TRISSOTIN (à Vadius). Avez-vous vu certain petit sonnet Sur la fièvre qui tient la princesse Uranie? VADIUS. Oui. Hier il me fut lu dans une compagnie. TRISSOTIN. Vous en savez l'auteur? VADIUS. Non; mais je sais fort bien Qu'à ne le point flatter, son sonnet ne vaut rien. TRISSOTIN. Beaucoup de gens pourtant le trouvent admirable. VADIUS. Cela n'empêche pas qu'il ne soit misérable; Et, si vous l'avez vu, vous serez de mon goût. TRISSOTIN. Je sais que là-dessus je n'en suis point du tout, Et que d'un tel sonnet peu de gens sont capables. VADIUS. Me préserve le Ciel d'en faire de semblables! TRISSOTIN. Je soutiens qu'on ne peut en faire de meilleur; Et ma grande raison, c'est que j'en suis l'auteur. VADIUS. Vous? TRISSOTIN. VADIUS. TRISSOTIN. plaire. Moi. Je ne sais donc comment se fit l'affaire. C'est qu'on fut malheureux de ne pouvoir vous VADIUS. Il faut qu'en écoutant j'ai eu l'esprit distrait, Ou bien que le lecteur m'ait gâté le sonnet. Mais laissons ce discours, et voyons ma ballade. TRISSOTIN. La ballade, à mon goût, est une chose fade: Ce n'en est plus la mode; elle sent son vieux temps. VADIUS. La ballade pourtant charme beaucoup de gens. TRISSOTIN. Cela n'empêche pas qu'elle ne me déplaise. VADIUS. Elle n'en reste pas pour cela plus mauvaise. TRISSOTIN. Elle a pour les pédants de merveilleux appas. VADIUS. Cependant nous voyons qu'elle ne vous plaît pas. TRISSOTIN. Vous donnez sottement vos qualités aux autres. (Ils se lèvent.) 22 VADIUS. Fort impertinemment vous me jetez les vôtres. TRISSOTIN. Allez, petit grimaud, barbouilleur de papier. VADIUS. Allez, rimeur de balle, opprobre du métier. TRISSOTIN. Allez, fripier d'écrits, impudent plagiaire. VADIUS. Allez, cuistre PHILAMINTE. Hé! messieurs, que prétendez-vous faire? TRISSOTIN (à Vadius). Va, va restituer tous les honteux larcins Que réclament sur toi les Grecs et les Latins. VADIUS. Va, va-t'en faire amende honorable au Parnasse D'avoir fait à tes vers estropier Horace. 23 TRISSOTIN. Souviens-toi de ton livre et de son peu de bruit. TRISSOTIN. Ma gloire est établie, en vain tu la déchires. VADIUS. J'ai le contentement TRISSOTIN. C'est par là que j'y tiens un rang plus honorable: Il te met dans la foule, ainsi qu'un misérable; Il croit que c'est assez d'un coup pour t'accabler, VADIUS. Ma plume t'apprendra quel homme je puis être. VADIUS. Je te défie en vers, prose, grec et latin. TRISSOTIN. Hé bien! nous nous verrons seul à seul chez Barbin.25 24 § 53. BOILEAU, 1636–1711. BOILEAU, par le plus rare jugement et la plus exquise culture d'esprit, s'éleva au rang des écrivains de génie. Né en 1636, dans une famille de judicature où les plus fortes études classiques étaient en honneur, il y puisa ce goût solide et sévère qui fit de lui le législateur littéraire de son époque. Avec un caractère plein de droiture et de hardiesse, qui secondait la vigueur de ses talents, il prit possession de ce rôle en 1660 par la publication de ses premières Satires, dont les années suivantes augmentèrent le nombre. Il accrut plus tard sa réputation en composant ses Épîtres; il y mit le comble par son Art poétique et par son Lutrin, le modèle des épopées plaisantes. Peu d'hommes, en donnant aux auteurs de meilleurs conseils, ont exercé sur la raison publique une influence plus souveraine et plus salutaire que Boileau; là est sa principale gloire: il a été, en joignant l'exemple au précepte, levéritable chef de cette école poétique qui a réalisé de la manière la plus heureuse l'accord de l'imagination et du bon sens. Dans sa vieillesse il s'éloigna de la cour, où il avait partagé avec Molière et Racine la faveur du prince, et se retira à sa campagne d'Auteuil, où il mourut en 1711, après avoir survécu à presque toutes les illustrations du règne de Louis XIV. Il n'avait pas su bien écrire seulement; mais, ce qui vaut beaucoup mieux, il avait su bien vivre. Depuis 1684 il appartenait à l'Académie française, qui l'avait admis dans son sein un peu après La Fontaine. Boileau fut aussi l'un des premiers membres de l'Académie des Inscriptions, fondée dans son temps; et, comme tel, il a travaillé au fameux livre des Médailles sur les principaux événements du règne de Louis XIV. Parmi ses ouvrages en prose, il faut signaler surtout sa traduction du Traité du Sublime, attribué à Longin. A QUOI DOIVENT TENDRE LES EFFORTS DU SAGE. C'est l'erreur que je fuis: c'est la vertu que j'aime. Je songe à me pourvoir d'esquif et d'avirons, C'est au repos d'esprit que nous aspirons tous ; Est malade à la ville ainsi qu'à la campagne. De nos propres malheurs auteurs infortunés, Nous sommes loin de nous à toute heure entraînés. CONSEILS AUX POÈTES.3 Craignez-vous pour vos vers la censure publique, Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue. Chaque vers qu'il entend le fait extasier. Tout est charmant, divin; aucun mot ne le blesse Il trépigne de joie, il pleure de tendresse ; Votre construction semble un peu s'obscurcir: Et d'abord prend en main le droit de l'offensé. Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser, ÉLOGE DU VRAI. Rien n'est beau que le vrai : le vrai seul est aimable; Ne tend qu'à faire aux yeux briller la vérité. Sais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces, |