Page images
PDF
EPUB

Conquête digne d'elle et digne de son fils! 5
Médicis la reçut avec indifférence,

Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance,
Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens,
Et comme accoutumée à de pareils présents.

COMBAT DE TURENNE ET D'AUMALE.

Paris, le roi, l'armée, et l'enfer et les cieux,2
Sur ce combat illustre avaient fixé les yeux.
Bientôt les deux guerriers entrent dans la carrière.
Henri, du champ d'honneur leur ouvre la barrière.
Leur bras n'est point chargé du poids d'un bouclier;
Ils ne se cachent point sous ces bustes d'acier,
Des anciens chevaliers ornement honorable,
Eclatant à la vue, aux coups impénétrable;
Ils négligent tous deux cet appareil qui rend
Et le combat plus long et le danger moins grand.
Leur arme est une épée; et, sans autre défense,
Exposé tout entier, l'un et l'autre s'avance.

"O Dieu! cria Turenne, arbitre de mon roi,
Descends, juge sa cause, et combats avec moi:
Le courage n'est rien sans ta main protectrice;
J'attends peu de moi-même, et tout de ta justice."
D'Aumale répondit: "J'attends tout de mon bras;
C'est de nous que dépend le destin des combats; 8
En vain l'homme timide implore un Dieu suprême;
Tranquille au haut du ciel, il nous laisse à nous-même:
Le parti le plus juste est celui du vainqueur,
Et le Dieu de la guerre est la seule valeur."
Il dit, et, d'un regard enflammé d'arrogance,
Il voit de son rival la modeste assurance.

Mais la trompette sonne. Ils s'élancent tous deux; Ils commencent enfin ce combat dangereux.

Tout ce qu'ont pu jamais la valeur et l'adresse,
L'ardeur, la fermeté, la force, la souplesse,
Parut des deux côtés en ce choc éclatant.
Cent coups étaient portés et parés à l'instant.
Tantôt avec fureur l'un d'eux se précipite;
L'autre, d'un pas léger, se détourne et l'évite:
Tantôt plus rapprochés, ils semblent se saisir;
Leur péril renaissant donne un affreux plaisir;
On se plaît à les voir s'observer et se craindre,
Avancer, s'arrêter, se mesurer, s'atteindre:
Le fer étincelant, avec art détourné,

Par de feints mouvements trompe l'œil étonné.
Telle on voit du soleil la lumière éclatante,
Briser ses traits de feu dans l'onde transparente;
Et, se rompant encor par des chemins divers,
De ce cristal mouvant repasser dans les airs.

9

Le spectateur, surpris, et ne pouvant le croire,
Voyait à tout moment leur chute et leur victoire.
D'Aumale est plus ardent, plus fort, plus furieux;
Turenne est plus adroit, et moins impétueux;
Maître de tous ses sens, animé sans colère,
Il fatigue à loisir son terrible adversaire.
D'Aumale en vains efforts épuise sa vigueur:
Bientôt son bras lassé ne sert plus sa valeur.
Turenne, qui l'observe, aperçoit sa faiblesse ;
Il se ranime alors, il le pousse, il le presse:
Enfin, d'un coup mortel il lui perce le flanc;
D'Aumale est renversé dans les flots de son sang.
Il tombe, et de l'enfer tous les monstres frémirent;
Ces lugubres accents dans les airs s'entendirent:
"De la Ligue à jamais le trône est renversé ;
Tu l'emportes, Bourbon! notre règne est passé."
Tout le peuple y répond par un cri lamentable.
D'Aumale, sans vigueur, étendu sur le sable,
Menace encor Turenne, et le menace en vain ;
Sa redoutable épée échappe de sa main.

10

11

Il veut parler; sa voix expire dans sa bouche: "1
L'horreur d'être vaincu rend son air plus farouche.
Il se lève, il retombe, il ouvre un œil mourant;
Il regarde Paris, et meurt en soupirant.
Tu le vis expirer, infortuné Mayenne! 12
Tu le vis, tu frémis, et ta chute prochaine.
Dans ce moment affreux s'offrit à tes esprits.

L'IMMORTALITÉ DE L'ÂME.

Oui, Platon, tu dis vrai: notre âme est immortelle ;
C'est un Dieu qui lui parle, un Dieu qui vit en elle.
Eh! d'où viendrait sans lui ce grand pressentiment,
Ce dégoût des faux biens, cette horreur du néant?
Vers des siècles sans fin je sens que tu m'entraînes;
Du monde et de mes sens je vais briser les chaînes,
Et m'ouvrir loin du corps, dans la fange arrêté,
Les portes de la vie et de l'éternité.

L'éternité ! quel mot consolant et terrible!

O lumière! ô nuage! ô profondeur horrible!

Que dis-je? où suis-je ? où vais-je ? et d'où suis-je tiré ?
Dans quels climats nouveaux, dans quels monde ignoré
Le moment du trépas va-t-il plonger mon être ?
Où sera cet esprit qui ne peut se connaître?
Que me préparez-vous, abîmes ténébreux?

Allons, s'il est un Dieu, Platon doit être heureux.
Il en est un, sans doute, et je suis son ouvrage ;
Lui-même au cœur du juste il empreint son image.
Il doit venger sa cause, et punir les pervers.
Mais comment? dans quel temps? et dans quel univers?
Ici la vertu pleure, et l'audace l'opprime;

L'innocence à genoux y tend la gorge au crime;

La fortune y domine, et tout y suit son char.
Ce globe infortuné fut formé pour César.
Hâtons-nous de sortir d'une prison funeste.

Je te verrai sans ombre, ô Vérité céleste!

Tu te caches de nous dans nos jours de sommeil;
Cette vie est un songe, et la mort un réveil.

6

[blocks in formation]

Henri dans ce moment voit sur des fleurs de lis
Deux mortels orgueilleux auprès du trône assis;
Ils tiennent sous leurs pieds tout un peuple à la chaîne;
Tous deux sont revêtus de la pourpre romaine ;

Tous deux sont entourés de gardes, de soldats :

Il les prend pour des rois. "Vous ne vous trompez pas; Ils le sont, dit Louis, sans en avoir le titre;

Du Prince et de l'État l'un et l'autre est l'arbitre.

Richelieu, Mazarin, ministres immortels,

Jusqu'au trône élevés de l'ombre des autels,

Enfants de la fortune et de la politique,

Marcheront à grands pas au pouvoir despotique.
Richelieu, grand, sublime, implacable ennemi;
Mazarin, souple, adroit, et dangereux ami:
L'un fuyant avec art, et cédant à l'orage;
L'autre aux flots irrités opposant son courage:
Des Princes de mon sang ennemis déclarés;
Tous deux haïs du peuple, et tous deux admirés;
Enfin, par leurs efforts, ou par leur industrie,
Utiles à leurs rois, cruels à la patrie."

LE SOMMEIL ET L'ESPÉRANCE.

Du Dieu qui nous créa la clémence infinie,
Pour adoucir les maux de cette courte vie,
A placé parmi nous deux êtres bienfaisants,
De la terre à jamais aimables habitants,
Soutiens dans les travaux, trésors dans l'indigence.
L'un est le doux sommeil, et l'autre est l'espérance.

L'un, quand l'homme accablé sent de son faible corps
Les organes vaincus sans force et sans ressorts,
Vient par un calme heureux secourir la nature,
Et lui porter l'oubli des peines qu'elle endure;
L'autre anime nos cœurs, enflamme nos désirs,

Et même en nous trompant donne de vrais plaisirs :
Mais aux mortels chéris à qui le ciel l'envoie,
Elle n'inspire point une infidèle joie,

Elle apporte de Dieu la promesse et l'appui;
Elle est inébranlable et pure comme lui.

§ 58. GRESSET, 1709-1777.

JEAN-BAPTISTE GRESSET est l'un des poètes français les plus gracieux et les plus spirituels.

Son premier essai fut Vert - Vert, chef-d'œuvre de grâce, d'élégant badinage, de poésie facile et de piquante malice. A ce charmant poème, qui établit la réputation de l'auteur, succéda une foule de poésies légères qui attestent sa verve féconde; ce sont: la Chartreuse, le Carême impromptu, le Lutrin vivant, les Ombres, l'Épître d'un Chartreux, l'Épître au père Bugeant, etc., toutes pièces remplies d'originalité, de verve et d'esprit. Il donna aussi au théâtre Édouard III, tragédie, le Méchant, excellente comédie où l'on remarque des observations ingénieuses, un dialogue vif et animé, ainsi que des situations comiques. Parmi ses œuvres posthumes, on distingue le Parrain magnifique, poème fort original, et digne de figurer avec ceux que l'auteur a publiés pendant sa vie.

L'ART DE JOUIR.

En retranchant de notre vie1
Les façons, la cérémonie,
Et tout populaire fardeau,

Loin de l'humaine comédie,

Et comme en un monde nouveau,

« PreviousContinue »