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aux bêtes; et une médaille pour deux fuccès qui d'ordinaire font deux exemples de mauvais goût, 1758. n'eft qu'une fottife de plus. Les fous de la cour portaient autrefois des médailles, c'est apparemment celles-là qu'on donnera.

Nos médailles font ici d'excellens foupers; nous n'avons point de cabales: on regarde comme une très-grande faveur d'être admis à nos fpectacles. Les habits font magnifiques, nos acteurs ne font pas mauvais. Madame Denis eft devenue fupérieure dans les rôles de mère; je ne fuis pas mauvais pour les vieux fous: nous ne pouvons commencer que dans quinze jours, parce que nous avons eu des malades: voilà l'état des chofes. Je fuis très-touché de l'état de madame d'Argental; il faut qu'elle vienne å Epidaure confulter Efculape. Madame d'Epinai a obtenu des nerfs, madame de Muy a été guérie, ma nièce Fontaine a été tirée de la mort. Il faut aller à Lyon voir fon oncle; de là, dans une terre qui eft à M. de Mondorge ou à son frère; et, de cette terre, aux Délices.

Je vous prie de dire à M. le chevalier de Chauvelin que je lui fouhaite quelque étifie, quelque marasme, quelque atrophie, afin qu'il prenne fon chemin par Genève, quand il retournera à Turin.

Mais qu'eft devenue la maison de votre île ? Que ne demandez-vous un remboursement fur Hanovre ou fur Clèves ?

Comment vont vos affaires de Cadix? ne recevezvous pas quelques débris de temps en temps? Vivez heureux, mon cher ange; ce font les vœux du plus maigre fuiffe des Treize-Cantons.

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1758.

LETTRE VI I.

A U ME ME.

A Laufane, ce 9 de février.

Avez-vous, lifez-vous l'Encyclopédie, mon

cher ange? favez-vous les tracafferies, les tribulations qu'elle effuie? J'ai retiré mes enjeux, et j'ai mandé à M. Diderot de me renvoyer les articles et les papiers concernant cet ouvrage, et j'ai pris la liberté de ftipuler qu'il renverrait chez vous les papiers cachetés; vous me le permettrez, fans doute : ce n'eft plus la peine de travailler pour une entreprise qui va ceffer d'être utile, et qui eft traversée de tous côtés. Si Diderot, qui eft entouré de facs comme Perrin Dandin, et qui eft accablé du fardeau, oubliait mes paperaffes, j'ofe vous supplier de vouloir bien envoyer chez lui, rue Taranne, quand vous ferez à la comédie.

Nous allons, nous autres Suiffes, jouer Fanime et la Femme qui a raison. Je pense qu'il faut différer long-temps pour le tripot de Paris, et laiffer dégorger Iphigénie en Crimée. Par ma foi, vous autres Parifiens, vous n'avez pas le fens commun; Luc n'en a pas davantage d'avoir commencé cette horrible guerre qui lui a donné, à la vérité, de la gloire, mais qui le rend très-malheureux, lui et onze ou douze cents mille hommes fes femblables, s'il y a quelque chofe de femblable à Luc. Je ne vois que folie et bêtife. Interim, vale. Heureux qui digère tranquillement, Comment va la fanté de madame d'Argental?

LETTRE

LETTRE VI I I.

A M. LE COMTE DE TRESSAN.

A Laufane, 13 de février.

Je reçois, Monfieur, une réponse à la lettre que

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E

j'eus l'honneur de vous écrire hier. Votre bonté m'avait prévenu. Je ne favais pas que vous euffiez déjà reçu le fatras énorme dont vous voulez bien charger les tablettes de votre bibliothèque. Il y a là bien des inutilités; mais, fi on se réduifait à l'utile, l'Encyclopédie même n'aurait pas tant de volumes. y a d'excellens articles; et celui de Génie n'eft pas le moindre. Si vous étiez encore dans les gardes, n'eft-il pas vrai que vous auriez arrêté ce père Chapelain qui prêche comme l'autre Chapelain fefait des vers, et qui a l'infolence de condamner, devant le roi, un livre muni du fceau du roi? Ces marauds - là ont peut-être raison de crier contre la vérité, et de fonner l'alarme quand leur ennemi eft aux portes; mais on n'a pas raifon de fouffrir leurs impertinentes et puniffables clameurs.

Voilà le temps où tous les philofophes devraient fe réunir. Les fanatiques et les fripons forment de gros bataillons, et les philofophes difperfés fe laiffent battre en détail : on les égorge un à un; et, pendant qu'ils font fous le couteau, ils se brouillent ensemble, et prêtent des armes à l'ennemi commun. D'Alembert fait bien de quitter, et les autres font lâchement de continuer. Si vous avez du crédit fur Diderot et Tome V. B

Correfp. générale.

1758.

conforts, vous ferez une action de grand général de 1758. les engager à se joindre tous, à marcher ferré, à

demander justice, et à ne reprendre l'ouvrage que quand ils auront obtenu ce qu'on leur doit, justice et liberté honnête. Il eft infame de travailler à un tel ouvrage comme on rame aux galères. Il me femble que les exhortations d'un homme comme vous doivent avoir du poids : c'est à vous de donner du cœur aux lâches.

Vous penfez comme il faut d'Iphigénie en Crimée; mais ce n'eft pas la première fois que les badauds de Paris fe font trompés, et ce ne fera pas la dernière.

Vous perfiftez donc dans le goût de la physique; c'est un amusement pour toute la vie. Vous êtes-vous fait un cabinet d'hiftoire naturelle? Si vous avez commencé, vous ne finirez jamais. Pour moi, j'y ai renoncé, et en voici la raison: un jour en foufflant mon feu, je me mis à fonger pourquoi du bois fefait de la flamme; personne ne me l'a pu dire, et j'ai trouvé qu'il n'y a point d'expérience de phyfique qui approche de celle-là. J'ai planté des arbres, et je veux mourir fi je fais comment ils croiffent. Vous avez eu la bonté de faire des enfans, et vous ne favez pas comment. Je me le tiens pour dit, je renonce à être fcrutateur : d'ailleurs, je ne vois guère que charlatanisme ; et, excepté les découvertes de Newton et de deux ou trois autres, tout eft fyftême abfurde; l'histoire de Gargantua vaut mieux.

Ma phyfique eft réduite à planter des pêchers à l'abri du vent du nord. C'eft encore une belle invention que les poëles dans les antichambres; j'ai eu des mouches dans mon cabinet tout l'hiver. Un bon

cuifinier eft encore un brave phyficien; cela eft rare à Laufane. Plût à Dieu que le mien pût vous fervir 1758. de nos groffes truites, et que je fusse assez heureux

pour philofopher avec vous le long de mon beau lac de Laufane à Genève.

Recevez les tendres refpects du vieux fuiffe V.

LETTRE I X.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

Il ne

A Laufane, 25 de février.

L ne s'agit point, mon cher et respectable ami, des articles qu'on m'avait demandés pour le huitième tome de l'Encyclopédie, ils font à préfent entre les mains de d'Alembert: il s'agit de papiers que Diderot a entre fes mains, au fujet de l'article Genève, et des Kakouacs.

Il faut que mon ame foit bien à son aise pour retravailler à Fanime, dans la multiplicité de mes occupations et de mes maladies. Nous la jouâmes hier, et avec un nouveau fuccès. Je jouais Mohadar; nous étions tous habillés comme les maîtres de l'univers. Je vous avertis que je jouai le bon homme de père mieux que Sarrazin : ce n'eft point vanité, c'eft vérité. Quand je dis mieux, j'entends fi bien, que je ne voudrais pas de Sarrazin pour mon facriftain. J'avais de la colère et des larmes, et une voix tantôt forte, tantôt tremblante; et des attitudes! et un bonnet! non, jamais il n'y eut de fi beau bonnet.

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