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tiative et le mérite. La prière elle-même est dangereuse, si en demandant nous allions croire que nous avons quelque droit à obtenir. A plus forte raison, celui qui entreprend de découvrir aux hommes la vérité, de leur montrer les routes du salut s'expose à la tentation naturelle qui est de faire le Dieu. Au moment où l'auteur des Pensées s'élève le plus haut dans la conscience claire de son génie, il se fait scrupule, il offre en sacrifice la joie dont il ne peut se défendre, il s'abaisse dans un mouvement d'humilité : l'incrédule qu'il aura retiré du milieu d'iniquité et qu'il aura conduit à Dieu, sera peut-être demain revêtu de cette grâce que demain peut-être lui-même implorera en vain. Même illuminé par la flamme d'un bonheur céleste, le chrétien ne peut pas se reposer dans ce bonheur, et le faire sien; il doit l'accueillir dans les larmes et dans l'anxiété. Voilà sans doute le dernier secret des Pensées; voilà pourquoi ces Fragments, destinés pour la plupart à une Apologie du christianisme, tournés contre les libertins et les mauvais chrétiens, sont pleins pourtant de l'âme même de Pascal; c'est de lui qu'ils nous entretiennent et c'est vers lui qu'ils dirigent notre esprit; c'est l'angoisse d'un drame intérieur qui de l'auteur se communique aux lecteurs. La légende romantique veut qu'il lutte contre ses doutes, qu'il travaille inutilement à affirmer en lui la conviction qu'il voudrait imposer à autrui. En réalité Pascal est inquiet non de sa foi mais de son salut : « Toute condition, et même les martyrs, ont à craindre, par l'Écriture1. » Il n'est ni un théologien spéculatif, ni un docteur qui parle du haut de la chaire, en représentant d'une autorité « reconnue » ; il est à genoux, il prie, et

1. Fr. 518.

il saigne sous les pointes de sa ceinture de fer. La croix qu'il trace en tête de ses fragments n'est pas une arme pour appeler au combat les fidèles, pour menacer les mécréants ou les hérétiques; c'est la propre croix du Christ sous laquelle il a succombé au chemin du calvaire: « Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde, il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. »>

PIÈCES JUSTIFICATIVES

PIÈCES JUSTIFICATIVES
POUR LA PREMIÈRE PARTIE

DE L'INTRODUCTION

I

LA PRÉPARATION DE L'ÉDITION

LETTRES DE M. DE BRIENNE A MME PÉRIER 1

Première lettre.

Ce 16 novembre [1668].

On ne peut pas, madame, avoir céans M. votre fils qui nous fait l'honneur de coucher ce soir chez le mien après y avoir dîné ce matin et avoir travaillé tout le jour céans pour mettre enfin la dernière main aux fragments de Monsieur votre illustre et bienheureux frère, après qu'ils ont subi tous les examens de M. de Roannez, ce qui n'est pas peu de chose, et ne vous pas dire un mot d'une si agréable occupation que nous avons présentement. M. de Roannez est très content, et assurément l'on peut dire que lui et ses amis ont extrêmement travaillé. Je crois que vous l'en devez remercier. Nous allons encore faire une revue, M. votre très cher fils et moi, après laquelle il n'y aura plus rien à refaire, et je crois que notre dessein ne vous déplaira pas, ni à M. Périer que je salue ici avec votre permission, puisque nous ne faisons autre chose que de voir si l'on ne peut rien restituer des fragments que M. de Roannez

1. II Recueil MS. du P. Guerrier, p. 71. Cf. Ms. 12988, p. 73. PENSÉES DE PASCAL.

I- 10

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