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Quelques cygnes mélodieux;
Mais partout ils ont été rares:
Si les dieux étaient moins avares,
Leurs dons seraient moins précieux.

Amateurs des pointes brillantes,
Des jeux d'esprit et des éclairs,
Toutes ces beautés petillantes
N'immortalisent point nos vers.
Mais une constante harmonie
A la raison toujours unie

De l'oubli nous rendra vainqueurs.
Qu'elle soit l'objet de nos veilles :
C'est l'art d'enchanter les oreilles
Qui fait la conquête des cœurs.

§ 57. VOLTAIRE, 1694-1778.

FRANÇOIS-MARIE-AROUET DE VOLTAIRE, poète épique, dramatique, satirique, historien et philosophe, fut l'un des hommes les plus célèbres du XVIII° siècle. Soupçonné, en 1716, d'être l'auteur d'une satire dirigée contre la mémoire de Louis XIV, il fut enfermé pendant un an à la Bastille, où il ébaucha sa Henriade. En 1718, Voltaire fit jouer Edipe, sa première tragédie, qui eut un immense succès, et se consacrant dès lors exclusivement aux lettres, il publia plusieurs ouvrages qui mirent le sceau à sa réputation. Il a réussi dans presque tous les genres; sa Henriade est le seul poème épique que la France possède. Quelques-unes de ses tragédies, telles que Zaïre, Mérope, Oreste, Mahomet, approchent pour la perfection de celles de Racine; ses poésies légères, badines, satiriques, sont demeurées sans égales, et ses histoires notamment le mettent au rang des prosateurs les plus corrects, et les plus élégants.

MORT DE COLIGNY.1

Cependant tout s'apprête, et l'heure est arrivée 2
Qu'au fatal dénoûment la Reine à réservée.
Le signal est donné sans tumulte et sans bruit :
C'était à la faveur des ombres de la nuit.
De ce mois malheureux l'inégale courrière
emblait cacher d'effroi sa tremblante lumière ;
Coligny languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots.

Soudain de mille cris le bruit épouvantable
Vient arracher ses sens à ce calme agréable.
Il se lève, il regarde; il voit de tous côtés
Courir des assassins à pas précipités;
Il voit briller partout les flambeaux et les armes;
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes ;
Ses serviteurs sanglants, dans la flamme étouffés;
Les meurtriers en foule au carnage échauffés,
Criant à haute voix: "Qu'on n'épargne personne ;
C'est Dieu, c'est Médicis, c'est le Roi qui l'ordonne!"

3

Il entend retentir le nom de Coligny:
Il aperçoit de loin le jeune Téligny,
Téligny dont l'amour a mérité sa fille,
L'espoir de son parti, l'honneur de sa famille,
Qui, sanglant, déchiré, traîné par des soldats,
Lui demandait vengeance, et lui tendait les bras.
Le héros malheureux, sans armes, sans défense,
Voyant qu'il faut périr, et périr sans vengeance,
Voulut mourir du moins comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.
Déjà des assassins la nombreuse cohorte,
Du salon qui l'enferme allait briser la porte;
Il leur ouvre lui-même, et se montre à leurs yeux,
Avec cet œil serein, ce front majestueux,

Tel que, dans les combats, maître de son courage,
Tranquille, il arrêtait ou pressait le carnage.

A cet air vénérable, à cet auguste aspect,
Les meurtriers surpris sont saisis de respect;
Une force inconnue a suspendu leur rage.
"Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage,
Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs,
Que le sort des combats respecta quarante ans.
Frappez, ne craignez rien: Coligny vous pardonne;
Ma vie est peu de chose, et je vous l'abandonne ;
J'eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous."
Ces tigres, à ces mots, tombent à ses genoux :
L'un, saisi d'épouvante, abandonne ses armes;
L'autre embrasse ses pieds qu'il trempe de ses larmes;
Et de ses assassins ce grand homme entouré,
Semblait un roi puissant par son peuple adoré.
Besme, qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime;
Des assassins trop lents il veut hâter les coups:
Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous.*
A cet objet touchant lui seul est inflexible;
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible,
Aurait cru faire un crime, et trahir Médicis,
Si du moindre remords il se sentait surpris.
A travers les soldats, il court d'un pas rapide:
Coligny l'attendait d'un visage intrépide:
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux
Lui plonge son épée en détournant les yeux,
De peur que d'un coup d'œil cet auguste visage
Ne fît trembler son bras, et glaçât son courage.

Du plus grand des Français tel fut le triste sort:
On l'insulte, on l'outrage encore après sa mort.
Son corps percé de coups, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorants fut l'indigne pâture;
Et l'on porta sa tête aux pieds de Médicis:

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