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Villon sur les Dames du temps jadis. C'est, avec le refrain de sa ballade des femmes de Paris:

Il n'est bon bec que de Paris,

c'est là le seul vers du vieux poëte que vous vous rappeliez; il en a tant d'autres pourtant qui mériteraient une place dans vos souvenirs. Celui-ci de son Grand Testament (huit. XXVIII), qui lui est inspiré par Job (ch. VII, verset 6):

Mes jours s'en son allez errant....

n'est-il pas un beau vers? Cet autre d'un de ses rondeaux :

Deux estions et n'avions qu'un cœur,

n'est-il pas un des mieux sentis qu'ait inspirés l'amitié? N'y a-t-il pas une profonde philosophie dans ce refrain de ballade :

Je cognois tout, fors que moy-mesme?

Et savez-vous de vérité mieux dite que celle-ci sur l'incertitude des choses humaines :

Rien ne m'est seur que la chose incertaine?

Cela dit, revenons à nos moutons. Aussi bien c'est de ce proverbe même que je veux vous

parler à présent. Si vous l'employez, vous ne faites que répéter la parole du juge, dans la vieille farce de Maistre Pierre Pathelin :

Sus, revenons à nos moutons.

Et, à propos de moutons, quand vous parlez de ceux de Panurge et de leur belle émulation à sauter les uns après les autres, vous savez bien, n'est-ce pas, que c'est Rabelais que vous citez ?

Faire l'Olibrius est une locution qui date aussi du même temps. C'est, comme nous l'avons prouvé ailleurs (V. l'Ami de la Maison, t. II, n° 46) un souvenir du rôle effrayant qu'on faisait jouer à ce gouverneur des Gaules, dans quelques mystères, notamment dans celui de sainte Reine. Olibrius, dans ces mélodrames sacrés, était le tyran, l'occiseur d'innocents, comme dit Molière (l'Étourdi, act. III, scène v).

En fait de semblables locutions, que de choses nous lui devons à ce divin Molière ! Tout le monde dit: Vous êtes orfévre, monsieur Josse! et tout le monde le répète après le Sganarelle de l'Amour médecin (acte I, sc. ire), qui en a fait un proverbe dès le premier jour qu'il l'a dit.

« Que diable aller faire dans la galère d'un Turc?» voilà ce que Cyrano de Bergerac fait dire à l'un de ses personnages, dans une très-amusante scène du Pédant joué (acte II, sc. Iv). Molière prit la scène, dont il fit un chef-d'œuvre, le mot, dont il a fait un proverbe; et dès lors, tout le monde de répéter, comme le Géronte des Fourberies de Scapin (act. II, sc. xI): « Que diable allait-il faire dans cette galère?»

Depuis Tartuffe, qui ne s'est écrié comme Orgon « Le pauvre homme!» Depuis l'Avare et ce pauvre Harpagon, qui n'a pensé aux beaux yeux de sa cassette (act. V, sc. )? et qui n'a pas employé comme un proverbe cette phrase que dit Anselme dans la même comédie (act. V, sc. v): « Vous parlez devant un homme à qui tout Naples est connu. » - Depuis le Sganarelle du Médecin malgré lui (act. I, sc. vi), qui n'a dit : « Il y a fagots et fagots. » Enfin, depuis Argant, le Malade imaginaire (act. II, sc. x1), qui n'a répété: « Ah! il n'y a plus d'enfants!»

De tout ce qu'il touche Molière fait de l'or, de toute phrase qu'il prend, il fait une sorte d'adage. Dans l'Imitation, « le plus beau livre qui soit sorti de la main des hommes, car

l'Évangile n'en vient pas, » comme a dit Fontenelle dans sa Vie de Corneille, il trouve ce passage: «Nemo impetrare potest a papá bullam nunquam moriendi,» et vite il en donne dans sa comédie de l'Étourdi (act. II, sc. Iv) cette traduction, qui devient aussitôt un proverbe :

On n'a point pour la mort de dispense de Rome.

Dans la même pièce (act. I, sc. 11), il avait encore jeté celui-ci :

Quand nous serons à dix nous ferons une croix.

Cette locution tant répétée, tant parodiée: Le temps est un grand maître, vient de Corneille; du moins forme-t-elle le premier hémistiche de ce vers de Sertorius (act. II, sc. Iv):

Le temps est un grand maître, il règle bien des choses.

Quant au Moi! dis-je, et c'est assez, inutile de vous rappeler, n'est-ce pas, que c'est l'exclamation de Médée, dans la tragédie du même poëte (act. I, sc. v). Chamfort le trouvait beau, mais tout naturel : « On a, disait-il, trouvé le moi de Médée sublime; mais celui qui ne peut pas le dire dans tous les accidents de la vie est bien peu de chose, ou plutôt n'est rien. »

Depuis Athalie, cette merveille, comme l'appelle Chénier dans son Épître à Voltaire, que de fois n'a-t-on pas dit, en parlant de Dieu :

Aux petits des oiseaux il donne la pâture.

Mais il était réservé à notre temps d'inventer cette variante pour le vers qui suit celui-là, et de dire :

Et sa bonté s'arrête à la littérature.

Le lot de La Fontaine est peut-être plus riche encore que celui de Molière. Quand ce ne sont pas des vers entiers que l'on emprunte à ses Fables, c'est au moins l'esprit qu'on en prend et que l'on résume, que l'on condense dans quelque expression proverbiale.

L'expression attacher le grelot vient de sa fable le Conseil tenu par les rats; cette autre : la Mouche du coche, nous arrive de la Ixe du livre VII, dont elle reproduit presque le titre ; celle-ci vendre la peau de l'ours, etc., est la moralité de son apologue: l'Ours et les Deux Compagnons; enfin les rares mérites de l'Eil du Maître n'ont jamais été autant vantés que depuis la fable xxi du livre IV, qui en met si bien l'éloge en action.

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