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FRENCH PROSE AND POETRY.

PART I.

SELECTIONS IN PROSE.

§ 1. BALZAC, 1594-1655.

BALZAC, dont l'éloquence a excité l'enthousiasme de son époque, peut offrir à la nôtre plus d'un modèle oratoire. Né à Angoulême vers le temps où Henri IV faisait sa rentrée dans Paris, il mourut lorsque Louis XIV, majeur, laissait encore son pouvoir aux mains de Mazarin. C'est le premier des auteurs français qui ait écrit supérieurement, dans ses moments heureux, la langue de son pays parvenue à sa maturité. Ses principaux ouvrages sont le Socrate chrétien, où une teinte antique relève la beauté de la morale moderne; le Prince, où il trace à Louis XIII ses devoirs et célèbre Richelieu son protecteur; ses Dissertations politiques et critiques; Aristippe ou la Cour, et la Relation à Ménandre, en d'autres termes sa justification ou sa réponse aux ennemis que lui avait faits sa gloire.'

DISTINCTION DE LA VRAIE ET DE LA FAUSSE ÉLOQUENCE.

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L'éclat ne présuppose pas toujours la solidité, et les paroles qui brillent le plus sont souvent celles qui pèsent le moins. Il y a une faiseuse de bouquets, je ne l'ose nommer Éloquence, qui est toute peinte et toute dorée, qui semble toujours sortir d'une boîte, qui n'a soin que de s'ajuster et ne songe qu'à faire la belle; qui, par conséquent, est plus propre pour les fêtes que pour les combats, et plaît davantage

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qu'elle ne sert, quoique néanmoins il y ait des fêtes dont elle déshonorerait la solennité et des personnes à qui elle ne donnerait point de plaisir.

Ne se soutenant que d'apparence et n'étant animée que de couleur, elle agit principalement sur l'esprit du peuple, parce que le peuple a tout son esprit dans les yeux et dans les oreilles. Faute de raisons et d'autorité, elle use de charmes et de flatterie. Elle est creuse et vide de choses essentielles, bien qu'elle soit résonnante de tons agréables. Elle est au moins plus délicate que forte, et, ayant sa puissance bornée, ou elle ne porte pas plus loin que les sens, ou, pour le plus, elle ne touche que légèrement le dehors de l'âme.

La vraie éloquence est bien différente de cette causeuse des places publiques, et son style est bien éloigné du jargon ambitieux des sophistes grecs. Disons que c'est une éloquence d'affaires et de service, née pour le commandement et la souveraineté, tout efficace et toute pleine de force. Disons qu'elle agit, s'il se peut, par la parole plus qu'elle ne parle; qu'elle ne donne pas seulement à ses ouvrages un visage et de la grâce, mais un cœur, de la vie et du mouvement.

Elle ne s'amuse point à cueillir des fleurs et à les lier ensemble; mais les fleurs naissent sous ses pas. En visant ailleurs, elle les produit. Sa mine est d'une amazone, et sa négligence même ne fait point de tort à sa dignité. Elle ne laisse pas toutefois de se parer, quand il en est besoin, quoiqu'elle soit moins curieuse de ses ornements que de ses armes.

BALZAC RAPPELLE LES PLAISIRS DONT IL A JOUI DANS UN SÉJOUR A LA CAMPAGNE.

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J'ai été assez longtemps dans le monde, mais je n'ai vécu qu'autant que dura l'automne passé; et pour ce qu'il n'est pas possible de faire revenir ces jours bienheureux et qui me furent si chers, je tâche le plus que je puis de les regoûter par le souvenir et par le discours. La liberté dans laquelle je me trouvais, après une captivité de trois ans (j'appelle ainsi

le séjour que j'avais fait à la ville), la pureté de l'air que je commençais à respirer, et que je recevais avidement, comme une nourriture qui m'était nouvelle, et la face riante de la campagne, qui montrait encore sur soi une partie de ses biens et se parait des derniers présents qu'elle devait faire aux hommes, me donnaient des pensées si douces et si tranquilles, que, sans être agité de l'émotion qu'excite la joie, j'avais tout le plaisir qu'elle cause.

Les autres maladies de l'âme, plus importunes, qui tourmentent les cours et les assemblées, n'approchaient point de notre village. Je ne savais ce que c'était de craindre ni d'espérer, et ne connaissais plus le soupçon, la défiance, ni la jalousie. Toutes mes passions se reposaient, et celles d'autrui ne parvenaient point jusques à moi.

La première partie de la journée se passait en une conversation familière, d'où nous avions banni les affaires d'État, les controverses de la religion et les questions de philosophie. On ne se mettait point en peine d'accorder les princes chrétiens pour faire une ligue contre le Turc; on ne débattait point à outrance qui était le plus grand capitaine, du marquis de Spinola ou du comte de Tilly. Personne ne réformait les royaumes, ni ne voulait changer leur gouvernement. Nous ne parlions que de la bonté de nos melons, de la récolte de nos blés et de l'espérance de nos vendanges.

LA RELIGION CHRÉTIENNE; SON PRINCIPE SURNATUREL; SA PROPAGATION PAR LES SUPPLICES DES MARTYRS.

Il ne paraît rien ici de l'homme, rien qui porte sa marque et qui soit de sa façon. Je ne vois rien qui ne me semble plus que naturel, dans la naissance et dans le progrès de cette doctrine. Les ignorants l'ont persuadée aux philosophes. De pauvres pêcheurs ont été érigés en docteurs des rois et des nations. Ils ont pris dans leurs filets les orateurs et les poètes, les jurisconsultes et les mathématiciens.

Ce peuple choisi s'est accru par les pertes et par les défaites:

il a combattu, il a vaincu étant désarmé. Le monde, en apparence, avait ruiné l'Église, mais elle a accablé le monde sous ses ruines. La force des tyrans s'est rendue au courage des condamnés. La patience de nos pères a lassé toutes les mains, toutes les machines, toutes les inventions de la cruauté.

Chose étrange et digne d'une longue considération! reprochons-la plus d'une fois à la lâcheté de notre foi et à la tié leur de notre zèle: en ce temps-là il y avait de la presse à se faire déchirer, à se faire brûler pour Jésus-Christ. L'extrême douleur et la dernière infamie attiraient les hommes au christianisme: c'étaient les appâts et les promesses de cette nouvelle secte. Ceux qui la suivaient et qui avaient faveur à la cour, avaient peur d'être oubliés dans la commune persécution; ils allaient s'accuser eux-mêmes, s'ils manquaient de délateurs. Le lieu où les feux étaient allumés et les bêtes déchaînées s'appelait, en la langue de la primitive Eglise, la place où l'on donnait les couronnes. Voilà le style de ces grandes âmes qui méprisaient la mort comme si elles eussent eu une vie empruntée.

Je ne m'étonne point que les Césars aient régné, et que le parti qui a été le victorieux ait été le maître. Mais si c'eût été le vaincu à qui l'avantage fût demeuré; si les déroutes eussent fortifié Pompée et rétabli sa fortune; si les proscriptions eussent grossi le parti d'un mort et lui eussent fait naître des partisans, véritablement il y aurait de quoi s'étonner d'un succès si éloigné du cours ordinaire des choses humaines. Nous voyons pourtant ici cet événement irrégulier et directement opposé à la coutume des choses du monde. Le sang des martyrs a été fertile, et la persécution a peuplé le monde de chrétiens. Les premiers persécuteurs, voulant éteindre la lumière qui naissait et étouffer l'Église au berceau, ont été contraints d'avouer leur faiblesse, après avoir épuisé leurs forces. Les autres qui l'attaquèrent depuis, ne réussirent pas mieux dans leurs entreprises. L'ouvrage de Dieu n'a pu être défait par la main des hommes. Disons-le hardiment à la gloire de notre Jésus-Christ et à la honte de leur Dioclétien: "Les tyrans passent, mais la vérité demeure.”

BALZAC AU CARDINAL DE LA VALETTE, QUI ALLAIT PARTIR POUR L'ITALIE.

Monseigneur, l'espérance, que l'on me donne depuis trois mois, que vous devez passer tous les jours en ce pays, m'a empêché jusqu'ici de vous écrire, et de me servir de ce seul moyen qui me reste de me rapprocher de votre personne.

A Rome, vous marcherez sur des pierres qui ont été les dieux de César et de Pompée; vous considérerez les ruines de ces grands ouvrages, dont la vieillesse est encore belle, et vous vous promènerez tous les jours parmi les histoires et les fables: mais ce sont des amusements d'un esprit qui se contente de peu, et non pas les occupations d'un homme qui prend plaisir de naviguer dans l'orage. Quand vous aurez vu le Tibre, au bord duquel les Romains ont fait l'apprentissage de leurs victoires et commencé ce long dessein qu'ils n'achevèrent qu'aux extrémités de la terre; quand vous serez monté au Capitole, où ils croyaient que Dieu était aussi présent que dans le ciel, et qu'il avait enfermé le destin de la monarchie universelle; après que vous aurez passé au travers de ce grand espace qui était dédié aux plaisirs du peuple, je ne doute point qu'après avoir regardé encore beaucoup d'autres choses, vous ne vous lassiez à la fin du repos et de la tranquillité de Rome.7

Il est besoin, pour une infinité de considérations importantes, que vous soyez au premier conclave. Quelque grand objet que se propose votre ambition, elle ne saurait rien concevoir de si haut que de donner en même temps un successeur aux consuls, aux empereurs et aux apôtres, et d'aller faire de votre bouche celui qui a la conduite de toutes les âmes.

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