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S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,

Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire,

Va, vient, fait l'empressée : il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

La Mouche, en ce commun besoin,

Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disait son bréviaire :

Il prenait bien son temps! Une femme chantait:
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait !
Dame Mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le Coche arrive au haut.
"Respirons maintenant, dit la Mouche aussitôt;
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Çà, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine.”
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :

Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.

LE CHÊNE ET LE ROSEAU."

Le Chêne un jour dit au Roseau 1:
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête;

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Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,

Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.

Encor9 si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
-Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci;

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables:
Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots, Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le Roseau plie,

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.10

LE CHAT ET LE VIEUX RAT.

J'ai lu, chez un conteur de fables,1

Qu'un second Rodillard," l'Alexandre des chats,
L'Attila,12 le fléau des rats,

Rendait ces derniers misérables;
J'ai lu, dis-je, en certain auteur,
Que ce chat exterminateur,

Vrai Cerbère, était craint une lieue à la ronde;
Il voulait de souris dépeupler tout le monde.
Les planches qu'on suspend sur un léger appui,
La mort-aux-rats, les souricières
N'étaient que jeux au prix de lui.13

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Comme il voit que dans leur tanières

Les souris étaient prisonnières,

Qu'elles n'osaient sortir, qu'il avait beau chercher,
Le galant fait le mort, et du haut d'un plancher
Se pend la tête en bas: la bête scélérate

A de certains cordons se tenait par la patte.
Le peuple des souris croit que c'est châtiment,
Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage,
Égratigné quelqu'un, causé quelque dommage;
Enfin qu'on a pendu le mauvais garnement:
Toutes, dis-je, unanimement,

Se promettent de rire à son enterrement,
Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête,
Puis rentrent dans leurs nids à rats,
Puis, ressortant, font quatre pas,
Puis enfin se mettent en quête.

Mais voici bien une autre fête.

Le pendu ressuscite, et, sur ses pieds tombant,
Attrape les plus paresseuses.

"Nous en savons plus d'un, dit-il en les gobant:
C'est tour de vieille guerre : et vos cavernes creuses
Ne vous sauveront pas, je vous en avertis :
Vous viendrez toutes au logis."

Il prophétisait vrai: notre maître Mitis,14
Pour la seconde fois, les trompe et les affine,15
Blanchit sa robe et s'enfarine;

Et, de la sorte déguisé,

Se niche et se blottit dans une huche ouverte.

Ce fut à lui bien avisé :

La gent trotte-menu 16 s'en vient chercher sa perte.
Un rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour :
C'était un vieux routier, il savait plus d'un tour,
Même il avait perdu sa queue à la bataille.
"Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S'écria-t-il de loin au général des chats:
Je soupçonne dessous encor quelque machine.
Rien ne te sert d'être farine;

Car, quand tu serais sac, je n'approcherais pas."
C'était bien dit à lui; j'approuve sa prudence:
Il était expérimenté,

Et savait que la méfiance

Est mère de la sûreté.

§ 52. MOLIÈRE, 1622–1673.

Enfant de Paris, où il était né en 1622, MOLIÈRE y avait reçu une excellente éducation; mais, au sortir du collége, entraîné par un goût impérieux dans la vie périlleuse du théâtre, il se fit acteur, et parcourut longtemps les provinces à la tête d'une troupe de comédiens, représentant avec eux les pièces qu'il composait: cependant la force de son génie résista à cette existence précaire et aventureuse. Rendu, vers sa quarantième année, au séjour de la capitale, il y trouva, avec des spectateurs dignes de lui, de sages conseils qui ne contribuèrent pas peu à développer ses grands talents. La faveur de Louis XIV, qui sut les apprécier à leur valeur, en assurant à Molière des encouragements et un appui qui ne se démentirent jamais, lui permit enfin de les déployer dans tout leur éclat. Depuis lors jusqu'à la fin de sa carrière, qui fut abrégée par les fatigues de sa profession (il mourut après une représentation du Malade imaginaire en février 1673), on vit se succéder presque sans interruption ces chefs-d'œuvre dont se glorifie la scène comique française, et qui la rendent, d'un avis unanime, supérieure à celle de toutes les autres nations. On doit ajouter, pour réfuter d'injustes attaques dirigées contre la mémoire de Molière, que, du moins, dans la position difficile où il se trouvait, il demeura toujours homme de probité, et qu'il montra dans plus d'une circonstance, avec un caractère loyal, une âme élevée, un cœur charitable et généreux.

LE FAUX SAVANT QUI SOLLICITE,'

ÉRASTE, CARITIDÈS.

CARITIDÈS. C'est un rare bonheur dont le destin m'honore; Car, deux moments plus tard, je vous manquais encore.

ÉRASTE. Monsieur, souhaitez-vous quelque chose de moi? CARITIDÈS. Je m'acquitte, monsieur, de ce que je vous doi,2

Et vous viens ... Excusez l'audace qui m'inspire.
Si..

ÉRASTE. Sans tant de façons, qu'avez-vous à me dire?
CARITIDÈS. Comme le rang, l'esprit, la générosité,

Que chacun vante en vous

ÉRASTE.

Passons, monsieur.

CARITIDÈS.

Oui, je suis fort vanté.

Monsieur, c'est une peine extrême
Lorsqu'il faut à quelqu'un se produire soi-même;
Et toujours près des grands on doit être introduit
Par des gens qui de nous fassent un peu de bruit,
Dont la bouche écoutée avecque poids débite

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Ce qui peut faire voir notre petit mérite.

Pour moi, j'aurais voulu que des gens bien instruits
Vous eussent pu, monsieur, dire ce que je suis.

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ÉRASTE. Je vois assez, monsieur, ce que vous pouvez être, Et votre seul abord le peut faire connaître.

CARITIDÈS. Oui, je suis un savant charmé de vos vertus: Non pas de ces savants dont le nom n'est qu'en us”;

Il n'est rien si commun qu'un nom à la latine:

Ceux qu'on habille en grec ont bien meilleure mine;
Et pour en avoir un qui se termine en ès,o

Je me fais appeler monsieur Caritidès.

ÉRASTE. Monsieur Caritidès, soit. Qu'avez-vous à dire? CARITIDÈS. C'est un placet, monsieur, que je voudrais vous lire,

Et que, dans la posture' où vous met votre emploi,

J'ose vous conjurer de présenter au roi.

ÉRASTE. Hé! monsieur, vous pouvez le présenter vousmême.

CARITIDÈS. Il est vrai que le roi fait cette grâce extrême: Mais, par ce même excès de ses rares bontés,

Tant de méchants placets, monsieur, sont présentés,
Qu'ils étouffent les bons; et l'espoir où je fonde

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Est qu'on donne le mien quand le prince est sans monde. ÉRASTE. Hé bien! vous le pouvez, et prendre votre temps. CARITIDÈS. Ah! monsieur, les huissiers sont de terribles gens!

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