Page images
PDF
EPUB

Pourquoi donc s'emporter, mon ami, quand on cause?
Vous parlez de volcans, de naufrage. . . . Eh! mon cher,
Demeurez en Touraine, et n'allez point sur mer.
Sans doute autant que vous je déteste la guerre ;
Mais on s'éclaire enfin, on ne l'aura plus guère;
Bien des gens, dites-vous, doivent: sans contredit,
Ils ont tort; mais pourquoi leur a-t-on fait crédit?

Tous nos plaisirs sont faux? Mais quelquefois à table,
Je vous ai vu goûter un plaisir véritable.

On fait de méchants vers? Eh! ne les lisez pas:
Il en paraît aussi dont je fais très grand cas.
On déraisonne? Eh! oui, parfois un faux système
Nous égare.
. . Entre nous, vous le prouvez vous-même.
Calmez donc votre bile, et croyez qu'en un mot,
L'homme n'est ni méchant, ni malheureux, ni sot.

Je ne suis point aveugle; et je vois, j'en conviens,
Quelques maux, mais je vois encore plus de biens;
Je savoure les biens; les maux, je les supporte.
Que gagnez-vous, de grâce, à gémir de la sorte?
Vos plaintes, après tout, ne sont qu'un mal de plus.
Laissez donc là, mon cher, les regrets superflus;
Reconnaissez du Ciel la sagesse profonde,

Et croyez que tout est pour le mieux dans le monde.

LA JEUNESSE DU JOUR.

Moi! je me garde bien de dire un mot; j'admire.
Je sens que pour s'instruire il n'était pas besoin
De tant se fatiguer, de prendre tant de soin.
Oh! non, je reconnais que ces longues études
N'étaient qu'un sot ennui, que tristes habitudes;
Je vois qu'à moins de frais il est de beaux esprits,
Et même des savants, qui, n'ayant rien appris,
N'ignorent nulle chose, et, des heures entières,

Vont parler, discuter sur toutes les matières,

Sur des points de science, en affaires de goût,

Dans le monde, au spectacle, en famille et partout,
S'érigent en censeurs, en arbitres suprêmes,

Et toujours, en un mot, sont très contents d'eux-mêmes.
On est tout confondu d'un ton si décidé.

Tu sais tout, à t'entendre; et monsieur de Naudé
Me disait même hier: "Que de choses j'ignore!
Mon ami, je vieillis en m'instruisant encore.

Et l'air de confiance et l'éternel babil

J'admire, ajoutait-il,

De ces messieurs à peine échappés de l'enfance;
Car ils ont d'un seul pas franchi l'adolescence.
Ils semblent tout savoir, à leur ton, leur maintien;
Mais ils ne savent rien, n'apprendront jamais rien:
Parlent avec mépris de tout ce qu'ils ignorent,
Et de leur nullité publiquement s'honorent;
Êtres inconséquents, neufs, blasés et flétris,

Tels que des fruits sans goût, avant le temps mûris:
A quinze ans les voilà déjà de petits hommes,

Plus forts, même plus vieux que tous tant que nous sommes.

[ocr errors]

§ 68. ANDRIEUX, 1759-1833.

FRANÇOIS-GUILLAUME-JEAN-STANISLAS ANDRIEUX naquit à Strasbourg, et après avoir fait de brillantes études au collége du cardinal Lemoine, à Paris, il s'annonça dans le monde littéraire par deux comédies qui eurent un grand succès, Anaximandre et les Étourdis.

Quoique sa route semblât lui être tracée par ce début, il s'en détourna et se livra à l'étude du droit, pour être utile à des parents sans fortune; il allait être inscrit au tableau des avocats, lorsque l'ordre fut dissous par les événements de la révolution.

Il parut alors plus que jamais éloigné de la carrière littéraire. Successivement chef de bureau, juge, vice-président au tribunal de cassation, député, membre du tribunat, il semblait jeté dans une voie tout opposée. Bonaparte, à qui sa résistance avait déplu, le rendit à luimême, en l'éliminant du tribunat.

Chargé d'une femme, de deux filles et d'une sœur, Andrieux était loin même de l'aisance; Fouché, qui l'appréciait, lui offrit une place de censeur: "Mon rôle, répondit-il, est d'être pendu, et non pas d'être bourreau." Dans cette position pénible, il trouva ressource et consolation dans les lettres, qu'il n'avait jamais négligées. L'Institut lui fut ouvert; Joseph Bonaparte, devenu prince, le fit son bibliothécaire, et on lui confia aussi la bibliothèque du sénat. C'est alors qu'il fut chargé de la chaire de littérature française à l'école Polytechnique, emploi qu'il a conservé jusqu'en 1816.

En 1814, il avait obtenu la même chaire au collége de France; c'est ce cours qui, pendant dix-neuf ans, a été sa plus chère occupation: il s'attacha aux nombreux auditeurs qui se pressaient à ses leçons, et leur voua toutes ses veilles jusqu'à la dernière. A sa mort, le 9 mai 1833, il remplissait les fonctions de secrétaire perpétuel de l'Académie française.

LE MEUNIER DE SANS-SOUCI ET FRÉDÉRIC-LE-GRAND.
Sur le riant coteau par le prince choisi,
S'élevait le moulin du meunier Sans-Souci.
Le vendeur de farine avait pour habitude
D'y vivre au jour le jour exempt d'inquiétude;
Et, de quelque côté que vînt tourner le vent,
tournait son aile1 et s'endormait content.

Il

y

Fort bien achalandé, grâce à son caractère,
Le moulin prit le nom de son propriétaire;

Et des hameaux voisins, les filles, les garçons
Allaient à Sans-Souci pour danser aux chansons.
Sans-Souci!... Ce doux nom d'un favorable augure
Devait plaire aux amis des dogmes d'Epicure.
Frédéric le trouva conforme à ses projets,
Et du nom d'un moulin honora son palais.

Hélas! est-ce une loi sur notre pauvre terre
Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre,
Que la soif d'envahir et d'étendre ses droits
Tourmentera toujours les meuniers et les rois?
En cette occasion le roi fut le moins sage;
Il lorgna du voisin le modeste héritage.

On avait fait des plans fort beaux sur le papier,
Où le chétif enclos se perdait tout entier.
Il fallait sans cela renoncer à la vue,
Rétrécir les jardins et masquer l'avenue.

Des bâtiments royaux l'ordinaire intendant
Fit venir le meunier, et d'un ton important:
"Il nous faut ton moulin; que veux-tu qu'on t'en donne?
Rien du tout, car j'entends ne le vendre à personne.
Il nous faut est fort bon ... mon moulin est à moi ...,
Tout aussi bien au moins que la Prusse est au roi.
Allons, ton dernier mot, bonhomme, et prends-y garde.
-Faut-il vous parler clair? — Oui.
· Oui. — C'est que je le garde :
Voilà mon dernier mot." Ce refus effronté
Avec un grand scandale au prince est raconté.
Il mande auprès de lui le meunier indocile;
Presse, flatte, promet; ce fut peine inutile,
Sans-Souci s'obstinait. “Entendez la raison,
Sire, je ne peux pas vous vendre ma maison:
Mon vieux père y mourut, mon fils y vient de naître;
C'est mon Potsdam à moi. Je suis tranchant peut-être :

Ne l'êtes-vous jamais? Tenez, mille ducats

Au bout de vos discours ne me tenteraient pas.
Il faut vous en passer, je l'ai dit, j'y persiste."

Les rois malaisément souffrent qu'on leur résiste.
Frédéric, un moment par l'humeur emporté :
“Parbleu! de ton moulin c'est bien être entêté;
Je suis bon de vouloir t'engager à le vendre :
Sais-tu que sans payer je pourrais bien le prendre?
Je suis le maître. Vous!... de prendre mon moulin ?
Oui, si nous n'avions pas des juges à Berlin."

Le monarque, à ce mot, revient de son caprice.
Charmé que sous son règne on crût à la justice,
Il rit, et se tournant vers quelques courtisans:
"Ma foi, messieurs, je crois qu'il faut changer nos plans.
Voisin, garde ton bien; j'aime fort ta réplique."

Qu'aurait-on fait de mieux dans une république ?
Le plus sûr est pourtant de ne pas s'y fier:
Ce même Frédéric, juste envers un meunier,
Se permit maintes fois telle autre fantaisie :
Témoin ce certain jour qu'il prit la Silésie;
Qu'à peine sur le trône, avide de lauriers,
Épris du vain renom qui séduit les guerriers,
Il mit l'Europe en feu. Ce sont là jeux de prince:
On respecte un moulin, on vole une province.

PROCÈS DU SÉNAT DE CAPOUE.

Dans Capoue autrefois, chez ce peuple si doux,
S'élevaient des partis, l'un de l'autre jaloux:
L'Ambition, l'Orgueil, l'Envie à l'œil oblique,
Tourmentaient, déchiraient, perdaient la république.
D'impertinents bavards, soi-disant orateurs,
Des meilleurs citoyens ardents persécuteurs,
Excitent à dessein les haines les plus fortes;
Et, pour comble de maux, Annibal est aux portes.
Que faire et que résoudre en ce pressant danger?
Tu vas tomber, Capoue, aux mains de l'étranger!

« PreviousContinue »