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Cependant la morale ne doit pas être traitée comme le grand cuvre; deftinée à faire le bonheur de tous il faut au contraire tâcher de la rendre commune, parce que les hommes ne feront jamais indifférens fur leur bien-être ; à force de leur répéter qu'il ne confifte que dans la vertu, peut-être parviendront-ils à le croire, furtout, fi l'on a l'attention de dévoi ler en même-tems toutes les illufions du vice.

Ce n'est qu'à démontrer cette vérité que doivent s'attacher ceux qui fe chargent du pénible emploi d'éclairer les hommes; mais il faut qu'ils le faffent fans ambiguité comme fans foibleffe. Ce n'eft pas

en compofant avec le vice qu'on parvient à le terraffer. Les ménagemens pour les préjugés reçus ne font que mieux affermir leur empire.

Les philofophes anciens n'offrent que très peu d'exemples de cette pernicieuse complaifance; mais l'efprit de fecte ou de parti qui s'accorde rarement avec celui de la vérité, les a dominés prefque tous de-là cette foule d'opinions contradictoires qui tendoient bien plutôt à faire des profélites qu'à éclairer les hommes. On doit cependant dire, à leur avantage, que lorfqu'ils adoptoient une doctrine, elle devenoit ordinairement la règle de leur conduite; tandis que parmi nous, il n'eft pas rare de

voir des gens qui font perpétuellement en contradiction avec leurs

principes.

Après avoir parcouru les différentes écoles de la Grèce, nous allons voir quel fut le fort de la morale chez les Romains; mais comme fon but doit être de nous rendre heureux, nous nous permet¬ trons encore quelques réflexions fur la manière dont les philofophes Grecs ont envisagé le bonheur, & nous réfumerons en peu de mots leurs opinions à ce sujet.

CHAPITRE XIII.

Du bonheur, & de la manière dont les philofophes l'ont confidéré.

LE bonheur fuppofe des befoins

ne

& des moyens pour les fatisfaire. Avec des befoins qu'on ne peut fatisfaire, on eft malheureux; on le feroit encore dans une abondance qui prévenant tous nos befoins, nous laifferoit pas le tems de les fentir. C'est donc dans le paffage alternatif des befoins fentis à la jouiffance, & de la jouiffance à d'autres befoins fentis pour jouir encore, que confifte tout le bonheur auquel nous pouvons prétendre.

Un état n'eft proprement riche que par les denrées qui fe confomment pour se reproduire, & qui fe reproduisent pour se confommer. Voilà l'image de notre bonheur; manquer & recouvrer, manquer encore & recouvrer encore, & ainfi tant que nous vivons.

Ce repos parfait, cette tranquillité inaltérable, qui faifoit retentir les écoles de la Grèce, n'eft donc qu'aine illufion à laquelle fe livroient des enthoufiaftes; & leurs déclamations prouvent feulement qu'ils n'étoient pas heureux.

Tant que la Grèce fut occupée à fe donner des loix, on ne difputoit point fur le bonheur, mais on le cherchoit avec fuccès; & fi l'on

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