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voulant l'augmenter, et que le monde, sachant qu'on a travaillé sur ses écrits, ne puisse plus discerner ce qui est de l'auteur et ce qui est des correcteurs. Vous souhaitez qu'on dise positivement que ce sont de petits morceaux de papier qu'on a trouvés mal écrits et que c'étaient les premières expressions des pensées qui lui venaient lorsqu'il méditait sur son grand ouvrage contre les athées; que ni lui ni personne n'a repassé dessus que pour les mettre en ordre seulement; qu'on a encore les originaux en la manière qu'on les a trouvés, etc. On dira tout cela, et on l'a dit par avance dans la préface de la manière dont vous le voulez, et ce qui est de mieux, c'est que tout cela est vrai et exact à la lettre, et sans équivoque aucune, comme je crois vous l'avoir déjà dit ci-dessus. Que voulez-vous de plus? Cela fera tous les bons effets que vous espérez, et le meilleur encore que vous ne dites pas, c'est qu'on ne trouvera rien qui mérite d'être excusé, et qu'on regrettera seulement que l'auteur n'ait pas assez vécu pour achever un ouvrage qui, tout imparfait qu'il est, est si achevé et si admirable. Après cela, je ne sais plus que vous dire; et si vous n'êtes pas contente, vous avez tort. Voilà comment il faut parler à ses amis, et de tels amis que M. Périer et vous qui ne pouvez trouver mauvaise ma liberté, connaissant mon cœur au point que vous le connaissez, et étant toujours pour vous tel que je dois être, c'est-à-dire plus à vous qu'à moi-même.

On n'a pas fait une seule addition. Vous avez regardé le travail de M. de Roannez comme un grand commentaire, et rien n'est moins semblable à ce qu'il a fait que cette idée que vous vous en étiez formée.

Je ne parle point des pensées qu'on a retranchées, puisque vous n'en parlez pas et que vous y consentez. Mais je vous dirai pourtant que j'en ai fait un petit cahier que je garderai toute ma vie comme un trésor pour me nourrir en tout temps; car je ne voudrais pas laisser perdre la moindre chose de M. Pascal, dont il ne nous reste rien que d'infiniment précieux, ne fût-ce que le petit billet du mois que vous m'avez

donné.

Ce serait à moi à faire des excuses, puisque me voici à la neuvième page. Mais je n'ai garde après ce que je vous ai dit. J'embrasse toute la chère famille. Adieu. Je vous supplie

de me faire faire une copie de cette lettre-ci par un de MM. vos enfants, ou de me la renvoyer si vous ne la voulez pas garder, comme elle ne le mérite pas, parce que j'en aurai à faire pour la montrer à M. de Roannez; je crois que cela fera un bon effet; je lui lirai la vôtre; et si je n'avais été si pressé, il aurait vu celle-ci avant que de vous l'envoyer; mais je n'ai eu que le temps de l'écrire, et encore bien à la hâte. Lisez mon griffonnage, si vous pouvez.

On m'a dit que vous saviez des histoires admirables de songes, de sorciers, sortilèges, apparitions, etc. J'en fais un petit recueil et je voudrais que vous pussiez voir ce que j'ai déjà écrit. Je ne mets rien dans mon livre que de très exact et de très vrai, et le plus circonstancié que je puis. Si vous pouvez m'envoyer quelque chose de ce genre ou si vous en apprenez de personnes bien sûres, je vous supplie de me faire cette grâce. Toutes ces choses, lorsqu'elles sont véritables, sont de grandes preuves de la religion.

Faites-moi, à propos de cela, faire une copie du billet qu'on trouva sur M. Pascal, dont M. de Roannez m'a parlé, figuré comme il est, feu, flamme, jour de saint Chrysogone, etc. Je serais bien aise de l'avoir.

Encore une fois, mille adieux. Je suis tout à vous. N'oubliez pas de faire mes compliments à mes chères sœurs et à M. Domat. Adieu encore une fois je ne saurais trop vous le

dire.

Ce II.

:

I er P.-S. Quand j'eus achevé ma lettre, il était trop tard pour l'envoyer à la poste, de sorte que j'ai été obligé de différer jusqu'aujourd'hui ; et comme j'en ai fait ce que je désirais, il n'est pas nécessaire que vous m'en fassiez faire une copie.

2o P.-S. Il est arrivé quelque chose depuis qui m'oblige à vous prier de m'en faire faire une copie par un de vos enfants ou de Mlles vos filles. Je leur serai très-obligé de la peine qu'elles prendront.

Je ne vous puis dire, madame, la joie que j'ai eue de voir la lettre du 30 novembre que vous avez écrite à M. de Roannez, et qu'il m'a envoyée aussitôt; c'est une réponse par avance à cette grande lettre que je vous écris présentement. Cependant je ne ferai point commencer à imprimer, quoique

la chose presse extrêmement, que je n'aie eu votre dernière réponse tout ce que je vous mande, quoique ce que vous avez mandé à M. de Roannez me donne lieu d'espérer que votre réponse sera aussi favorable que nous le souhaitons. Je vous dois dire, madame, que M. votre fils est bien aise de se voir bientôt au bout de ses sollicitations auprès de moi et de vos autres amis, et de n'être plus obligé à nous tenir tête avec l'opiniâtreté qu'il faisait et dont nous ne pénétrions pas bien les raisons. Car la force de la vérité l'obligeait à se rendre, et cependant il ne se rendait point et revenait toujours à la charge; et la chose allait quelquefois si loin que nous ne le regardions plus comme un Normand, qui sont gens naturellement complaisants, mais comme le plus opiniâtre Auvergnat qui fût jamais : c'est tout dire. Mais maintenant nous ferons bientôt la paix, et j'espère que votre satisfaction, et la gloire, et l'applaudissement, qui sont inséparables de la publication de cet ouvrage, achèveront de mettre fin aux petits différends que nous avons eus, M. de Roannez et moi, avec M. votre fils. J'aurais mille choses à vous dire de lui qui vous consoleraient infiniment; mais je n'ai pas assez de temps; ce sera pour une autre fois. N'oubliez pas mes histoires. Je suis tout à vous; vous le savez.

II

L'ÉDITION DE 1669 ET LES ÉDITIONS

DE 1670

APPROBATIONS DE NOSSEIGNEURS LES PRÉLATS

Approbation de Monseigneur de Comminges.

Ces pensées de M. Pascal font voir la beauté de son génie, sa solide piété et sa profonde érudition. Elles donnent une si excellente idée de la Religion, que l'on acquiesce sans peine à ce qu'elle contient de plus impénétrable. Elles touchent si bien les principaux points de la Morale, qu'elles découvrent d'abord la source et le progrès de nos désordres et les moyens de nous en délivrer, et elles effleurent les autres sciences avec tant de suffisance, que l'on s'aperçoit aisément que M. Pascal ignorait peu de choses de ce que les hommes savent. Quoique ces Pensées ne soient que les commencements des raisonnements qu'il méditait, elles ne laissent pas d'instruire profondément. Ce ne sont que des semences; mais elles produisent leurs fruits en même temps qu'elles sont répandues. L'on achève naturellement ce que ce savant homme avait eu dessein de composer, et les lecteurs deviennent eux-mêmes auteurs en un moment pour peu d'application qu'ils aient. Rien n'est donc plus capable de nourrir utilement et agréablement l'esprit que la lecture de ces essais, quelque informes qu'ils paraissent, et il n'y a guère eu de production parfaite depuis longtemps qui ait mieux mérité selon mon jugement

d'être imprimée que ce livre imparfait. A Paris, le 4 septembre 1669.

GILBERT, E. de Comenge1.

De Monseigneur l'Évêque d'Aulonne, suffragant de Clermont.

Après avoir lu fort exactement et avec beaucoup de consolation les Pensées de M. Pascal touchant la religion chrétienne, il me semble que les vérités qu'elles contiennent peuvent être fort bien comparées aux essences, dont on n'a point accoutumé de donner beaucoup à la fois pour les rendre plus utiles aux corps malades, parce qu'étant toutes remplies d'esprit, on n'en saurait prendre si peu que toutes les parties du corps ne s'en ressentent. Ce sont les images des pensées de ce recueil. Une seule peut suffire à un homme pour en nourrir son âme tout un jour, s'il les lit à cette intention, tant elles sont remplies de lumières et de chaleur. Et bien loin qu'il y ait rien dans ce recueil qui soit contraire à la foi de l'Église

1. L'évêque de Comminges envoya en outre la lettre suivante à

M. Périer:

De Paris, le 21 de janvier 1670.

Monsieur, un voyage que j'ai fait m'a empêché de faire plus tôt réponse à la lettre que vous m'avez si obligeamment écrite ; je ne mérite aucun remercîment de l'approbation que j'ai donnée aux pensées de M. Pascal, mais je vous en dois beaucoup de l'honneur que vous m'avez fait de vouloir que mon nom parût dans cet excellent ouvrage. Pour les endroits, Monsieur, sur lesquels j'ai proposé des doutes, j'ai sujet de me louer de la bonté de ceux qui ont pris soin de l'impression, et ils ont bien voulu avoir assez de condescendance pour faire les changements qui m'ont paru nécessaires: je vous supplie d'excuser en cela ma faiblesse, et d'être persuadé que je n'ai point eu la présomption de croire que mon sentiment dût prévaloir; mais j'ai pensé devant Dieu être obligé de l'exposer sincèrement. Au surplus, Monsieur, je vous dis en vérité que je n'ai rien lu qui m'ait paru si plein de lumière que ces pensées. Nous n'étions pas dignes de la perfection de cet ouvrage. Je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

GILBERT DE CHOYSEUIL, évêque de Comenge.

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