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30 OCT 1957

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Cui quidem ita sunt stoici assensi, ut quidquid honestum esset, id utile esse censerent; nec utile quidquam, quid non honestum.

(CICERO. De Officiis.)

Les stoïciens pensaient comme lui (Socrate); ils disaient que l'honnête est toujours utile, et qu'il n'y a rien d'utile que ce qui est honnête.

(CICERON. Des Devoirs, liv. III.)

J'écris ce livre pour la jeunesse; ma vieillesse veut lui être utile. L'étude de l'histoire est, selon moi, la plus nécessaire aux hommes, quels que soient leur âge et la carrière à laquelle ils se destinent. Les exemples frappent plus que les leçons; ils leur servent de preuves pour convaincre, ils les accompagnent d'images pour intéresser: l'histoire renferme l'expérience du monde et la raison des siècles.

Nous sommes organisés comme les hommes des temps les plus reculés ; nous avons les mêmes vertus, les mêmes vices. Entraînés comme eux par nos passions, nous écoutons avec défiance les censeurs qui contrarient nos penchants et qui nous avertissent de nos erreurs, de nos dangers. Notre folie résiste à leur sagesse, nos espérances se rient de leurs craintes.

Mais l'histoire est un maître impartial, dont nous ne pouvons réfuter les raisonnements appuyés sur des faits. Il nous montre le passé pour nous annoncer l'avenir; c'est le miroir de la vérité.

Les peuples les plus fameux, les hommes les plus célèbres, sont jugés à nos yeux par le temps, qui détruit toute illusion, par la justice, qu'aucun intérêt vivant ne peut corrompre. Devant le tribunal de l'histoire, les conquérants descendent de leur char de triomphe, les tyrans n'effraient plus par leurs satellites, les princes nous apparaissent sans leur cortége et dépouillés de la fausse grandeur que leur prêtait la flatterie.

Vous détestez sans danger la férocité de Néron, les cruautés de Sylla, les débauches d'Héliogabale, l'hypocrisie de Tibère; si vous avez vu Denys terrible à Syracuse, vous le voyez humilié à Corinthe.

Les applaudissements d'une inconstante multitude ne trompent pas votre jugement en faveur d'Anitus et de Mélitus; vous mé

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prisez leurs délations, leurs calomnies, et vous suivez avec enthou- . siasme le vertueux Socrate dans sa prison, le juste Aristide dans son exil.

Si vous admirez la valeur d'Alexandre sur les bords du Granique et dans les plaines d'Arbelles, vous lui reprochez sans crainte son ambition démesurée qui l'entraine au fond de l'Inde, et les débauches honteuses qui ternissent à Babylone la fin de sa vie. Vous préférerez à sa fausse gloire la renommée intacte et la vertu sans ombre d'Epaminondas, de Léonidas, de Titus, de MarcAurèle.

L'amour des Grecs pour la liberté peut échauffer votre àme; mais leurs jalousies, leur légèreté, leur ingratitude, leurs querelles sanglantes et leur corruption vous annoncent et vous expliquent leur ruine.

Si le colosse romain vous impose par sa vaste puissance, vous ne tardez pas longtemps à distinguer les vertus qui firent sa grandeur, et les vices qui amenèrent sa décadence.

La nuit de l'ignorance couvre la terre, la barbarie la dévaste comme un déluge; les débris de l'empire sont dispersés et ensanglantés par des sauvages, qui vous font mieux sentir tous les avantages des sciences qu'ils ont chassées, des lois qu'ils ont détruites. Mais enfin les lumières d'une religion spirituelle dissipent les erreurs de l'idolâtrie: les vices ne sont plus dans le ciel. Dieu seul y règne; la vertu ne manque plus de base solide: aussi vous trouverez généralement dans le monde moderne une civilisation mieux éclairée, des mœurs plus douces; un lien de fraternité unit le faible au fort, le pauvre au riche, les rois aux bergers.

Mais cette religion n'est pas toujours écoutée: ses ministres en abusent; les peuples l'outragent; les ambitieux la bravent; les princes l'oublient: aussi, à côté d'un petit nombre de héros parfaits, au milieu de quelques époques tranquilles et glorieuses, vous revoyez des monarques et des pontifes sanguinaires, des révolutions funestes, des guerres civiles et religieuses. Le flambeau de l'histoire, qui ne vous quitte pas, vous montre constamment la justice entourée de la paix, de l'amour et de l'estime ; tandis que l'ambition, le fanatisme, la rébellion et la tyrannie sont toujours punis par de longs malheurs et flétris par les inflexibles arrêts de la postérité.

L'habileté de Louis XI, les intrigues de Philippe II, la fortune insolente de Borgia ne vous empêchent pas de haïr leur mémoire ;

vous brûleriez de partager la captivité du vertueux saint Louis; vous gémissez sur la victoire du connétable qui combat contre sa patrie; vous enviez le bonheur de Bayard, qui meurt pour la défendre. Partout enfin vous trouvez la preuve de cette antique maxime, qu'à la longue il n'y a d'utile que ce qui est honnête, qu'on n'est véritablement grand que par la justice, et complétement heureux que par la vertu. Le temps distribue avec équité les récompenses et les châtiments, et vous pouvez mesurer l'accroissement et la décadence des peuples sur la sévérité ou sur la dépravation de leurs mœurs. La vertu est le ciment de la puissance des nations; elles tombent dès qu'elles sont corrompues.

Mais plus les leçons de l'histoire sont utiles, plus il est important qu'elles soient bien présentées. Il n'est que trop d'historiens propres à égarer ceux qui les lisent; leurs plumes éloquentes ne sont pas toujours assez impartiales, assez exemptes de passion; elles nous trompent quelquefois et flattent nos penchants. Beaucoup d'écrivains, éblouis par la célébrité, la prennent pour la gloire ; d'autres mettent de faux et passagers intérêts à la place de la justice; et ces juges des rois et des peuples prononcent souvent au hasard des arrêts que leur dictent la crainte ou l'espérance, la reconnaissance ou la haine, et l'esprit de secte ou de parti."

Il faudrait donc, pour former des citoyens vertueux et pour éclairer les hommes sur leur bonheur, que celui qui leur apprend l'histoire, se dépouillant de tout esprit de circonstance et de système, leur fit juger les hommes et les événements uniquement d'après les règles de la morale; car l'esprit de secte et de parti n'est que pour un temps, la justice et la vérité sont de tous les lieux et de tous les siècles.

Le premier devoir d'un historien est de faire admirer la vertu, même lorsqu'elle est persécutée; de faire haïr le crime, malgré le succès précaire dont le couronne quelquefois le destin, et d'inspirer un juste mépris pour le vice, de quelque forme séduisante qu'il se montre souvent revêtu.

En développant aux yeux de nos disciples le vaste tableau de l'histoire du monde, nous leur présentons à la fois tous les exemples qu'ils doivent fuir et tous ceux qu'ils doivent imiter; mais la vue de ces modèles a son danger comme son utilité.

Ces hommes célèbres, qui viennent en foule de tous les pays et de tous les siècles pour appuyer nos préceptes, offrent un assemblage perpétuel de vertus et de vices, de grands talents et de

honteuses faiblesses, de succès injustes et de revers non mérités. Nous devons donc, avec le plus grand soin, accoutumer la jeunesse à bien distinguer dans ce mélange la vérité de l'erreur; à juger les hommes et leurs actions par leur moralité, et non d'après les hasards des événements. Il faut enfin lui apprendre sans cesse, en admirant les vertus, les talents des hommes les plus illustres, à reconnaître, à condamner leurs faiblesses et leurs défauts, de quelque éclat qu'ils puissent être couverts par la fortune et par le génie.

En présentant ainsi aux yeux des jeunes gens les hommes et les événements sous leur véritable jour, le but de l'historien doit être d'imprimer dans ces âmes tendres le respect pour la Divinité, le dévouement à la patrie et au roi, la vénération pour la justice, l'amour d'une sage liberté, et le plus profond mépris pour tout ce qui blesse l'honneur et la vertu.

En composant cette histoire universelle, je me suis pénétré des principes que je viens d'exposer : c'est ce qui me fait espérer que mon travail sera utile. Beaucoup d'autres, avec plus de talent, m'ont précédé dans cette carrière : j'ai profité de leurs lumières, et je ne me suis éloigné d'eux que lorsqu'ils m'ont paru sacrifier, en quelque partie, la justice et la vérité à l'éclat de la fausse gloire, aux préjugés des temps, aux caprices de la fortune, et aux passions politiques et religieuses.

Cependant les erreurs en ce genre sont si rares chez les bons historiens et si faciles à relever, que ce motif seul ne m'aurait pas fait entreprendre un aussi long ouvrage.

La plupart des hommes sont obligés de consacrer leur temps à divers genres d'études, surtout dans un siècle où, les arts et les sciences ayant fait tant de progrès, on sent le besoin et le désir de savoir un peu de tout.

Il résulte de cette multitude de connaissances qu'on veut acquérir une impossibilité presque absolue d'en approfondir aucune. Peu de personnes ont le loisir de lire de longs volumes, et beaucoup de livres d'histoire sont trop étendus pour attirer et fixer une jeunesse dont tant d'autres objets partagent l'attention.

Les grands auteurs de l'antiquité sont des sources intarissables de morale et d'instruction; mais la jeunesse n'en lit que quelques morceaux choisis. Les savants seuls jouissent complétement de ces trésors.

Les écrivains français qui nous ont donné des histoires générales,

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