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RÉSURRECTION DU PALAMÈDE.

Depuis plus d'un an le Palamède a cessé de paraître. Il est mort civilement d'après le code de la presse. Cependant il y avait place pour lui dans la publicité. Jadis il naquit viable; aujourd'hui il est encore prouvé qu'il peut subsister. Que ses destins s'accomplissent!

La France a été tardive à s'emparer du plus ancien et du plus beau des jeux de l'antiquité. Ce n'est guère que depuis à peu près un siècle que nous avons prouvé qu'un peuple accusé d'un esprit léger et frivole sait cependant imprimer le cachet de sa supériorité, même aux choses qui exigent avant tout de la gravité et de la réflexion. Bien avant Philidor, sans doute, on jouait en France aux échecs, mais il appartenait à cet homme de génie d'élever ce jeu à l'état de science démontrée, et de lui assigner sa place dans le siècle encyclopédique. Il publia son Analyse du jeu des échecs, ouvrage toujours estimé, et par lequel il a initié ses contemporains et la postérité à la connaissance approfondie des calculs qui, jusque-là, ne pouvaient se transmettre que par la tradition vivante, sans ordre méthodique, et subordonnée à l'organisation plus ou moins heureuse de ses interprètes. Cette base fondamentale a servi de racine à plusieurs autres publications dans lesquelles se trouvent toujours quelques enseignements nouveaux.

Labourdonnais, dont la perte récente est encore si vivement sentie, a lui-même payé ce tribut en livrant à la publicité son Traité du jeu d'Échecs en 1833, ouvrage incomplet et bien audessous de ce qu'on pouvait attendre de ce célèbre joucur.

Il l'avait comme senti lui-même et chercha à prendre sa revanche

en créant le Palamède, Revue périodique, animée du mouvement de l'époque, et dont la forme se prêtait merveilleusement aux nouveaux besoins d'une société de publicité et de progrès. La mort est venue interrompre cet intéressant recueil, dont les premières livraisons avaient assuré le succès, et qui se ressentit naturellement vers la fin, de l'état de maladie et de malaise de l'auteur. De Labourdonnais avait été jusque-là le grand joueur de la France; grâce à son recueil, il devint celui du globe entier, et, des bords de la Seine jusqu'à ceux de l'Indus, il a joui de la célébrité la plus incontestée. Sans cesser d'être une des gloires de son pays il a parlé à toutes les nations une langue d'intelligence qui leur est commune. Les communications qui se sont établies, l'émulation qu'elles ont developpée réchauffèrent le zèle pour le roi des jeux, et tout progrès possible l'est devenu par ces échanges de la pensée écrite. Nous arrêter en si beau chemin serait une très-grande faute. Plus la perte que nous avons faite est déplorable, plus nous devons chercher à combler le vide qu'elle laisse parmi nous. LaBourdonnais était notre Alexandre, mais dans sa succession quelques belles parts ont été recueillies, et la source même où il puisa les premiers éléments de sa grande force n'est pas encore tarie... Que de motifs pour persévérer!

Grâce au concours des principales notabilités de l'échiquier, le Palamède, dont je ne serai que l'anneau qui concentre toutes les forces, remplira le but primitif que se proposa son fondateur. Il rassemblera, comme en un faisceau lumineux, tout ce que les joueurs modernes pourront inventer, et le mettra en regard des richesses que les anciens nous ont léguées. Les rapports multipliés, précédemment établis avec les différentes sommités de l'Europe, reprendront leur activité; et le Palamède, quoique journal français, cherchera avant tout, à devenir le recueil de la confraternité des joueurs d'échecs, quels que soient leur idiôme et leur couleur. C'est une vaste association dont il recueillera les travaux arrivant des divers points du globe, se chargeant de les faire ensuite rejaillir pour l'instruction et l'édification de toutes les intelligences de l'échiquier.

Ce premier numéro du Palamède ressuscité se relic d'autant mieux à l'ancien, quoique plus d'une année se soit écoulée entre eux, qu'il est principalement l'œuvre posthume de Labourdon

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nais. Il avait perdu l'habitude de faire paraitre ce recueil à jours déterminés; plus d'un mois s'écoulait même souvent entre chaque numéro; aussi, ces derniers documents, échappés à sa main défaillante, avaient-ils été déposés chez son imprimeur à son départ pour Londres, sans qu'il eût assigné l'époque où ils verraient le jour... Nous regardons comme précieux de les recueillir, et, sous l'autorité de l'homme supérieur que nous pleurons encore, nous plaçons la résurrection de son œuvre. Il y préside ainsi lui-même par ses dernières pensées.

Une notice sur les derniers moments de Labourdonnais déposée sur sa tombe par les Anglais qui honorèrent sa couche mortuaire ; notice qui n'a été ni traduite ni imprimée en français et que nous devons à la plume infatigable et originale de M. Walker, sera certainement lue avec intérêt. Pour compléter l'hommage de deuil que nous rendons ici à notre illustre maître ; nous y joindrons l'article nécrologique que celui qu'il appela dix années, son premier lieutenant et le Vice-roi des Echecs, ne pouvait manquer de payer à sa mémoire.

Le Palamède, quoique particulièrement consacré au culte des échecs, traitera aussi des autres jeux, quand ils présenteront de l'attrait, non pas sous le rapport des sommes qui y seront engagées, mais comme théorie et combinaisons. Il est un jeu de cartes qui, certes, est assez beau comme calcul pour ne pas être indigne des amateurs d'échecs. Le wist, à la tête duquel se trouve placé le créateur du talent de Labourdonnais, qui ne lui abandonna le sceptre de Philidor, que pour en ressaisir un autre, est aujourd'hui en grand honneur dans tous les pays. M. Deschapelles, que nos lecteurs ont déjà nommé, a publié, il y a deux ans, une partie, (la législation) du grand ouvrage que l'on attend de lui depuis longues années.

Nous espérons encore qu'il voudra bien nous donner en manuscrit les autres parties de cette intéressante publication, à laquelle nous consacrerons autant d'espace que nous le pourrons sans nuire au jeu d'échecs.Ce serait un magnifique présent à faire à nos lecteurs. Si nous sommes trompés dans cette attente, nos abonnés y perdront pour le wist; mais ils se rattraperont pour les échecs auxquels M. Deschapelles nous a promis de consacrer de temps en temps quelques articles.

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Le tric-trac est un jeu qui revient à la mode. On aime en lui ce mélange de hasard et de combinaisons. Celles-ci sont basées sur les probabilités et non pas sur le positif comme les échecs ; mais la rapidité avec laquelle il doit se jouer, rend encore difficile l'application immédiate de ce calcul probable, même pour celui qui le connait, et limite beaucoup le nombre des bons joueurs. Le cercle des échecs est riche de ce côté, et le concours que nous y trouverons le prouvera évidemment.

Le noble jeu de billard est un jeu si différent de ce qu'il était le siècle dernier que nous pouvons le regarder comme une conquête moderne, et c'est la France qui sert encore ici de modèle au reste du monde. Nous le jugeons tout-à-fait digne d'attention, et ne négligerons pas de tenir nos lecteurs au courant des merveilles du Carambolage.

Il est un jeu qui semble avoir été l'origine et comme le premier pas des échecs: le jeu de Dames. Il a été ensuite comme écrasé par la richesse de celui-là. Aussi, trop délaissé par les hautes intelligences qui ont préféré appliquer leurs études aux échecs, ne marche-t-il pas aux progrès, et notre siècle ne possède-t-il pas autant de grands joueurs qu'on en comptait précédemment. Ce jeu est cependant fort intéressant, quoique plus borné que celui des échecs et plus rapproché ainsi des espaces auxquels peut atteindre le calcul humain. L'autorité de son antiquité est un bel éloge pour lui. Il est peu cultivé aujourd'hui, et mérite cependant les méditations des amateurs. D'ailleurs, de Labourdonnais, sans y être au-dessus de la force la plus commune, cn a souvent entretenu les lecteurs du Palamède. Nous ne resterons pas en arrière de ce côté.

Après divers essais tentés pour reconstituer en société la publication du Palamède, tentatives avortées par le doute sur la possibilité du succès, privés que nous sommes de l'autorité qu'emporta dans sa tombe notre grand Labourdonnais, je me suis dévoué à résoudre cette résurrection, convaincu qu'il ne faut que marcher en avant pour être suivi. Si le Palamède d'aujourd'hui ne répond pas à l'attente de nos amateurs; si, après une année d'essais, je péris à la peine, je me retirerai et laisserai à d'autres plus heureux de mieux choisir l'époque pour cette publication. Il n'en aura rien coûté à personne, et j'aurai eru acquitter une dette

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envers mes compagnons d'armes en gérant simplement ce que je veux toujours regarder comme leur propriété, dont ils seront libres de réclamer la gestion quand ils voudront et uniquement sous bénéfice d'inventaire. Il n'y a ici exploitation pécuniaire ni personnelle.

Si, comme je m'en flatte, le Palamède réunit assez de sympathie et de suffrages pour marcher au succès et présenter quelques chances fructueuses, je m'efface complètement comme propriétaire, et j'accepte toutes les formes que la sociéte des joueurs d'échecs, réunie en assemblée générale, jugera à propos de lui donner pour que chacun de nous puisse trouver une part de gloire et de profit. En attendant, j'ai sollicité et accepté la coopération d'un comité de rédaction, dont je publie les noms avec orgueil, sûr d'exciter chez nos lecteurs un intérêt aussi puissant que ces collaborateurs m'ont inspiré d'attachement et de reconnaissance.

St.-AMANT.

Quelque grandes qu'aient été les pertes qui ont affligé, pendant ces dernières années, la société des joueurs d'échecs de Paris, que les évènements ont en outre dispersée en plusieurs clubs, nous n'hésitons pas à publier la liste nominale des brillants débris de l'échiquier français. Si nous avons une crainte, ce n'est pas celle d'y avoir placé un nom qui ne fut digne d'entrer en lice contre les plus redoutables adversaires étrangers, mais bien plutôt la crainte d'omissions involontaires, quelque fut notre empres sement à les réparer.

Le Palamède, assuré du concours de la plupart de ces grands joueurs, y puise ses plus intimes convictions de succès aussi bien

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