Qu'elle avait un pompeux séjour!

Que de cristaux, de bronzes, de colonnes,
Tributs de l'amour à l'amour!

Dans ses banquets, que de muses fidèles
Au vin de sa prospérité!

Tous les palais ont leurs nids d'hirondelles:
Ah! faisons-lui la charité.

Revers affreux! un jour la maladie
Eteint ses yeux, brise sa voix,
Et bientôt, seule et pauvre, elle mendie
Où, depuis vingt ans, je la vois.

Aucune main n'eut mieux l'art de répandre
Plus d'or avec plus de bonté

Que cette main qu'elle hésite à nous tendre:
Ah! faisons-lui la charité.

Le froid redouble: ô douleur, ô misère!
Tous ses membres sont engourdis;
Ses doigts ont peine à tenir le rosaire
Qui l'eût fait sourire jadis.

Sous tant de maux si son cœur tendre encore
Peut se nourrir de piété,

Pour qu'il ait foi dans le ciel qu'elle implore,
Ah! faisons-lui la charité.

CINQUANTE ANS.

Pourquoi ces fleurs? est-ce ma fête1?
Non ce bouquet vient m'annoncer
Qu'un demi-siècle sur ma tête
Achève aujourd'hui de passer.
Oh! combien nos jours sont rapides!
Oh! combien j'ai perdu d'instants!
Oh! combien je me sens de rides!
Hélas! hélas! j'ai cinquante ans,7

A cet âge, tout nous échappe;
Le fruit meurt sur l'arbre jauni.
Mais à ma porte quelqu'un frappe;
N'ouvrons point: mon rôle est fini.
C'est, je gage, un docteur qui jette
Sa carte, où s'est logé le Temps.
Jadis, j'aurais dit: C'est Lisette.
Hélas! hélas! j'ai cinquante ans.

En maux cuisants vieillesse abonde:
C'est la goutte qui nous meurtrit;
La cécité, prison profonde;
La surdité, dont chacun rit.
Puis la raison, lampe qui baisse,
N'a plus que des feux tremblotants.
Enfants, honorez la vieillesse !
Hélas! hélas! j'ai cinquante ans!

Ciel! j'entends la Mort, qui, joyeuse,
Arrive en se frottant les mains.
A ma porte la fossoyeuse

Frappe; adieu, messieurs les humains!
En bas, guerre, famine et peste;
En haut, plus d'astres éclatants.
Ouvrons, tandis que Dieu me reste.
Hélas! hélas! j'ai cinquante ans.

Mais non; c'est vous! vous, jeune amie,
Sœur de charité des amours!

Vous tirez mon âme endormie

Du cauchemar des mauvais jours.
Semant les roses de votre âge
Partout, comme fait le printemps,
Parfumez les rêves d'un sage.
Hélas! hélas! j'ai cinquante ans.

§ 72. MILLEVOYE, 1782–1816.

CHARLES-HUBERT MILLEVOYE, célèbre poète élégiaque, né à Abbeville en 1782, remporta plusieurs fois le prix de poésie à l'Académie française.

Ses principaux ouvrages sont: les Plaisirs du poète; l'Amour maternel; l'Indépendance de l'homme de lettres; Belsunce, ou la Peste de Marseille, etc.; quelques traductions de l'Iliade, de Théocrite, de Virgile, du Camoëns; Charlemagne à Pavie, poème; Alfred, roi d'Angleterre; la Rançon d'Égild; la Tête des Martyrs; poèmes, etc.

LA TENDRESSE MATERNELLE.

Si de ses premiers maux le tribut passager
Au nourrisson débile arrache un cri léger,
Une mère, l'effroi, le désespoir dans l'âme,
Voit déjà de ses jours se délier la trame;
Elle écoute la nuit son paisible sommeil;
Par un souffle elle craint de hâter son réveil;
Elle entoure de soins sa fragile existence;
Avec celle d'un fils la sienne recommence:
Elle sait, dans ses cris devinant ses désirs,
Pour ses caprices même inventer des plaisirs.
Quand la raison précoce a devancé son âge,
Sa mère la première épure son langage;
De mots nouveaux pour lui, par de courtes leçons,
Dans sa jeune mémoire elle imprime les sons:
Soin précieux et tendre, aimable ministère,
Qu'interrompent souvent les baisers d'une mère!
D'un utile entretien elle poursuit le cours,
Sans jamais se lasser répond à ses discours,
L'applaudit doucement, et doucement le blâme,
Cultive son esprit, fertilise son âme,

Et fait luire à son œil, encore faible et tremblant,
De la religion le flambeau consolant.

Quelquefois une histoire abrége la veillée;
L'enfant prête une oreille active, émerveillée:

Appuyé sur sa mère, à ses genoux assis,

Il craint de perdre un mot de ces fameux récits.
Quelquefois de Gessner1 la Muse pastorale
Offre au jeune lecteur sa riante morale;
Il préfère à ses jeux ces passe-temps chéris,
Et pour lui le travail du travail est le prix.
La lice va s'ouvrir: l'étude opiniâtre
Te dispute ce fils que ton cœur idolâtre,
Tendre mère! déjà de sérieux loisirs
Préparent ses succès ainsi que tes plaisirs.
Enfin vient la journée où le grave Aristarque,
D'un peuple turbulent flegmatique monarque,
Dépouillant de son front la vieille austérité,
Décerne au jeune athlète un laurier mérité.
En silence on attache une vue attendrie
Sur l'enfant qui promet un homme à la patrie;
Cet enfant, c'est le tien. Un cri part: le vainqueur,
Porté par mille bras, est déjà sur ton cœur;
Son triomphe est à toi, sa gloire t'environne,
Et de pleurs maternels tu mouilles sa couronne.

§ 73. NODIER, 1783-1844.

CHARLES NODIER, philologue et romancier, né à Besançon, s'est placé au rang des écrivains contemporains les plus estimés. Il était membre le l'Académie française.

LE RETOUR AU VILLAGE.

Je vais revoir mon village,1
Les lieux que j'ai tant chéris,
Et la montagne sauvage,
Et les églantiers fleuris:
Douce trève

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