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lustres prélats vinrent admirer l'établissement. Madame de Montespan y vint aussi, accompagnée de mademoiselle de Blois, âgée alors de neuf ans, et du duc du Maine, l'enfant chéri de madame de Maintenon, qui en avait seize; mais le roi, qui, à cette époque, se trouvait gravement incommodé, ne s'y rendit pour la première fois que dans le courant de septembre. Ce fut, comme on le pense, une grande solennité. Dans la cour du dehors, il trouva le clergé avec la croix, et à la porte de la clôture, madame de Brinon qui lui adressa un discours, et qui était suivie de toutes les dames rangées en ordre de procession, revêtues de leur voile et de leur long manteau, un cierge allumé à la main; puis dans le grand corridor et jusque dans l'église, les demoiselles placées sur deux rangs suivant leur classe, silencieuses, recueillies, pleines d'un tremblant respect. Il traversa lentement ce cortége au chant du Te Deum, entra dans l'église, et alla se placer dans le chœur sur un prie-Dieu. Quand le Te Deum fut achevé, on chanta le Domine salvum, puis les demoiselles, conduites par leur maîtresse, défilèrent devant lui, en lui faisant une profonde révérence. La communauté observa la même cérémonie. Enfin, quand il entra dans les jardins, trois cents jeunes voix entonnèrent une cantate à sa louange, dont les paroles étaient de madame de Brinon, sur ce bel air

composé par Lulli, et qui depuis, selon la tradition de Saint-Cyr, a passé en Angleterre, et est devenu l'air national anglais sur les paroles du God save the king'.

Grand Dieu, sauvez le Roi;
Grand Dieu, vengez le Roi.
Vive le Roi!

Qu'à jamais glorieux,

Louis victorieux

Voye ses ennemis

Toujours soumis.

Grand Dieu, sauvez le Roi;

Grand Dieu, vengez le Roi.

Vive le Roi!

Le roi visita ensuite les classes et le reste de la maison, ordonna quelques changements pour le

1 On ne retrouve cependant ni ce chant ni les paroles dans les cahiers et livres de musique de la maison de Saint-Cyr, conservés à la bibliothèque de Versailles. Ce qu'il y a de certain, c'est que, dans les trente dernières années de l'établissement, ce chant, dont les paroles anglaises ne semblent être qu'une traduction, et auquel l'air anglais s'adapte parfaitement, était habituellement en usage, et que selon la tradition constante des dames de Saint-Louis et des personnes élevées à Saint-Cyr (nous le tenons de plusieurs d'entre elles), on avait chanté cet hymne pour la première fois lorsque Louis XIV visita Saint-Cyr, qu'on le répétait encore souvent, et qu'elles ont toujours entendu dire que Lulli en était l'auteur.

bien-être des demoiselles, puis il revint à la salle de communauté et y entretint les religieuses en les encourageant à se bien pénétrer des devoirs de leur état, et en leur disant que « l'éducation était une des plus grandes austérités qu'on peut pratiquer, puisqu'il n'y en a guère qui n'aient quelque relâche, tandis que, dans l'éducation des enfants, il faut y employer tous les instants de la vie. » Il partit très-ému et en disant à madame de Maintenon : « Je vous remercie, madame, de tout le plaisir que vous m'avez donné1. >>

Saint-Cyr était donc fondé, il ne s'agissait plus que de lui donner le mouvement et la vie. Les choses se passèrent bien d'abord: mais bientôt il naquit des difficultés. Madame de Maintenon s'était vivement attachée à madame de Brinon, comme elle faisait toujours avec les personnes qu'elle croyait

Lulli mourut le 12 mars 1687. Son fils lui succéda comme surintendant de la musique du roi. M. Castil-Blaze, autorité en érudition musicale, raconte que, visitant à Saint-Germain la salle du roi Jacques, il s'y installa pour dîner. « Je voulais, dit-il, que ces murs fissent retentir encore des chants de leur époque, et j'exécutai quelques airs de Lulli. Je chantai le God save the king, air français, que ce maître composa pour madame de Maintenon, et que Haendel prit aux choristes de Saint-Cyr, dans une visite qu'il fit, en 1721, pour l'offrir au roi d'Angleterre. » Haendel naquit en Saxe en 1685, vint en Angleterre en 1710, et mourut en 1759.

1 Mémorial de Saint-Cyr.

avoir raison d'aimer; elle la comblait de grâces, avait pour elle mille attentions, l'avait mise dans les rapports les plus agréables avec le roi, avait obtenu des emplois pour presque toute sa famille; cependant il s'éleva quelques différends entre elles.

Madame de Maintenon s'appliquait surtout à introduire parmi les dames l'esprit de piété, de détachement du monde, de simplicité et de dévouement aux devoirs de l'éducation, qu'elle voulait qui s'y perpétuat dans l'avenir. Elle savait de quelle importance sont les commencements, et combien, dans les maisons religieuses surtout, l'esprit de la fondation, lorsqu'il y est profondément enraciné, s'y conserve ensuite facilement par la tradition. Elle trouva que madame de Brinon ne la secondait pas assez dans cette vue. Les demoiselles étaient bien élevées, mais les religieuses mal conduites. Madame de Brinon était une personne de beaucoup d'esprit et de grands talents, qui s'exprimait avec grâce, et parlait même avec éloquence. On se plaisait surtout à écouter ses instructions aux professes et aux demoiselles, et on la comparait aux prédicateurs les plus renommés. Mais c'était une religieuse née pour le monde, et qui s'en trouva tout à coup trop rapprochée pour la nature de ses goûts et de ses penchants; elle fut comme enivrée de se voir jouer un rôle au milieu de personnages si éminents. C'était contre son inclination que ses parents l'avaient fait

entrer en religion, et quoique d'une conduite toujours régulière et vertueuse, elle s'en tenait à ce qu'il y avait de principal dans ses vœux, et s'élargissait facilement sur les accessoires. La stricte observance des règles, l'usage du silence, la régularité des parloirs, lui paraissaient choses de peu de conséquence. Elle était très-propre à diriger un pensionnat, mais beaucoup moins à être une supérieure de communauté; elle en avait plus la théorie que la pratique, et se montrait peu capable de former ses élèves à la vie spirituelle, de les faire avancer dans la perfection. C'est ainsi que, dans les lectures qu'elle faisait faire aux heures de délassement et de récréation, elle avait passé insensiblement de la vie des saints aux conversations de mademoiselle de Scudéry', puis aux comédies de Molière. Elle avait, en outre, à Saint-Cyr, un air d'abbesse, et d'abbesse d'importance, dans son habillement, dans

'Madame de Brinon, qui était un peu de l'école des précieuses, écrit à mademoiselle de Scudéry, le 3 août 1688: « Je ne saurais différer davantage à vous témoigner le plaisir que vous avez fait à toute notre communauté; vous avez trouvé le moyen de beaucoup plaire en instruisant solidement. Votre génie est sans déchet, et votre esprit, qui toujours fait l'admiration des sages, croît au lieu de diminuer. Madame de Maintenon, qui ne savait pas que vous m'aviez fait part des trésors de votre sapience, après avoir vu votre morale, me l'envoya fort obligeamment pour vous et pour moi, me man

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