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INTRODUCTION AUX PENSÉES DE PASCAL

La biographie de Pascal, et la bibliographie qui le concerne, ressortissent à l'ensemble de l'édition de ses œuvres. L'introduction aux fragments posthumes qui ont le titre, maintenant consacré, de Pensées a seulement ce triple objet 1° résumer l'histoire complexe de la publication du livre; 2° étudier le manuscrit original qui est la base de la présente édition, et par là chercher à justifier la méthode que nous y avons suivie; 3° retracer les conditions intellectuelles dans lesquelles les Pensées ont été écrites, et la conception générale qu'elles expriment.

PENSÉES DE PASCAL.

PREMIÈRE PARTIE

La préface qu'Étienne Périer écrivit pour l'édition de Port-Royal nous apprend dans quel état étaient ses manuscrits au moment de sa mort : « On les trouva tous ensemble enfilés en diverses liasses, mais sans aucun ordre, sans aucune suite, parce que, comme je l'ai déjà remarqué, ce n'étaient que les premières expressions de ses pensées qu'il écrivait sur de petits morceaux de papier à mesure qu'elles lui venaient dans l'esprit. Et tout cela était si imparfait et si mal écrit, qu'on a eu toutes les peines du monde à le déchiffrer. » On commença donc par en faire une copie. Cette copie est-elle celle que nous possédons à la Bibliothèque Nationale, manuscrit 9 203 f. fr.,? et dans ce cas est-il vrai que cette copie reproduise l'ordre des cahiers autographes, « tels qu'ils étaient, et dans la même confusion qu'on les avait trouvés »? S'il en était ainsi, cette copie constituerait en fait la première et la plus fidèle édition des Pensées, d'une autorité supérieure, pour l'ordre des pensées, au manuscrit autographe; car l'autographe, aujourd'hui, est une collection de feuilles séparées ou de petits morceaux de papier, collés comme sur un album à une date qui n'est pas antérieure à 1711, c'està-dire presque cinquante ans après la mort de Pascal. C'est donc par l'examen de cette copie que doit être abordée l'étude de la publication des Pensées.

La copie manuscrite vient du bénédictin Jean Guerrier1; il la tenait de Marguerite Périer qui la lui avait donnée avec la bibliothèque de Pascal. Elle reproduit un état où auraient été à un moment donné les Pensées de Pascal; mais il paraît bien que ce ne peut être l'état initial des fragments posthumes. En effet le recueil manuscrit, d'écriture et d'aspect homogènes, est pourtant un double recueil. Jusqu'à la page 188, les fragments sont classés sous un certain nombre de titres empruntés à Pascal, comme s'ils étaient disposés pour l'impression. Une table des matières rappelle les titres et en établit le lien; elle nous fournit ainsi le plan d'une édition des Pensées, et nous le reproduisons ici: Ordre, Vanité, Misère, Ennui, [Opinions du peuple saines] Raison des effets, Grandeur, Contrariété, Divertissement, Philosophes, Le Souverain bien, A. P. R. Commencement, Soumission et usage de la raison, Excellence, Transition, (c'est-à-dire, comme il est expliqué dans le Recueil, Transition de l'homme à Dieu), La nature est corrompue, Fausseté des autres religions, Religion aimable, Fondement, Loi figurative, Rabbinage, Perpétuité, Preuves de Moïse, Preuves de Jésus-Christ, Prophéties, Figures, Morale chrétienne, Conclusion. Après cette conclusion, à partir de la page 188, c'est comme un second recueil qui commence, plus important que le premier par le nombre des fragments, mais où l'on chercherait en vain une volonté ou même une apparence d'ordre. Une seconde copie, qui est également à la Biblio

1. En tête du recueil est l'attestation suivante : « S'il arrivait que je viens à mourir, il faut faire tenir à Saint-Germain-des-Prés ce présent cahier pour faciliter la lecture de l'original qui y a été déposé. Fait à l'abbaye de Saint-Jean-d'Angély, ce 1er avril 1723. Sigué: Fr. Jean Guerrier.

2. Rayé dans les deux copies.

thèque Nationale, et qui porte la signature du Père Pierre Guerrier, neveu de Jean Guerrier, reproduit, avec quelques interversions de feuilles, les deux parties de la première copie1.

Cette double disposition semble bien indiquer une tentative qui aurait été faite entre 1662 et 1669 pour publier les Pensées. On aurait disposé un certain nombre de fragments dans un ordre simple et rationnel; on aurait laissé en dehors du classement ceux que l'on se proposait d'éliminer. Nous pouvons même conjecturer que ce recueil manuscrit a été soumis à l'examen du Comité qui travaillait à l'édition de Port-Royal: il porte à plusieurs reprises des additions et des corrections qui ne sont pas de la main du copiste; (Faugère y a relevé l'écriture de Nicole). Or elles se retrouvent dans le livre imprimé, et il est assez peu vraisemblable que l'on ait songé après coup à modifier le texte d'une copie, que l'on savait fidèle, pour la mettre en harmonie avec l'édition de Port-Royal.

Tout ce que nous pouvons dire de cette copie, c'est qu'elle nous introduit d'emblée dans l'intimité du travail entrepris par les premiers éditeurs; mais il semble bien qu'elle nous reporte à une phase intermédiaire de ce travail. Dans la première phase on se proposait de déchiffrer les papiers de Pascal et comme s'exprime Étienne Pascal « de les faire imprimer tout de suite dans le même état où on les avait trouvés ». Or les résultats fournis par cette copie initiale furent décourageants, à ce point que « fort longtemps» on avait renoncé à la publication. Puis, quand on s'y décida, ce fut pour retomber dans de nouvelles hésitations. La famille de Pascal n'abandonnait point le premier

1. Cf. ms. 12449 f. fr.

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