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vous ne l'ignorez pas, que les plus indignes manéges y font plus de fripons gueux que de parvenus. Vous ne devez point vous estimer malheureux de vivre comme fait monsieur votre père; et il n'y a point de sort que le travail, la vigilance, l'innocence et le contentement de soi ne rendent supportable, quand on s'y soumet en vue de remplir son devoir.

Voilà, Monsieur, des conseils qui valent tous ceux que vous pourriez venir prendre à Montmorency: peut-être ne seront-ils pas de votre goût, et je crains que vous ne preniez pas le parti de les suivre: mais je suis sûr que vous vous en repentirez un jour. Je vous souhaite un sort qui ne vous force jamais à vous en souvenir.

§ 21. BARTHÉLEMY, 1716-1795.

BARTHÉLEMY naquit à Cassis, en Provence, le 20 Janvier, 1716. Sa vaste érudition lui valut le titre de membre de l'Académie des Inscriptions, en 1747. Dès cette époque il travailla au chef-d'œuvre qui lui acquit une si grande et si juste célébrité, les Voyages du jeune Anacharsis en Grèce, ouvrage immense d'études et de recherches, qui, terminé seulement en 1788, fut accueilli avec l'enthousiasme qu'il méritait. On admira le travail consciencieux de l'auteur, son érudition profonde, son habileté dans l'ordonnance des détails, et surtout l'élégance, la noblesse, le charme de son style, ce que, jusqu'alors, on n'avait jamais remarqué dans ces sortes de travaux.

Un an après la publication de cet immortel ouvrage, l'Académie française ouvrit ses portes à Barthélemy. En 1793, il fut arrêté; mais le savant et inoffensif vieillard fut bientôt rendu à la liberté : il était alors conservateur des médailles. Il termina, à l'âge de quatre-vingt ans, sa laborieuse et honorable carrière, en 1795.

LE PRINTEMPS DU CLIMAT DE LA GRÈCE.'

Dans l'heureux climat que j'habite, le printemps est comme l'aurore d'un beau jour: on y jouit des biens qu'il amène, et de ceux qu'il promet. Les feux du soleil ne sont plus obscurcis

par des vapeurs grossières : ils ne sont pas encore irrités par l'aspect ardent de la canicule: c'est une lumière pure, inaltérable, qui se repose doucement sur tous les objets, c'est la lumière dont les Dieux sont couronnés dans l'Olympe.

Quand elle se montre à l'horizon, les arbres agitent leurs feuilles naissantes: les bords de l'Ilissus retentissent du chant des oiseaux, et les échos du mont Hymette, du son des chalumeaux rustiques. Quand elle est près de s'éteindre, le ciel se couvre de voiles étincelants, et les nymphes de l'Attique vont d'un pas timide essayer sur le essayer sur le gazon des danses légères: mais bientôt elle se hâte d'éclore, et alors on ne regrette ni la fraîcheur de la nuit qu'on vient de perdre, ni la splendeur du jour qui l'avait précédée; il semble qu'un nouveau soleil se lève sur un nouvel univers, et qu'il apporte de l'orient des couleurs inconnues aux mortels. Chaque instant ajoute un nouveau trait aux beautés de la nature; à chaque instant, le grand ouvrage du développement des êtres avance vers sa perfection.

O jours brillants! ô nuits délicieuses! quelle émotion excitait dans mon âme cette suite de tableaux que vous offriez à tous mes sens! O Dieu des plaisirs! ô printemps! je vous ai vu cette année dans toute votre gloire; vous parcouriez en vainqueur les campagnes de la Grèce, et vous détachiez de votre tête les fleurs qui devaient les embellir: vous paraissiez dans les vallées, elles se changeaient en prairies riantes; vous paraissiez sur les montagnes, le serpolet et le thym exhalaient mille parfums; vous vous éleviez dans les airs, et vous y répandiez la sérénité de vos regards. Les Amours empressés accouraient à votre voix, ils lançaient de toutes parts des traits enfiammés, la terre en était embrasée. Tout renaissait pour s'embellir: tout s'embellissait pour plaire. Tel parut le monde au sortir du chaos, dans ces moments fortunés où l'homme, ébloui du séjour qu'il habitait, surpris et satisfait de son existence, semblait n'avoir un esprit que pour connaître le bonheur, un cœur que pour le désirer, une âme que pour le sentir.

PLATON.

Platon avait reçu de la nature un corps robuste. Ses longs voyages altérèrent sa santé; mais il l'avait rétablie par un régime austère ; et il ne lui restait d'autre incommodité qu'une habitude de mélancolie, habitude qui lui fut commune avec Socrate, Empedocle, et d'autres hommes illustres.

Il avait les traits réguliers, l'air sérieux, les yeux pleins de douceur, le front ouvert et dépouillé de cheveux, la poitrine large, les épaules hautes, beaucoup de dignité dans le maintien, de gravité dans la démarche, et de modestie dans l'extérieur. Il s'exprimait avec lenteur; mais les graces et la persuasion semblaient couler de ses lèvres.

Sa mère était de la même famille que Solon, et son père rapportait son origine à Codrus, dernier Roi d'Athènes. Dans sa jeunesse, la peinture, la musique, les différents exercices du Gymnase remplirent tous ses moments. Il était né avec une imagination forte et brillante. Il fit des dithyrambes, s'exerça dans le geure épique, compara ses vers à ceux d'Homère, et les brûla.

Il crut que le théâtre pourrait le dédommager de ce sacrifice: il composa quelques tragédies; et, pendant que les acteurs se préparaient à les représenter, il counut Socrate, supprima ses pièces et se dévoua tout entier à la philosophie.

Il sentit alors un violent besoin d'être utile aux hommes. La guerre du Péloponèse avait détruit les bons principes et corrompu les mœurs: la gloire de les rétablir excita son ambition. Tourmenté jour et nuit de cette grande idée, il attendait avec impatience le moment où, revêtu des magistratures, il serait en état de déployer son zèle et ses talents; mais les secousses qu'essuya la république dans les dernières années de la guerre, ces fréquentes révolutions qui en peu de temps présentèrent la tyrannie sous des formes toujours plus effrayantes, la mort de Socrate son maître et son ami, les réflexions que tant d'événements produisirent dans son esprit, le convainquirent bientôt que tous les Gouvernements sont attaqués de maladies incurables, que les affaires des mortels sont, pour ainsi dire, désespérées, et qu'ils ne seront heureux que lorsque la

Philosophie se chargera du soin de les conduire. Ainsi, renonçant à son projet, il résolut d'augmenter ses connaissances, et de les consacrer à notre instruction. Dans cette vue il se rendit à Mégare, en Italie, à Cyrène, en Égypte, partout où l'esprit humain avait fait des progrès.

Il avait environ quarante ans quand il fit le voyage de Sicile pour voir l'Etna. Denys, tyran de Syracuse, désira de l'entretenir. La conversation roula sur le bonheur, sur la justice, sur la véritable grandeur. Platon ayant soutenu que rien n'est si lâche et si malheureux qu'un Prince injuste, Denys en colère lui dit: "Vous parlez comme un radoteur.” "Et vous comme un tyran," répondit Platon. Cette réponse pensa2 lui coûter la vie. Denys ne lui permit de s'embarquer sur une galère qui retournait en Grèce, qu'après avoir exigé du commandant qu'il le jetterait à la mer, ou qu'il s'en déferait comme d'un vil esclave. Il fut vendu, racheté et ramené dans sa patrie. Quelque temps après, le Roi de Syracuse, incapable de remords, mais jaloux de l'estime des Grecs, lui écrivit ; et, l'ayant prié de l'épargner dans ses discours, il n'en reçut que cette réponse méprisante: "Je n'ai pas assez de loisir pour me souvenir de Denys."

A son retour, Platon se fit un genre de vie dont il ne s'est plus écarté. Il a continué de s'abstenir des affaires publiques, parce que, suivant lui, nous ne pouvons plus être conduits au bien ni par la persuasion, ni par la force; mais il a recueilli les lumières éparses dans les contrées qu'il avait parcourues; et, conciliant, autant qu'il est possible, les opinions des philosophes qui l'avaient précédé, il en composa un système qu'il développa dans ses écrits et dans ses conférences. Ses ouvrages sont en forme de dialogue. Socrate en est le principal interlocuteur; et l'on prétend qu'à la faveur de ce nom, il accrédite les idées qu'il a conçues ou adoptées.

Son mérite lui a fait des ennemis: il s'en est attiré luimême en versant dans ses écrits une ironie piquante contre plusieurs auteurs célèbres. Il est vrai qu'il la met sur le compte de Socrate; mais l'adresse avec laquelle il la manie, et différents traits qu'on pourrait citer de lui, prouvent qu'il avait, du moins dans sa jeunesse, assez de penchant à la satire.

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Cependant ses ennemis ne troublent point le repos qu'entretiennent dans son cœur ses succès ou ses vertus. Il a des vertus en effet; les unes qu'il a reçues de la nature, d'autres qu'il a eu la force d'acquérir. Il était né violent; il est à présent le plus doux et le plus patient des hommes. L'amour de la gloire ou de la célébrité me paraît être sa première, ou plutôt son unique passion, je pense qu'il éprouve cette jalousie dont il est si souvent l'objet. Difficile et réservé pour ceux qui courent la même carrière que lui, ouvert et facile pour ceux qu'il y conduit lui-même, il a toujours vécu avec les autres disciples de Socrate dans la contrainte ou l'inimitié; avec ses propres disciples, dans la confiance et la familiarité, sans cesse attentif à leurs progrès ainsi qu'à leurs besoins, dirigeant sans faiblesse et sans rigidité leurs penchants vers des objets honnêtes, et les corrigeant par ses exemples plutôt que par ses leçons. De leur côté, ses disciples poussent le respect jusqu'à l'hommage, et l'admiration jusqu'au fanatisme: vous en verrez même qui affectent de tenir les épaules hautes et arrondies pour avoir quelque ressemblance avec lui. C'est ainsi qu'en Éthiopie, lorsque le Souverain a quelque défaut de conformation, les courtisans prennent le parti de s'estropier pour lui ressembler.

MORT D'ÉPAMINONDAS.4

Les deux armées furent bientôt en présence près de la ville de Mantinée. Celle des Lacé lémoniens et de leurs alliés était de plus de vingt mille hommes de pied, et de près de deux mille chevaux ; celle de la ligue thébaine, de trente mille hommes d'infanterie, et d'environ trois mille de cavalerie.

Jamais Epaminondas n'avait déployé plus de talent que dans cette circonstance. Il suivit dans son ordre de bataille les principes qui lui avaient procuré la victoire de Leuctres. Une de ses ailes, formée en colonne, tomba sur la phalange lacédémonienne, qu'elle n'aurait peut-être jamais enfoncée, s'il n'était venu lui-même fortifier ses troupes par son exemple, et par un corps d'élite dont il était suivi. Les ennemis, effrayés à son approche, s'ébranlent et prennent la fuite. Il

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