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$ 31. MICHAUD, 1768-1840.

Parmi les productions littéraires qu'on doit à MICHAUD on remarque · l'Histoire des progrès et de la chute de l'Empire de Mysore, où le caractère extraordinaire, les succès et les malheurs du sultan Tippou-Saeb sont parfaitement décrits; le Printemps d'un Proscrit, poème descriptif rempli d'intérêt, de charmants tableaux et de beaux vers; l'Enlèvement de Proserpine, poème que plusieurs préfèrent même au précédent. L'Histoire des Croisades (six volumes in-8°), le plus important des travaux de M. Michaud, est celui qui a fondé sa réputation; la grandeur du sujet, l'impartialité des jugements, l'étendue des recherches, la simplicité et la noblesse du style, font de cet ouvrage un des plus beaux monuments historiques que possède la France.

L'auteur a visité ensuite l'Orient avec M. Poujoulat. Leur Correspondance, qui est la relation de ce voyage, nous a fait connaître et apprécier le talent littéraire de ce dernier. Dans les lettres qui appartiennent à M. Michaud, la fraîcheur du style semblerait trahir un jeune écrivain, si la maturité des jugements, la profondeur des pensées et un rare talent d'observation n'attestaient qu'elles sont le fruit d'une expérience et d'un savoir consommés.

D'autres productions moins importantes, mais toutes remarquables par l'élégance, la justesse et la grâce du style, sont sorties de la plume de M. Michaud, à qui l'on doit aussi d'excellents articles dans la Biographie Universelle, et la régénération du journal la Quotidienne, dont il était longtemps le plus utile collaborateur.

LE NIL.

Le Nil offre aux voyageurs un merveilleux spectacle, soit qu'on ne considère que le volume de ses eaux, soit qu'on exJ'ai vu amine les phénomènes qui accompagnent son cours. naguère les sources du Scamandre, les rives du Simoïs, l'embouchure du Granique, et le lit poudreux de l'Ilissus et du Céphise; tous ces fleuves si renommés n'auraient pas assez d'eau, surtout dans les chaleurs de l'été, pour remplir un des canaux du Delta; le Nil ne cesse jamais de couler, et c'est dans la saison où la plupart des sources tarissent, lorsque la terre est desséchée par des torrents de feu, que le fleuve d'Égypte enfle ses eaux et sort de son lit; le Nil, selon l'ex

pression d'un ancien, surpasse le ciel lui-même dans la distribution de ses bienfaits, car il arrose la terre sans le secours des orages et des pluies; le débordement des fleuves est presque toujours un signal de calamités, et répand ordinairement la terreur; l'inondation du fleuve d'Égypte est, au contraire, la source de tous les biens, et, lorsqu'il déborde, des bénédictions se font entendre sur ses rives; ses eaux bienfaisantes, sans recevoir aucun tribut du pays qu'il parcourt, suffisent à tous les besoins des campagnes et des cités, abreuvent tous les animaux, toutes les plantes, remplissent un grand nombre de canaux dont plusieurs ressemblent à des rivières, et se partagent en deux branches principales, qui vont se jeter à la mer. Non-seulement les eaux du fleuve répandent la fécondité, mais le sol même qu'elles fertilisent est leur ouvrage. Vous connaissez la vénération des anciens Égyptiens pour le Nil, qu'ils regardaient comme une émanation divine de Knouphis à la tunique bleue et à la tête de bélier; ils avaient dans leur croyance religieuse un Nil terrestre et un Nil céleste, comme nous autres chrétiens nous avons une Jérusalem de la terre et une Jérusalem du ciel; le culte du fleuve divin n'existe plus, mais ses bienfaits nous restent ; et les peuples reconnaissants l'appellent encore le bon Nil, nom qu'on a toujours donné à la Providence.

Quelle est l'origine de ce fleuve miraculeux? C'est une question qu'on fait en vain depuis trois ou quatre mille ans. Cette ignorance des sources du Nil a donné lieu à beaucoup de fables pleines de poésie; car tel est l'esprit de l'homme, qu'il veut toujours tout savoir, et que, pour lui, il n'y a rien de plus poétique que ce qu'il ne sait pas. De toutes les espérances qu'on avait données au monde savant, de toutes les convictions qui s'étaient formées, il ne reste aujourd'hui qu'une opinion vague et confuse qui place les sources du Nil dans le Gébel el Kamar, ou les montagnes de la Lune, à plus de huit cents lieues des embouchures du fleuve.

Cependant les recherches n'ont point été abandonnées; on s'occupe maintenant de nouvelles tentatives; je dois vous dire que, pour mon compte, j'attends fort paisiblement les résultats

de ces grandes entreprises: si les nouveaux efforts des voyageurs sont couronnés d'un plein succès, je jouirai de la découverte, et j'applaudirai de tout mon cœur à ceux qui l'auront faite. Si on ne découvre rien de ce qu'on a vainement cherché jusqu'à présent, l'ignorance où nous resterons aura aussi ses charmes; car le Nil, avec ses sources toujours mystérieuses, ressemblera encore pour nous à la Divinité, qui ne se manifeste que par ses bienfaits, et ne cessera point de nous rappeler le temps où il était dieu.1

LA SICILE ET LA CALABRE,

A peine avions-nous dépassé l'archipel de Lipari, que nous avons vu paraître les côtes de la Sicile et de la Calabre.

Cette première vue de la Sicile, avec ses frais bosquets et ses sites riants, nous rappelait les gracieuses peintures de Théocrite: on y reconnaît d'abord les coteaux que fréquentait Daphnis, où paissaient les troupeaux de Ménalque, où les bergers se disputaient le prix du chant. La Calabre présente une physionomie plus sévère, et répond très bien à ce que nous dit Horace de la rudesse de ses habitants. Nous avions à notre gauche le golfe de Sainte-Euphémie; on remarque sur la rive plusieurs bourgs ou villages, presque tous bâtis au pied de hautes montagnes; nos marins nous ont fait distinguer le petit bourg de Pizzo, où Joachim Murat débarqua en 1815.2

Un vent léger nous poussait vers l'entrée du détroit, et nous avions devant nous le phare de Messine, lorsqu'il nous est arrivé une barque avec des rameurs siciliens, chargés de diriger les navires dans ces parages dangereux.

Le chef de ces rameurs, après nous avoir complimentés, nous a dit d'un ton solennel: Voilà Scylla, et voilà Charybde. Du côté de Scylla, on entend encore le sourd mu

gissement des vagues; tout paraissait tranquille autour de Charybde. Ces deux écueils, au moins dans les temps de calme, n'ont rien qui puisse expliquer la terreur des anciens. Nous sommes entrés paisiblement dans le canal, et nous avons pu jouir du magnifique spectacle des deux rives. Dans le lointain, et à notre droite, c'étaient les monts Pelores, dont les cimes bleuâtres conservent encore les traces des frimas; près de nous, des vallons où la pâle verdure des oliviers se mêle au vert foncé des pins et des cyprès. A mesure qu'on avance dans le détroit, on distingue quelques maisons blanches sur un terrain jaunâtre, des lits de torrents qu'on prend d'abord pour des chemins poudreux, une certaine culture qui annonce le voisinage d'une grande ville, enfin plusieurs églises ou monastères dont les paisibles habitants ne songent guère que leurs demeures servent de point de reconnaissance aux navigateurs poussés par la tempête. Sur la rive de la Calabre, c'est un autre spectacle. L'horizon est borné par des rochers stériles et des collines nues, où la bruyère croît à peine. De vastes campagnes s'étendent vers la mer, les unes livrées à la culture, les autres sillonnées par des ravins profonds. On aperçoit de distance en distance des maisons avec des bouquets d'arbres, des villages avec leurs jardins et des plantations d'oliviers et de mûriers. Là jaunit la moisson sur des terres prêtes à s'ébouler, et soutenues par des murailles de pierres; plus loin, la vigne monte au sommet des ormes et se mêle à leur feuillage, ou, portée d'espace en espace sur de longs échalas, elle s'étend dans la plaine et se déploie en festons verdoyants. Les paysages des deux côtés présentent parfois des contrastes qui étonnent; on trouve en quelques endroits une autre nature, une autre physionomie, et le voyageur est surpris d'éprouver des impressions si différentes à l'aspect de deux contrées qu'animine également le voisinage de la mer, et que le même soleil éclaire.

LES CROISÉS A JÉRUSALEM.

Irrités par les menaces et les insultes des Sarrasins, aigris par les maux qu'ils ont soufferts pendant le siége et par la résistance qu'ils ont trouvée dans la ville, les croisés remplissent de sang et de deuil cette Jérusalem qu'ils viennent de délivrer, et qu'ils regardent comme leur future patrie.

Bientôt le carnage devient général. Ceux qui échappaient au fer des soldats de Godefroy et de Tancrède, couraient audevant des Provençaux également altérés de leur sang. Les Sarrasins étaient massacrés dans les rues, dans les maisons; Jérusalem n'avait point d'asile pour les vaincus. Quelques-uns purent échapper à la mort en se précipitant des remparts; les autres couraient en foule se réfugier dans les palais, dans les tours, et surtout dans leurs mosquées, où ils ne purent se dérober à la poursuite des chrétiens.

L'imagination se détourne avec effroi de ces scènes de dé-solation, et pent à peine, au milieu du carnage, s'arrêter au tableau touchant des chrétiens de Jérusalem, dont les croisés venaient de briser les fers. A peine la ville venait-elle d'être conquise, qu'on les vit accourir au-devant des vainqueurs. Ils partageaient avec eux les vivres qu'ils avaient pu dérober à la recherche des Sarrasins; tous remerciaient ensemble le Dieu qui avait fait triompher les armes des soldats de la croix.

L'ermite Pierre, qui, cinq ans auparavant, avait promis d'armer l'Occident pour la délivrance des fidèles de Jérusalem, dut alors jouir du spectacle de leur reconnaissance et de leur joie. Les chrétiens de la ville sainte, au milieu de la foule des croisés, semblaient ne chercher, ne voir que le généreux cénobite qui les avait visités dans leurs souffrances, et dont toutes les promesses venaient d'être accomplies. Ils se pressaient en foule autour de l'ermite vénérable; c'était à lui qu'ils adressaient leurs cantiques, c'était lui qu'ils proclamaient leur libérateur; ils lui racontaient les maux qu'ils avaient soufferts pendant son absence, ils pouvaient à peine croire ce qui se passait sous leurs yeux, et dans leur enthousiasme ils s'éton

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