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Pour que la citation d'un vers soit faite avec toute justesse, il est bon, selon moi, que le citateur paraisse bien pénétré de l'esprit. général de l'ouvrage où rayonne le poétique axiome. Croyez-vous, par exemple, que le fameux

Homo sum; humani nihil a me alienum puto,

(Je suis homme, et tout ce qui vient de l'homme me tient au

[cœur

ne gagnera pas beaucoup en valeur si l'on ajoute qu'il se trouve dans la comédie si profondément humaine de Térence, l'Heautontimorumenos (act. Ier, sc. ire, v. 28)? L'ami de Scipion le devait-il à Ménandre, comme tant d'autres qui sont dans ses comédies? Un des candidats au prix proposé par l'Académie française, en 1853, pour une Etude historique et littéraire sur la Comédie de Ménandre, ne voulut pas douter de l'emprunt du poëte latin, bien qu'il n'en trouvât aucune trace chez le Grec, et pour rendre évident aux autres ce dont il se croyait convaincu, il refit le vers grec que Térence aurait traduit, et le prit hardiment pour épigraphe de son mémoire. Le voici :

̓Ανὴρ ἐγὼ καὶ παντα μοὶ τ' ἀνδρὸς μέλει.

Personne à l'Académie ne mit en doute l'authenticité du vers, pas même le secrétaire perpétuel, comme le prouva certain passage de son rapport. Un autre candidat, qui partagea le prix, M. Guillaume Guizot, y avait mis plus de conscience. Après d'infructueuses recherches pour découvrir la provenance du vers latin, il écrivit à la page 264 de son Mẻnandre Dans les fragments de la comédie grecque, nous ne retrouvons, sur ce sujet, aucun vers que Térence paraisse avoir vraiment traduit. »

Pour les vers qui nous viennent de Juvénal, de même que pour ceux de Perse, il en est comme de ce bel ïambe de Térence, c'està-dire qu'il importe toujours de ne pas les attribuer à d'autres qu'au poëte qui les a écrits. Ce certificat d'origine est pour eux un brevet d'énergie.

Il n'est point, par exemple, indifférent de savoir que cette grande formule du despotisme :

Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas,

(Je veux cela, j'ordonne ainsi; ma volonté, voilà ma raison.

est un vers de Juvenal, le 222o de sa VIe satire;

la même où se trouve aussi, au commencement du 164e vers, cet hémistiche si bien en circulation: Rara avis in terris (un oiseau rare sur la terre).

J'applaudirai mieux à cette admirable et désespérante vérité :

Probitas laudatur et alget,

(On vante la vertu, et on la laisse morfondue.)

si l'on m'apprend qu'elle nous vient aussi du grand satirique, qui en a fait le dernier hémistiche du 74e vers de sa Ire satire; enfin, celui-ci, sur les méchants et sur leurs remords:

Virtutem videant intabescantque relicta,

(Qu'ils regardent la vertu, et meurent de honte de l'avoir [abandonnée.)

ne me paraîtra que plus sublime, si je sais qu'il a jailli de l'âme honnête de Perse. Il est le 138e de sa satire III.

Il prouve que les mauvais savent se juger et se rendre justice, bien que le même poëte ait dit dans sa IVe satire, vers 23:

Nemo in sese tentat descendere.

(Il n'est personne qui essaye de descendre en soi-même.)

Les vers de Perse, toujours courageusement

honnêtes, sont de ceux où le poëte se révèle bien lui-même à la forme et à la force de sa pensée; de ceux qui font dire que la Muse dont ils sont la virile expression est comme la Vénus de Virgile (Enéide, liv. Ier, v. 405),

Et vera incessu patuit Dea.

(Sa démarche révélait qu'elle était déesse.)

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Les citations latines font certainement trèsbonne figure partout où l'on sait les glisser à propos, avec esprit. Il ne faut pourtant pas trop céder à la manie d'en semer ce que l'on écrit. Elles ne sont qu'un agrément accessoire, une beauté parasité, et il n'en faut pas plus abuser que du fard et des mouches.

Cette sorte de coquetterie fut le grand malheur des prédicateurs et des avocats du xvre et du XVIIe siècle. Tous, et ces derniers principalement, ne parlaient leur langue naturelle que par exception. Le français dans leurs discours ne servait que de canevas pour la broderie des citations latines ou grecques. Paul de Filèze en fit une rude guerre aux

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