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tout ensemble; parce que l'Esprit humain n'eft pas capable de retenir clairement une longue fuite de conféquences, & de voir nettement le rapport de quantité d'idées differentes. D'ail leurs il arrive fouvent, que ce qu'on avoit le plus admiré, à le confiderer en gros & d'une maniere confuse paroît fans confiftance & tout-à-fait infoûtenable dès qu'on en voit diftinctement toutes les parties.

M. Locke confeilloit auffi de communiquer toujours fes penfées à quelqu'ami, fur-tout fi l'on fe proposoit d'en faire part au public; & c'eft ce qu'il obfervoit lui-même très-religieufement. Il ne pouvoit comprendre qu'un Etre d'une capacité auffi bornée que l'homme, auffi fujet à l'erreur eut la confiance de négliger cette pré

caution.

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Jamais homme n'a mieux employé fon temps que M. Locke. Il y paroît par les ouvrages qu'il a publié luiméme; & peut-être qu'on en verra un jour de nouvelles preuves. Il a paffé les quatorze ou quinze dernieres années de fa vie à Oate, maifon de campagne de M. le chevalier Masham, à vingt-cinq mille de Londres dans la

province d'Effex. Je prends plaifir à m'imaginer que ce lieu, fi connu à tant de gens de mérite que j'ai vu s'y rendre de plufieurs endroits de l'Angleterre pour vifiter M. Locke, fera fameux dans la postérité par le long féjour qu'y a fait ce grand homme. Quoi qu'il en foit, c'est-là que jouiffant quelquefois de l'entretien de fes amis, & conftamment de la compagnie de Madame Masham, pour qui M. Locke avoit conçu depuis longtemps ne eftime & une amitié toute particuliere, (malgré tout le mérite de cette Dame, elle n'aura aujourd'hui de moi que cette louange) goûtoit des douceurs qui n'étoient interrompues que par le mauvais état d'une fanté foible & délicate. Durant cet agréable féjour, il s'attachoit furtout à l'étude de l'Ecriture Sainte; & n'employa prefque à autre chofe les dernieres années de fa vie. Il ne pouvoit fe laffer d'admirer les grandes vues de ce facré Livre, & le jufte rapport de toutes fes parties: il y faifoit tous les jours des découvertes, qui lui fourmiffoient de nouveaux fujets d'admiration. Le bruit eft grand en Angleterre que ces découvertes feront com

il

muniquées au public. Si cela eft, tout le monde aura, je m'affure, une preuve bien évidente de ce qui a été remarqué par tous ceux qui ont été auprès de M. Locke jusqu'à la fin de fa vie, je veux dire que fon efprit n'a jamais fouffert aucune diminution quoique fon corps s'affoiblit de jour en jour d'une maniere affez fenfible.

Ses forces commencerent à défaillir plus vifiblement que jamais dès l'entrée de l'été dernier : Saifon qui les années précédentes lui avoit toujours redonné quelques degrés de vigueur. Dès lors il prévit que fa fin étoit fort proche. Il en parloit même affez fouvent, mais toujours avec beaucoup de férénité, quoiqu'il n'oubliât d'ailleurs aucune des précautions que fon habileté dans la médecine pouvoit lui fournir pour se prolonger la vie. Enfin fes jambes commencerent à s'enfler; & cette enflure augmentant tous les jours, fes forces diminuerent à vue d'œil. Il s'apperçut alors du peu de temps qu'il lui reftoit à vivre; & se difpofa à quitter ce monde, pénétré de reconnoiffance pour toutes les graces que Dieu lui avoit faites, dont il noit plaifir à faire l'énumeration à ses

pre

amis, plein d'une fincere réfignation à fa volonté, & d'une ferme efpérance en fes promeffes, fondée fur la parole de Jefus-Chrift envoyé dans le monde pour mettre en lumiere la vie & l'immortalité par fon Evangile.

Enfin les forces lui manquerent à tel point que le vingt-fixieme d'octobre (1704,) deux jours avant fa mort, l'étant allé voir dans fon cabinet, je le trouvai à genoux, mais dans l'impuiffance de fe relever de lui-même.

Le lendemain, quoiqu'il ne fût pas plus mal, il voulut refter dans le lit. Il eut tout ce jour-là plus de peine à refpirer que jamais : & vers les cinq heures du foir il lui prit une fueur accompagnée d'une extrême foibleffe qui fit craindre pour fa vie. Il crut lui-même qu'il n'étoit pas loin de fon dernier moment. Alors il recommanda qu'on fe fouvînt de lui dans la priere du foir là-deffus Madame Masham lui dit que s'il le vouloit, toute la famille viendroit prier Dieu dans sa chambre. Il répondit qu'il en feroit fort aife fi cela ne donnoit pas trop d'embarras. On s'y rendit donc & on pria en particulier pour lui. Après cela il donna quelques ordres avec

une grande tranquillité d'efprit; & l'occafion s'étant préfentée de parler de la bonté de Dieu, il exalta furtout l'amour que Dieu a témoigné aux hommes en les juftifiant par la foi en Jefus-Chrift. Il le remercia en particulier de ce qu'il l'avoit appellé à la Connoiffance de ce divin Sauveur. Il exhorta tous ceux qui fe trouvoient auprès de lui de lire avec foin l'Ecriture Sainte, & de s'attacher fincérement à la pratique de tous leurs devoirs, ajoutant expreffément, que par ce moyen ils feroient plus heureux dans ce monde, & qu'ils s'aflureroient la poffeffion d'une éternelle félicité dans l'autre. Il paffà toute la Inuit fans dormir. Le lendemain il fe

fit porter dans fon cabinet, car il n'avoit plus la force de fe foutenir; & là fur un fauteuil & dans une espece d'affoupiffement, quoique maître de fes penfées, comme il paroiffoit par ce qu'il difoit de temps en temps, il rendit l'efprit vers les trois heures après midi le 28me. d'Octobre, vieux ftile.

Je vous prie, Monfieur, ne prenez pas ce que je viens de vous dire du caractere de M.Locke pour un portrait

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