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toute cette vertu eft renfermée dans des connoiffances frivoles, qu'elle exclut la vie active, on ne fait trop ce qu'il veut dire.

Ariftote vouloit que les avantages de l'efprit, de la figure & de la fortune concouruffent au bonheur. S'il en demandoit trop, il exigeoit au moins une vie active, & en cela, il fe rapprochoit de Socrate.

C'eft après toutes ces tentatives que Pyrrhon imagina de mettre le bonheur dans une tranquillité parfaite, & que Zénon chercha cette tranquillité dans un état où le fage feroit impaffible.

Enfin la queftion fur le bonheur a fi fort divifé les philofophes,

qu'on prétend avoir compté à ce fujet jufqu'à deux cens quatre-vingthuit opinions; c'eft-à-dire, qu'être heureux, c'étoit, felon les uns, être ftoïcien; felon d'autres, académicien ; & les opinions fe multiplioient comme les fectes.

CHAPITRE XIV.

De la philofophie chez les Romains. IL s'eft écoulé trois fiècles depuis Homère jufqu'à Thalès qui florif foit fix cens ans avant J. C. La philofophie, ou ce qu'on nommoit ainfi n'a donc commencé que fort tard, chez les Grecs. Elle fe répandit même avec affez de lenteur; car les écoles ne fe multiplièrent que

lorfqu'on fe dégoûta de prendre

part au gouvernement; on parut alors chercher dans la liberté de penfer un dédommagement à la perte d'une liberté plus précieufe ; & on fut philofophe avec la même paffion qu'on avoit été citoyen. Ignorée des Romains pendant plufieurs fiècles, la philofophie ne s'établit parmi eux, que lorfque la licence commençoit à diminuer le zèle pour le bien public & pour l'ancien gouvernement; jufqu'alors ils s'étoient occupés de toute autre chofe que de recherches philofophiques. Ils n'avoient étudié ni la morale ni la législation qui avoit été la première étude des philofophes de la Grèce. Condam▾

nés à être conquérans & à n'être que cela, ils s'appliquoient uniquement à perfectionner l'art militaire : toute autre étude leur paroiffoit inutile ou frivole, & les fciences leur étoient étrangères ainfi que les beaux arts.

Ce fut fur la fin du fixième siècle de Rome, fur-tout dans l'intervalle de la guerre de Perfée à la troifième guerre punique, que la philofophie fe fit connoître aux Romains, & qu'elle introduifit avec elle le goût pour les lettres; car l'éloquence & la philofophie n'étoient alors qu'une même chofe. Elles fe rapprochoient au moins & fe confondoient. En effet, Carnéade, le plus célèbre des philofophes de ce

fiècle, n'étoit qu'un rhéteur qui differtoit fur des opinions.

Parmi les Romains, l'éloquence jufqu'alors n'avoit pas été réduite en art. Comme ils n'avoient point de modèles en ce genre, ils n'avoient pas non plus de préceptes. Leur langue encore imparfaite étoit peu susceptible de précision & d'ornemens. Difficile à manier, bien loin de fe prêter à tous les mouvemens de l'ame, elle avoit une inertie qui ne pouvoit se vaincre qu'après des efforts redoublés. Elle mettoit des entraves au génie des orateurs, qui n'ayant encore que l'instinct pour guide, ne pouvoient être que mauvais ou bien médiocres.

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