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PENSÉES.3

DIEU. Il n'y a pas d'athéisme. Dieu, pour quelques esprits, se cache modestement sous les lois qu'il a créées.

LOI DE CONTINUITÉ. Un homme est toujours le même; et il change incessamment.

RÉVOLUTIONS.

Nous perdons toujours à nos révolutions,

tandis que l'Angleterre gagne aux siennes

POLITIQUE. Ceux qui ont tué Jésus et Socrate se croyaient hommes d'ordre.

GUERRE. Chez les races inférieures, quiconque n'appartient à personne sera mangé.

LANGUES-STYLE. L'Allemand doit clarifier son style, le Français le solidifier, l'Anglais le coordonner, et l'Espagnol l'apaiser.

LE VERBE. Le verbe illumine toute la phrase qui est la parole, et la parole, écrite ou imprimée, illumine le monde. SUCCÈS. La grande auréole ne rayonne que sur le front des morts. Le peuple qui préférait constamment le juste au succès présent, serait, dans l'avenir, le plus fort de tous les peuples; il usurperait tous les succès de l'avenir.

§ 42. GIRARDIN, NÉ EN 1801.

SAINT-MARC GIRARDIN, professeur et écrivain français, membre de l'Académie française, est né à Paris en 1801. Il est un des hommes qui ont porté dans l'Université le progrès ou le mouvement de la vie contemporaine. Il ne craint pas de toucher, dans son cours comme dans ses livres, aux questions littéraires, morales, ou même politiques, qui ont le plus vif intérêt d'actualité. Il éclaire volontiers le passé, par des rapprochements ou des contrastes, avec le présent. Libéral modéré, en littérature, comme en politique, il admire Bossuet, goûte Voltaire et comprend Victor Hugo. La perte de son gendre en 1863 le décida à s'éloigner de sa chaire de la Sorbonne qu'il avait occupée avec le même éclat pendant trente années.

On lui doit: 1o un tableau de l'Histoire de la littérature française au XVIe siècle, jusqu'à 1610, qui, en 1829, a partagé avec M. Chasles le prix d'éloquence proposé par l'Académie française; 2° De l'état politique de l'Allemagne actuelle; 3° Allemagne, notices politiques et littéraires; 4° De l'instruction intermédiaire et de son état dans le midi de l'Allemagne, ouvrage qu'il a publié à la suite d'une mission dont l'avait chargé M. Guizot, ministre de l'instruction publique.

Depuis 1828, M. Saint-Marc Girardin concourt à la rédaction du Journal des Débats.

LA DANSE DES MORTS.

Le célèbre peintre Holbein1 a représenté sur les murs d'une église de Bâle, avec une vérité effrayante, cette Danse des Morts, naguère objet de curiosité et d'admiration pour tous les étrangers. Il est incroyable avec quel art Holbein donne l'expression de la vie et du sentiment à ces squelettes hideux, à ces figures décharnées. Toutes ses morts vivent, pensent, respirent; toutes ont le geste, la physionomie, j'allais presque dire les regards et les couleurs de la vie.

Je connais deux Danses des Morts: l'une à Dresde, dans le cimetière au delà d'Elbe; l'autre en Auvergne, dans l'admirable église de la Chaise-Dieu. Cette dernière est une fresque que l'humidité ronge chaque jour. Dans ces deux Danses des Morts, la Mort est en tête d'un chœur d'hommes d'âges et d'états divers. Il y a le roi et le mendiant, le vieillard et le jeune homme, et la Mort les entraîne tous après elle, Ces deux Danses

des Morts expriment l'idée populaire de la manière la plus simple. Le génie d'Holbein a fécondé cette idée dans sa fameuse Danse des Morts du cloître des Dominicains. A Bâle, c'était une fresque, et elle a péri comme périssent peu à peu les fresques. Il en reste au Musée de Bâle quelques débris et des miniatures coloriées. La Danse d'Holbein n'est pas, comme celles de Dresde et de la Chaise-Dieu, une chaîne continue de danseurs menés par la Mort: chaque danseur a sa mort costumée d'une façon différente, selon l'état du mourant; de cette manière, la Danse d'Holbein est une suite d'épisodes réunis dans un même cadre; il y a quarante et une scènes dans le drame d’Holbein; et, dans ces quarante et une scènes, une variété infinie. Dans aucun de ces tableaux vous ne trouverez la même pose, la même attitude, la même expression. Holbein a compris que les hommes ne se ressemblent pas plus dans leur mort que dans leur vie, et que, comme nous vivons tous à notre manière, nous avons tous aussi notre manière de mourir.

L'idée de cette danse est juste et vraie: ce monde-ci est un grand bal où la mort donne le branle. On danse plus ou moins de contredanses, avec plus ou moins de joie; mais cette danse enfin, c'est toujours la mort qui la mène, et ces danseurs de tous rangs et de tous états, que sont-ils? des mourants à plus ou moins long terme.

Voici un enfant qui vient au monde, bien attendu, bien désiré, bien chéri; vous appelez cela naître, mot charmant aux oreilles maternelles, en dépit des douleurs de l'enfantement. Si vous comprenez la poésie de la Danse des Morts, il ne naît pas; il entre dans cette longue chaîne de danse qui traverse le monde d'un abîme à l'autre, de l'abîme qui précède la vie à l'abîme qui la suit, chœur immense qui s'agite, qui tourbillonne, qui se replie sur lui-même sans pouvoir échapper, quels que soient ses replis, à l'élan terrible et inexorable que son conducteur lui imprime. Dansez donc, qui que vous soyez, rois, capitaines, savants! “Mais ma couronne qui va tomber! Mais mon épée qu'il va falloir quitter! Mais mes livres que je ne pourrai plus lire!" Pauvres rois, comme si leurs couronnes n'étaient pas faites pour tomber; pauvres capitaines, comme si leurs épées devaient toujours rester attachées à leurs

flanes pour qu'ils se croient invincibles et immortels; pauvres savants, comme si savoir l'ordre et le train de ce monde pouvait l'arrêter! Telle est la poésie de la Danse des Morts, poésie sublime et grotesque, qui respire une si profonde douleur sous une forme si gaie et si ironique.2

$ 43. HUGO, NÉ EN 1802.

VICTOR HUGO, né le 26 février 1802, à Besançon, suivit très jeune en Italie et en Espagne son père, qui occupait un grade élevé dans l'armée française, et puisa dans ces deux poétiques contrées ses premières inspirations de poète. Revenu en France, élevé avec ses deux frères, sous les yeux de sa mère, femme remarquable par la force de son caractère, il développa par de solides études l'énergie de son esprit et son goût par la poésie. Il était à peine âgé de quinze ans, quand il envoya au concours de l'Académie française une pièce de vers sur les Avantages de l'étude; cette pièce n'obtint pas le prix. Deux odes, l'une sur la statue de Henri IV et l'autre sur les vierges de Verdun, furent couronnées à l'Académie des jeux floraux. Une troisième, intitulée Moïse sur le Nil, lui valut le grade de maître de ces jeux: il avait à peine dix-huit ans. "C'est un enfant sublime," dit alors M. de Chateaubriand. Dès ce moment, V. Hugo sentit sa vocation et prépara, dans le calme de la solitude, quoique souvent aux prises avec le besoin, la révolution qu'il devait opérer en littérature, et qui allait faire de lui le chef d'une nouvelle école. Dès lors, il se forma à ces graves et sévères pensées d'avenir, à ce style si éclatant, si magnifique, qui exprime l'enthousiasme du poète, et à ce style si simple, si naturel, qui contraste si pittoresquement avec le premier; alliance inconnue jusqu'alors, et qui caractérise le romantisme proprement dit; style où le naturel succède au sublime, la vulgarité de l'expression à la noblesse des pensées.

En littérature, il est, pour la France et pour l'étranger, le chef incontesté de l'école romantique. Il a exhumé et mis à la mode le moyen âge, qui est passé, depuis, de la poésie dans les arts, dans les idées et les habitudes de la vie. A des traditions littéraires qui ne conservaient des modèles classiques que des formes, il a substitué la vie et le mouvement. Sa révolte contre les règles et les conventions a eu des excès inévitables, surtout chez les disciples. Ce style romantique, maladroitement imité par de jeunes poètes sans talent, se fait surtout remarquer dans les productions dramatiques de Victor Hugo.

L'ÉVEIL DES CLOCHES DU VIEUX PARIS (1470).

Si vous voulez recevoir de la vieille ville une impression que la moderne ne saurait plus vous donner, montez un matin de grande fête, au soleil levant de Pâques ou de la Pentecôte, montez sur quelque point élevé d'où vous dominiez la capitale entière, et assistez à l'éveil des carillons. Voyez, à un signal parti du ciel, car c'est le soleil qui le donne, ces mille églises tressaillir à la fois. Ce sont d'abord des tintements épars, allant d'une église à l'autre, comme lorsque des musiciens s'avertissent qu'on va commencer. Puis, tout à coup, voyez, car il semble qu'en certains instants l'oreille aussi a sa vue,1 voyez s'élever, au même moment, de chaque clocher, comme une colonne de bruit, comme une fumée d'harmonie. D'abord la vibration de chaque cloche monte droite, pure, et pour ainsi dire isolée des autres, dans le ciel splendide du matin, puis, peu à peu, en grossissant, elles se fendent, elles se mêlent, elles s'effacent l'une dans l'autre, elles s'amalgament dans un magnifique concert. Ce n'est plus qu'une masse de vibrations sonores qui se dégage sans cesse des innombrables clochers, qui flotte, ondule, bondit, tourbillonne sur la ville, et prolonge bien au delà de l'horizon le cercle assourdissant de ses oscillations. Cependant cette mer d'harmonie n'est point un chaos; si grosse et si profonde qu'elle soit, elle n'a point perdu sa transparence: vous y voyez serpenter à part chaque groupe de notes, qui s'échappe des sonneries; vous y pouvez suivre le dialogue, tour à tour grave et criard, de la crécelle 2 et du bourdon3; vous y voyez sauteler les octaves d'un clocher à l'autre, vous les regardez s'élancer ailées, légères et sifflantes, de la cloche d'argent, tomber cassées et boiteuses de la cloche de bois; vous admirez au milieu d'elles la riche gamme qui descend et remonte sans cesse les sept cloches de SaintEustache; vous voyez courir tout au travers des notes claires et rapides qui font trois ou quatre zigzags lumineux, et s'évanouissent comme des éclairs. Là-bas, c'est l'abbaye SaintMartin, chanteuse aigre et fêlée; ici, la voix sinistre et bourrue de la Bastille; à l'autre bout, la grosse tour du

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