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ses manières, dans tout ce qui l'entourait. Elle aimait le commandement, les aises et la grandeur. Ses meubles, présents, il est vrai, presque tous, de madame de Maintenon ou de quelques amis, avaient une certaine recherche ou un certain prix qui semblaient contredire au vou de pauvreté.

Le roi, à qui elle avait plu, la traitait avec des égards qui la relevaient encore à ses propres yeux. Elle était en commerce avec plusieurs seigneurs et dames de la cour, avec les ministres, avec le chancelier; on venait la voir, et, presque toujours, pour faire passer par elle ce qu'on voulait qui arrivât au roi par madame de Maintenon. Aussi avait-elle toujours mille affaires à traiter avec elle, qui ne regardaient point la communauté; elle aurait dû comprendre, aux réponses de madame de Maintenon, que ces façons ne lui plaisaient pas; à Saint-Cyr enfin, madame de Maintenon était la religieuse, et

dant qu'elle croyait qu'en son absence, ces livres me tiendraient lieu d'une bonne compagnie. Elle ne se trompait pas, car voulant régaler les dames de Saint-Louis de quelque mets d'esprit convenable à leur état, je leur ai lu moi-même, dans nos promenades du soir, l'histoire de la morale, qui leur a toujours fait dire, quand on a sonné la retraite, que l'heure avançait. (Lettre autographe, cabinet de M. de Monmerqué.) — Madame de Sévigné écrivait à mademoiselle de Scudéry, en 1688: « L'agrément de vos conversations ne finira jamais. Je sais qu'on en est fort agréablement occupé à Saint-Cyr.

madame de Brinon la dame de cour. Dès Noisy, elle s'était aperçue de ses défauts. Voyant que madame de Brinon inspirait aux novices ses idées de grandeur et de vanité', qu'elle prétendait épargner aux demoiselles le travail des mains, qu'elle usait souvent la journée en cérémonies inutiles, elle lui témoigna ses craintes et lui donna ses avis, mais avec des ménagements qui allaient jusqu'à la prière, pour ne pas blesser son amour-propre et sa dignité de supérieure. Madame de Brinon n'en tint compte, et madame de Maintenon commença à craindre que cette religieuse ne fût un obstacle à son dessein. Comme elle avait des vues plus étendues sur la perfection où devaient aspirer les dames de Saint-Louis, dans l'intérêt et pour l'affermissement de l'établissement lui-même, elle voulut y attacher, outre l'abbé Gobelin et les deux confesseurs ordinaires, religieux de Saint-Lazare dont le couvent était voisin, quelques ecclésiastiques d'un mérite et d'une piété re

1 « Vous ne pouvez trop, en public et en particulier, prêcher à nos postulantes l'humilité, car je crains que madame de Brinon ne leur inspire une certaine grandeur qu'elle a, et que le voisinage de la cour, cette fondation royale, la visite du roi et même les miennes, ne leur donnent une idée de chanoinesse ou de dame importante, qui ne laisse pas d'enfler le cœur, et qui s'oppose au bien que nous voulons faire. » (Lettre à l'abbé Gobelin, 10 octobre 1685. — L'établissement était encore à Noisy.)

connus, en qualité de confesseurs extraordinaires, ainsi qu'il est recommandé par le concile de Trente pour les communautés religieuses, et qui fussent capables de diriger dans des voies plus élevées les åmes qui éprouveraient le besoin de s'avancer dans la perfection. Son choix tomba d'abord, par le conseil de l'abbé Gobelin, sur M. Godet-Desmaretz', homme très-savant, très-simple et très-pieux, qui demeurait au séminaire de Saint-Sulpice, vivant dans la retraite, et assidûment appliqué aux devoirs de son ministère. Quand madame de Maintenon envoya chez lui, on le trouva dans une petite chambre où il n'y avait qu'un lit, une chaise de paille, un pupitre sur lequel étaient une Bible, quelques livres, une carte de Jérusalem, et un clavecin. Il eut grand'peine à sortir de son obscurité, qu'il aimait, pour s'attacher à une maison qui allait le mettre en évidence, et qu'il croyait beaucoup plus remplie de l'esprit de cour que de l'esprit de piété; mais une longue conversation qu'il eut avec madame de Maintenon, et qui lui fit admirer sa sagesse et sa vertu, suffit pour le décider. Elle lui adjoignit, peu de temps après, deux autres ecclésiastiques d'une grande réputation pour le savoir et la direction, MM. Tiberge et Brisacier, l'un supérieur, l'autre

1 Né en 1648. Madame de Maintenon le fit nommer, en 1690, évêque de Chartres; mort en 1709.

directeur des missions étrangères. Mais ici encore elle rencontra l'opposition de madame de Brinon, qui trouvait que les confesseurs ordinaires suffisaient bien. Celle-ci ne goûta que médiocrement les instructions un peu austères de ces messieurs, et ne le cacha point. Il y eut quelques autres dissentiments entre elle et madame de Maintenon sur l'administration, sur l'admission des novices, dans lesquelles madame de Brinon mettait de la légèreté et de la préférence. Enfin madame de Maintenon se vit contrariée; elle hésita si elle n'abandonnerait pas à madame de Brinon tout le gouvernement de la maison, « qui ne peut être gouvernée, disait-elle, par deux personnes qui pensent si différemment'; » et elle consulta sur ce point, comme elle avait coutume de faire en toutes choses. Mais, sur ces entrefaites, madame de Brinon

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'Lettre à l'abbé Gobelin, novembre 1688.

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Écrivez à madame de Brinon; remontrez-lui combien elle est éloignée des voies où elle doit conduire les autres. Elle a tous les jours de nouveaux caprices; et si M. Manseau ne s'opposait pas adroitement à ses innovations, elle aurait déjà changé toute la maison. Que veut-elle ? Que demande-t-elle ? Elle est aussi libre que si elle n'était pas religieuse; toute la communauté prévient ses désirs, ses fantaisies même. Elle est estimée à la cour, considérée à la ville, consultée par d'habiles gens; elle règne sur la partie la plus malheureuse et la mieux élevée de la noblesse du royaume. Que lui manque-t-il? Je crains que le malin esprit ne veuille jeter des semences de

tomba malade', et, lorsqu'elle commença à se rétablir, les médecins lui conseillèrent d'aller prendre les eaux de Bourbon.

Elle partit. On lui rendit partout des honneurs extraordinaires. Sa faveur auprès de madame de Maintenon, et même auprès du roi, en faisait un personnage considérable dans la province. On venait audevant d'elle, on la complimentait, on la conduisait en pompe à l'église, et elle se laissait rendre tous ces hommages, comme s'ils lui étaient dus, en y répondant avec une aisance et une bonne grâce qui les faisaient paraître encore plus naturels. On en

division dans cette maison, qui ne fait que de naître, pour l'empêcher de produire les fruits que nous attendons. Je voudrais que madame de Brinon fût moins élégante et plus régulière, qu'elle connût mieux le monde et les devoirs de son état, qu'elle fût moins visitée du dehors et plus accessible au dedans, qu'elle usât de plus de sévérité à l'égard d'elle-même, et de plus d'indulgence à l'égard des autres. Les choses sont au point que personne n'ose l'aborder; tout tremble devant elle, et tout devrait l'aimer et l'aimait autrefois. Écrivez-lui donc fortement, mais sans qu'il paraisse que vous êtes instruit; ménagez tout cela avec charité et prudence. » (Lettre de madame de Maintenon à l'abbé Gobelin.)

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« Le roi vint ici lorsqu'elle commença à se porter mieux, et lui fit l'honneur de la venir voir dans son lit, ce qui fut regardé comme une faveur très-singulière. Ce fut pour faire plaisir à madame de Maintenon, qui avait été fort affligée pendant que dura le danger. » (Mémorial de Saint-Cyr.)

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